La maison-mère de la congrégation des Soeurs de Sainte-Anne à Lachine.
Justice sociale
D’anciennes élèves demandent des comptes aux Sœurs de Sainte-Anne
23/6/21
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Cet article traite du système des pensionnats autochtones,  un sujet qui peut réveiller des souvenirs liés aux traumatismes provoqués par des abus passés. Un soutien aux survivants et à leurs familles est disponible. Appelez en tout temps la ligne de crise de la Société des survivants des pensionnats autochtones au 1-800-721-0066, 1-866-925-4419 pour la ligne de crise en tout temps.

Les anciennes élèves d’écoles secondaires fondées par les Sœurs de Sainte-Anne demandent des comptes après la découverte d’une fosse commune au pensionnat de Kamloops, dont la congrégation religieuse avait la responsabilité.  

Les diplômés du Collège de Sainte-Anne et de Queen of Angels Academy ont eu froid dans le dos la semaine dernière.

Un héritage à Lachine qui s’étend

En 1861, les Sœurs de Sainte-Anne ont fondé à Lachine le Collège Sainte-Anne, un établissement francophone qui offre maintenant une éducation primaire, secondaire et collégiale. Le Collège de Sainte-Anne opère également une école primaire et une école secondaire sur l’ancien site de l’école Queen Of Angels, à Dorval.

Elise Legault, qui a obtenu son diplôme secondaire de l’établissement de Lachine en 2007, a vivement réagi en prenant connaissance de la présence des Sœurs fondatrices dans les pensionnats autochtones. C’est l’enquête de La Converse qui l’en a informée. Elle a depuis rédigé une lettre au directeur de son ancienne école secondaire, Ugo Cavenaghi. «Votre prestigieux collège est une manifestation ostentatoire du legs de la congrégation des Sœurs de Sainte-Anne. Votre vision s’en inspire. L’expansion incessante de votre entreprise et votre déploiement d’élèves-ambassadeurs à l’international portent la marque du missionnaire. Vous exhibez fièrement l’histoire des Sœurs de Sainte-Anne que vous qualifiez de “Grand Héritage”. Suis-je donc dans le tort de m’attendre à une réaction de la part du Collège Sainte-Anne? », écrit-elle dans la lettre qu’elle nous a fait parvenir. À ce jour, le directeur n’a pas répondu à ses questions. Mme Legault dénonce « la mission meurtrière » des religieuses perpétrée à travers le pays. « Je suis allée au Collège Sainte-Anne de Lachine, j’ai porté ce blason », soulève-t-elle avec véhémence.

La professionnelle en communications n’a pas souvenir que les pensionnats aient été mentionnés dans ses cours d’histoire. À l’époque où elle fréquentait l’école secondaire, les Sœurs de Sainte-Anne avaient quitté l’administration de l’école.

 

Malgré la proximité de la maison-mère et du couvent attenants, elles n’étaient plus impliquées dans la vie scolaire, et Mme Legault n’était pas au courant de leurs missions. « Le lieu était tout de même imprégné de religion. L’héritage des Sœurs de Sainte-Anne y était très ostentatoire », se rappelle-elle. Mme Legault, qui n’est pas tendre envers l’héritage des Sœurs, se désole également que l’administration de l’école refuse de se prononcer alors que son nom désigne l’appartenance à la congrégation. Elle croit que l’établissement souhaite préserver son image à tout prix.

« Ils aiment l’attention et se faire célébrer. Mais il faut agir selon les valeurs qu’ils disent porter. La direction devrait user de ses pouvoirs et de son privilège pour poser des questions et demander des comptes à la congrégation », lance l’ancienne élève qui a fait parvenir sa demande par écrit à la direction. Elle souhaite également que les Sœurs de Sainte-Anne rendent des comptes. « Je veux leur pleine collaboration afin de rendre les archives disponibles aux nations autochtones, qui décideront ensuite ce qu’elles veulent en faire. » Elle pointe du doigt l’entente qui stipule que ces archives soient sous la tutelle des religieuses jusqu’en 2027. « Considérant le contexte, ça me semble irrespectueux. »

Le 3 juin dernier, nous nous sommes présentés au Collège de Saint-Anne, à Lachine. L’endroit rappelle la maison-mère des Sœurs de Sainte-Anne, non loin. L’administration n’a pas souhaité nous recevoir et nous a invités à communiquer par courriel avec le département des communications. Nous avons envoyé des courriels à maintes reprises à plusieurs membres du personnel. Au moment d’écrire ces lignes, nos courriels sont restés sans réponse.

Le silence à Queen of Angels Academy

Les élèves de l’école secondaire Queen of Angels Academy (QAA), fondée en 1888 par les Sœurs de Sainte-Anne à Dorval, demandent aussi des réponses aux religieuses. « Je suis tombée de ma chaise », s’exclame Catherine Doyle, qui a obtenu son diplôme de l’école secondaire pour filles en 1989, au sujet du moment où elle a été informée que les religieuses qui lui ont enseigné étaient liées aux restes de 215 enfants autochtones retrouvés au pensionnat de Kamloops.

C’est un gazouillis du First Nations Leadership Council demandant au premier ministre que les archives de l’Église catholique hébergées par la province de la Colombie-Britannique soient rendues publiques, qui l’en a informée. « Les Sœurs de Sainte-Anne ont enseigné à des générations de jeunes femmes à Queen of Angels », relate-t-elle. Mme Doyle, à qui des religieuses enseignaient, n’avait jamais su que les sœurs étaient liées aux pensionnats autochtones. « Nous savions tous que la congrégation se consacrait à l’éducation.

On nous a enseigné l’histoire de la fondatrice et des écoles que les Sœurs ont créées à Montréal », nous dit-elle au bout du fil. D’après elle, le sujet des pensionnats autochtones n’était pas abordé. Avec une camarade, Amy McLean, Mme Doyle a informé un groupe d’anciens élèves de sa découverte. Les réactions ont été vives. Même son de cloche du côté des élèves qui ont fréquenté l’école privée anglophone de Dorval récemment, avant que l’établissement ne ferme ses portes en 2014. Des religieuses vivaient sur le campus.

Après avoir lu l’enquête de La Converse, Mme Doyle a souhaité demander des comptes à la congrégation. Plusieurs anciennes élèves ont aussi envoyé des lettres aux Sœurs de Sainte-Anne en Colombie-Britannique et à Lachine. Les anciennes étudiantes ont formulé un appel à l’action demandant aux Sœurs de divulguer leurs registres et archives. « Nous estimons aussi qu’elles doivent reconnaître les faits et s’excuser pour leur implication. Et nous pensons qu’il est important de ne pas se contenter de s’excuser, mais qu’il doit y avoir une action associée aux excuses. Elles doivent prendre des mesures et faire amende honorable pour leur rôle dans les souffrances, le tort et la dévastation culturelle qu’elles ont causés par le biais des pensionnats autochtones », croit Mme Doyle, qui avoue être déçue du manque de transparence de la congrégation.

Des générations d’élèves autochtones

Hayley Morris, ancienne élève de Queen Of Angels Academy, devant l’église Saint François-Xavier, à Kahnawá:ke, et les chaussures laissées en commémoration par les membres de sa communauté.
Photo: courtoisie de Hayley Morris

Comme de nombreuses femmes et filles de sa communauté, Megan Kanerahtenha:wi Whyte, artiste et professeure d’art-thérapie autochtone, a étudié à la Queen of Angels Academy, duquel elle a obtenu son diplôme secondaire en 2007. Elle a suivi les traces de sa mère qui, une génération plus tôt, avait fréquenté l’établissement. Chaque jour, un autobus scolaire l’amenait en compagnie de ses camarades de Kahnawá:ke à Dorval.

« À l’époque, les frais de scolarité étaient très abordables, car les sœurs souhaitaient rendre l’éducation accessible à tous, peu importe la classe sociale », se rappelle-t-elle. C’est par le biais d’une publication de Christine Boyle dans un groupe en ligne de finissants de l’école que Mme Kanerahtenha:wi Whyte a pris connaissance de l’implication des Sœurs de Sainte-Anne dans les pensionnats autochtones. Après le choc initial, elle a vécu toute une gamme d’émotions. « C’était une surprise, mais aussi sans surprise » dit-elle en expliquant la manière dont l’histoire des pensionnats autochtones est inextricable de celle de sa famille et de sa communauté.

« La surprise était qu’il s’agissait de l’école que j’ai fréquentée. Mais ce n’était pas si surprenant, car elle était administrée par des religieuses », confie celle qui a mis du temps pour digérer la nouvelle. Elle y réfléchit encore, soulevant la notion du traumatisme intergénérationnel. « Ce sont des choses dont nous avons entendu parler en grandissant. Ce sont la déception, la colère et les blessures que ça ravive », en témoignant de la découverte des 215 corps à Kamloops. Même si les pensionnats ne sont plus en opération, il s’agit pour l’artiste d’une histoire vivante, qui a un impact durable sur les communautés et les familles autochtones, hier comme aujourd’hui.

Plusieurs membres de sa famille ont fréquenté les externats autochtones, ces écoles obligatoires où les élèves n’étaient pas des pensionnaires. Son grand-père est un survivant des pensionnats. « Avant, sa famille et lui parlaient couramment la langue. Dans la génération de mon père et dans la mienne, on n’a pas accès à la langue », explique l’artiste avec émotion. « C’est un effet direct des pensionnats sur ma propre famille. Lorsque j’étais jeune, puis en tant que parent, je me suis battue très fort pour apprendre ma langue et m’assurer que ma fille connaisse sa langue.

Ce sont les choses auxquelles je réfléchis depuis que j’ai entendu la nouvelle des Sœurs de Sainte-Anne : toutes les implications du pensionnat dans ma famille et ma communauté, savoir comment ça m’affecte, comment ça affecte ma famille et mes enfants. C’est beaucoup », nous confie-t-elle. Elle se remémore son passage à l’école secondaire. « On y mentionnait que les Algonquins et les Iroquois ont existé. En cinq ans d’éducation, il n’y a eu que quelques minutes dédiées à l’histoire autochtone », dit-elle de ses cours d’histoire.

« Quand j’étais jeune, ça m’a semblé très peu valorisant. Comme si je n’étais pas une vraie personne. » Hayley Morris est allée à Queen of Angels Academy durant les deux premières années du secondaire, avant de terminer son parcours dans une différente école secondaire privée en 2014. L’étudiante en comptabilité prenait l’autobus en provenance de la réserve de  Kahnawá:ke, accompagnée de ses camarades de classe. « Ça me brise le cœur de découvrir qu’une école que j’ai fréquentée était associée à une telle chose », affirme la jeune femme.

« J’y ai passé un bon moment,  j’y ai été vraiment bien accueillie, comme tous les étudiants autochtones qui étaient inscrits », se remémore Mme Morris. « C’est difficile. Ça me rend triste et en colère », exprime-t-elle, après avoir appris la nouvelle vendredi dernier dans les médias.

L’étudiante, qui travaille au Mohawk Council dans le département des finances, souhaite que les Sœurs de Sainte-Anne reconnaissent leur responsabilité. « Pour moi, le premier pas vers la réconciliation, c’est la reconnaissance. Si vous ne le faites pas, c’est une véritable gifle », croit-elle.

Entre réconciliation et traumatisme intergénérationnel

« Reconnaître le fait que ces atrocités ont eu lieu dans les gouvernements et l’Église, écrire des livres d’histoire et discuter  », voilà ce que propose Mme Morris comme première étape vers la réconciliation. S’il peut selon elle s’agir d’une expression à la mode, la jeune femme souhaite tout de même qu’ensuite, avec ces discussions, chacun se pose la question : « Que pouvons-nous faire à ce sujet? ».  Mme Kanerahtenha:wi Whyte aborde énormément le sujet de la réconciliation à travers la thérapie par l’art et l’art communautaire, tout comme les notions de sécurisation culturelle et de traumatisme intergénérationnel.

« Les pensionnats étaient destinés à créer une coupure, de toutes les manières possibles et imaginables. Comment rebâtir les ponts coupés, ensemble? Comment pouvons-nous établir des relations ensemble en sachant d’où nous venons? », demande-t-elle. Réparer une relation, voilà comment l’artiste décrit la réconciliation, un terme pour lequel elle a des sentiments partagés.  « Cela implique qu’il y ait une relation au départ », souligne-t-elle. « Si on y réfléchit bien, il n’y jamais eu de relation saine avec les peuples autochtones depuis l’assaut de la colonisation. Et il n’y en a toujours pas. » Pour arriver à la relation saine désirée, il faut la bâtir sur l’écoute, l’empathie et rejoindre les gens là où ils sont, croit la professeure d’art-thérapie.

« C’est la base. Il faut se voir », observe-t-elle. Pour Megan Kanerahtenha:wi Whyte et Hayley Morris, il est également crucial de démanteler les stéréotypes et de comprendre les traumatismes intergénérationnels.  « J’ai l’impression que les gens ont besoin de comprendre ce qui s’est passé dans l’histoire pour que ça se transmette dans les familles. Il faut que les gens comprennent ce que les autochtones ont vécu et continuent à vivre pour faire la lumière sur les formes de colonisation et de violence systémique qui se perpétuent aujourd’hui », affirme Kanerahtenha:wi Whyte, qui souhaite que ces questions sont également abordées à la table politique.

« On commence avec les pensionnats, mais il y a des problèmes de sociétés qui découlent des choses horribles que les gens ont vécues, notamment les traumatismes et l’alcoolisme », ajoute-t-elle. « Si les gens comprenaient d’où ça provient, ils seraient moins ignorants », croit-elle.Les élèves de l’école secondaire pour filles Little Flower Academy, fondée par les Sœurs de Sainte-Anne en Colombie-Britannique, réclament également des excuses de la part de la congrégation religieuse.

Mise à jour des Sœurs de Sainte-Anne

Depuis notre publication du 14 juin dernier, la congrégation religieuse a mis à jour la page d’accueil de son site web. On y retrouve maintenant une section intitulée « Pensionnats Indiens ».

 « Il y a quelques années, avec une profonde tristesse et un grand regret, nous avons réalisé que certains des postes d’enseignement acceptés par les Sœurs de Sainte-Anne en Colombie-Britannique étaient destructeurs pour les enfants que les sœurs avaient l’intention de servir.  Ces postes se trouvaient dans quatre « Indian Industrial Residential Schools ». Kamloops était l’un d’entre eux », y lit-on. La congrégation ajoute qu’elle regrette d’y avoir contribué.

Depuis le 21 juin dernier, les Soeurs de Sainte-Anne ont signé une nouvelle entente avec le Musée royal de la Colombie-Britannique concernant l’accès à leurs archives. L’entente prévoit un meilleur dialogue avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation ainsi que le Centre d’histoire et de dialogue sur les pensionnats autochtones.

Pour aller plus loin
La Converse s’est entretenue avec la mère supérieure des Sœurs de Sainte-Anne, la congrégation québécoise qui a été impliqué au pensionnat de Kamloops. Voici un extrait de notre entrevue:

https://www.youtube.com/watch?v=6_BPGtxBolU&t=2s&ab_channel=LACONVERSE

L’actualité à travers le dialogue.
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