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30/8/2020

Voir ou ne pas voir un dictateur en peinture

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Lorsqu’ils arrivent à Montréal pour la première fois, les Italiens qui visitent l’église de la Petite-Italie se figent devant la fresque qui orne la voûte de Notre-Dame-de-la-Défense. La peinture de Benito Mussolini aux côtés du pape Pie XI, d’anges et de figures religieuses choque le réalisateur Giovanni Princigalli, qui a décidé de s’installer à Montréal en 2003.

Qu’ils soient arrivés à Montréal il y a 10 ou 60 ans, des membres de la communauté italo-montréalaise se mobilisent aujourd’hui pour faire ajouter dans l’église une plaque expliquant la glorification du dictateur dans un lieu de culte de la ville.

« On ne veut pas retirer la fresque, on veut la contextualiser pour rendre justice à la communauté catholique et italienne, celle qui est tolérante et qui a été victime du fascisme », déclare M. Princigalli, qui est l’un des instigateurs d’une pétition demandant l’ajout d’une telle plaque. Une opinion partagée par le professeur d’histoire italienne de l’Université de Montréal Luca Sollai, arrivé à Montréal en 2013.

Fondée en 1910 pour la communauté italienne de Montréal, la paroisse Notre-Dame-de-la-Défense commande la fresque de Mussolini au peintre Guido Nincheri, qui la réalise de 1930 à 1933. L’œuvre évoque les accords du Latran – conclus en 1929 entre le Saint-Siège et le gouvernement italien, représenté par Mussolini –, qui ont mené à la création de l’État de la Cité du Vatican.

À l’époque, plusieurs Italo-Canadiens se sentaient comme des citoyens de seconde zone et leur patriotisme fut exacerbé par les opérations de propagande des consulats italiens de la diaspora, explique le professeur Sollai.

Les origines populaires du chef d’État favorisaient l’identification et l’adhésion de la diaspora italienne en Amérique du Nord, qui était alors plutôt régionale. « Mussolini était un modèle culturel dans lequel la communauté italienne pouvait se retrouver. Celle-ci n’avait pas comme objectif d’appuyer le fascisme ; elle se sentait simplement protégée par cette figure », ajoute M. Sollai.

Aujourd’hui, un fascicule placé à l’entrée de l’église et rédigé en français, en anglais et en italien explique que la réalisation de la fresque a précédé le pacte conclu par Mussolini avec Hitler. « On peut comprendre la fresque par une analyse du contexte historique des années 30 du XXe siècle », peut-on y lire. « Mis à part les visiteurs occasionnels, les fidèles de l’église ne regardent plus vers Mussolini.

Désormais, il s’agit d’une simple donnée historique », est-il également écrit dans ce document. Mais cela ne satisfait pas M. Sollai, qui aimerait une contextualisation plus rigoureuse que celle proposée par l’église du quartier.

« Plusieurs hommes d’État dans les années 1930 voyaient le fascisme d’un bon œil, mais ça ne change pas le fait qu’on parlait d’une dictature dès les années 1920. C’est clair que la réalité de l’époque est importante, mais historiquement, la dictature remonte bien avant la peinture de la fresque », explique-t-il.

Il cite en exemple le prêtre antifasciste Don Giovanni Minzoni, assassiné par les fascistes en 1923. Italo Balbo, un des chefs fascistes présents sur la fresque, est soupçonné d’avoir commandité ce meurtre.

Retirer la fresque

Le professeur d’architecture Fabrizio Gallanti, arrivé à Montréal en 2011, refuse catégoriquement de mettre les pieds dans l’église Notre-Dame-de-la-Défense. « Ce n’est pas un personnage qui a sa place dans l’espace public, tonne-t-il. « Je comprends le contexte, mais cela fait 70 ans ! Je trouve assez bizarre qu’on ait maintenu cette présence aussi longtemps », ajoute-t-il avant de faire remarquer que l’exhibition d’un symbole fasciste dans un espace public est interdite par la loi en Italie depuis 1952.

Dans la foulée du déboulonnement de plusieurs statues de figures colonialistes dans le monde depuis la mort de George Floyd, M. Gallanti pense que l’histoire de la fresque de Mussolini s’entremêle au contexte actuel, mais peut aussi se lire de manière autonome. Né à Gênes, la ville natale de Christophe Colomb, M. Gallanti dit qu’il aimerait voir ses concitoyens déboulonner les monuments évoquant ce « triste personnage ».

« Je suis assez favorable à l’idée de repenser à ce qui est célébré dans l’espace public », nous dit-il.  Pour Carlo Rosati, débarqué à Montréal en 1960, la partie de la fresque consacrée à Mussolini doit partir. « Pourquoi encore avoir l’image de cette personne-là ? Le voir dans une église, je trouve ça aberrant ; si on l’enlève, c’est pour le mieux pour l’image de l’Église catholique. » Il estime que la fresque éloigne les jeunes de la religion. « C’était qui, Mussolini ? Certains disent que cette fresque fait partie de l’histoire, mais lui, ce n’était pas Michelangelo, il n’a pas sa place dans l’église », martèle-t-il.

«On ne regarde pas Mussolini»

Du côté de l’église paroissiale, le père Gennuso n’a pas souhaité nous parler de la fresque. C’est plutôt Pier Luigi Colleoni qui a répondu à notre demande d’entrevue. L’enseignant en histoire de l’art au secondaire, catéchiste et membre du conseil d’administration de la paroisse Notre-Dame-de-la-Défense effectue parfois des visites guidées de l’église. Un samedi matin, avant des funérailles, il nous a offert son analyse de la fresque de Guido Nincheri. Cette œuvre comporte trois niveaux. La partie du bas représente l’Église militante, c’est-à-dire les vivants ; celle du milieu, les saints ; et la troisième, celle du haut, la divinité.

Sur la première section au centre, on voit notamment le pape Pie XI, le futur pape Pie XII, l’archevêque et l’évêque de Montréal de l’époque ainsi que le prêtre de la paroisse de l’époque. À gauche, on note la présence de prêtres et de sœurs aux côtés d’enfants noirs – qui représentent le missionnariat de l’Église catholique en Afrique.

À droite, on trouve des « gloires italiennes », dont le prix Nobel Guglielmo Marconi et l’explorateur Amedeo di Savoia-Aosta. Mais surtout, on y voit Benito Mussolini à cheval en présence des quatre figures importantes du parti fasciste, les quadrumvirs : Michele Bianchi, Emilio De Bono, Cesare Maria De Vecchi et Italo Balbo.

En 1940, durant la Deuxième Guerre mondiale, lorsque le Canada déclare la guerre à l’Italie, les pompiers de Montréal sont venus dans l’église pour détruire la partie de la fresque représentant Mussolini.

La communauté a cependant réussi à négocier avec eux et en a empêché la destruction en la couvrant d’un drap. Cette partie est restée couverte jusque dans les années 1950, explique Pier Luigi Colleoni. « Certains l’appellent l’église de Mussolini, d’autres l’église Dante. Les gens de la communauté, qui ont un sentiment d’appartenance envers l’église, ne regardent pas Mussolini, ce n’est pas le centre de leur attention. Le centre d’attention, c’est la figure du Christ », nous dit sur le pas de la porte M. Colleoni. Il croit que Mussolini doit rester sur la fresque pour des raisons historiques et artistiques ainsi que pour l’originalité que cette œuvre confère à l’église.

« Je dis toujours que Mussolini, c’est une anecdote. Notre église, c’est une paroisse, nous venons ici pour prier parce que nous sommes une communauté chrétienne », précise-t-il.

M. Colleoni n’est donc ni en faveur de la pétition, ni pour l’ajout d’une plaque. Selon lui, le fascicule à l’entrée de l’église suffit. « Les gens qui viennent habituellement à l’église connaissent la situation. Les visiteurs, quand ils arrivent et qu’ils trouvent le fascicule, peuvent comprendre que ce n’est qu’un souvenir de l’histoire. »

Des saluts fascistes

Salvatore Martire, installé à Montréal depuis 1960, appuie la pétition. Il nous raconte qu’il y a près de 25 ans, lors d’un enterrement, il a vu des membres de la communauté entrer dans l’église en faisant le salut fasciste et adresser des éloges à Mussolini. Timidement, le guide de la paroisse nous confie lui aussi avoir été confronté à des profascistes venus à l’église pour honorer la mémoire du dictateur.

« Je sais qu’il y a des touristes qui viennent d’Italie et qui ont des sympathies pour le fascisme. Et je sais qu’ils viennent ici pour glorifier la mémoire de Mussolini. Ces gens-là, que j’ai reçus, sont surpris d’apprendre que nous ne partageons pas leur exaltation pour le fascisme et que nous ne gardons pas la fresque parce que nous sommes fascistes ou que nous adorons Mussolini », raconte M. Colleoni.

Le contexte

  1. Martire aimerait pour sa part qu’on explique les raisons de la présence de Mussolini dans la fresque de la paroisse italienne. Qu’on garde ou non la fresque dans l’église, ça ne me fait ni chaud ni froid, mais je pense que, si on la conserve, il faut expliquer l’histoire de Mussolini ; les gens doivent savoir ce qu’il a fait », nous souffle-t-il au bout du fil en italien. « Les jeunes qui sont nés après la guerre doivent au moins savoir qui est cette figure au-dessus de leur tête à l’église », affirme ce conseiller de la communauté calabraise du Canada.

Giuliana (nom fictif), une Italienne de 30 ans, fréquentait souvent l’église avec sa grand-mère. « Cette église, c’est un peu le pilier de la communauté italienne de Montréal. Personnellement, je n’ai jamais vraiment remarqué Mussolini sur la fresque et je ne pense pas que les gens de la communauté y aillent parce qu’ils le soutiennent », nous confie-t-elle en souhaitant toutefois garder l’anonymat. « J’ai vécu en Italie et je peux comprendre le choc pour certains Italiens qui débarquent ici.

Mais ce sont des gens éduqués. Il est important de comprendre les expériences de vie des immigrants italiens venus ici dans les années 1930. Ils n’avaient pas beaucoup d’éducation, c’était des gens pauvres.

Aujourd’hui, nous avons le privilège de nous intéresser à cela, mais nos grands-parents n’avaient pas le luxe de poser des questions », ajoute-t-elle. Giuliana nous avoue être en faveur de la pétition, mais ne pas savoir si elle souhaite se marier dans cette église. « Je ne pense pas qu’un fasciste qui a appuyé Hitler doit être sur le plafond de notre église, mais nous devons aussi comprendre le contexte de l’époque », conclut-elle.

Pour aller plus loin…

Le comité de la pétition demande l’ajout de plaques explicatives rédigées par des historiens sur le dictateur Benito Mussolini, la réécriture du fascicule de l’église consacré à la fresque, une plaque commémorative à la mémoire de Don Giovanni Minzoni et une plaque commémorative à l’extérieur pour tous les soldats canadiens morts en Italie pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Le comité recueille actuellement des signatures avant de présenter sa pétition à Patrimoine Canada et à la Ville de Montréal.

Patrimoine Canada n’avait pas répondu à nos demandes d’entrevue au moment d’écrire ces lignes.La pétition circule auprès de différentes personnalités, notamment du monde politique, et sera mise en ligne sous peu.Benito Mussolini sur la fresque de Guido Nincheri à l’église Notre-Dame-de-La Défense.

Photo : Pablo Ortiz

L’actualité à travers le dialogue.
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