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Carlos Rojas:  « l'immigration est devenue l'otage de causes politiques »
Carlos Rojas est un Mexicain-québécois qui dirige le Conseil Migrant, une organisation à but non lucratif qui aide les migrants au statut précaire. Photo: courtoisie de Carlos Rojas
30/3/2024

Carlos Rojas: « l'immigration est devenue l'otage de causes politiques »

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

Le mur Facebook de Carlos Rojas est un flux constant d'informations pour la communauté qui le suit, entrecoupé de messages de bienveillance et d'actions pour le changement climatique. Ses réseaux reflètent le mode de vie de ce Mexicain-québécois, qui partage ses journées entre un travail de 9h à 17h et le bénévolat en faveur des migrants au statut précaire.

Carlos est cofondateur et directeur de Conseil migrant, une organisation à but non lucratif basée à Montréal qui aide les personnes à statut précaire, les demandeurs d'asile et les travailleurs temporaires.

Mais le travail de cet administrateur d'entreprise formé au Tecnológico de Monterrey (le Harvard mexicain) va bien au-delà. Il est fréquent de le voir sur ses réseaux demander de l'aide pour obtenir un rendez-vous médical pour une personne sans statut ou participer à des manifestations en faveur de la régularisation des sans-papiers.

Ce grand gaillard à la voix chaleureuse et aux gestes doux ne se définit pas comme un activiste ou un militant, mais il soutient avec passion les organisations qui assument ce rôle en faveur des migrants, surtout à l'heure où le gouvernement canadien a exprimé un projet de régularisation des sans-papiers.

« Il y a des centaines d'organisations à travers le Canada qui se sont synchronisées avec une énergie positive pour participer », explique-t-il  à propos des récentes pétitions que les organisations ont publiées, exigeant de Marc Miller, le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada, des détails sur le plan de régularisation annoncé en novembre et promis pour ce printemps. Un programme qui serait pourtant remis en cause, apprend-on ce 25 mars. À cet égard, Carlos Rojas a prévenu qu’il « s’agissait d’une occasion perdue, car [sans la régularisation des sans-papiers] la societé continuera à avoir une économie fictive et les sans-papiers continueront à être victimes d’abus ».

Ces organisations font entendre leur voix dans un contexte pré-électoral au Canada, où le discours politique a imprégné l'opinion publique au point que, selon les sondages, 50% de la population canadienne considère qu'il y a trop d'immigrants.

« La vérité c’est que l'immigration est devenue l'otage de causes politiques et le grand problème c’est que le Canada achète un discours qui ne lui correspond pas ».

Une vie différente

Pour ce spécialiste du commerce international et du changement climatique, le lien avec les migrants a commencé aux États-Unis, un pays où il a étudié plusieurs années à l'université de Columbia avant de travailler au consulat mexicain. Avec le recul, Carlos reconnaît qu'il se destinait à une autre carrière professionnelle.

« Je suis le premier de ma famille à aller à l'université, grâce au travail de mes parents et à une bourse (...). Je me  dirigeais vers un environnement complètement différent, dans les affaires. Lorsque je suis parti étudier le changement climatique aux États-Unis, j'ai vu un autre mode de vie. C'est là que j'ai découvert mon pays, curieusement, en dehors du Mexique, par la voix des migrants. C'est là aussi que j'ai appris à connaître de nombreux pays des Amériques, car j'ai été confronté à des migrants venus de partout, qui avaient traversé le désert », se remémore-t-il avec une certaine nostalgie.

Lorsqu'on lui demande pourquoi il consacre une partie de sa vie à la défense des migrants au statut précaire, Carlos mentionne une histoire, l'une des milliers qu'il a recueillies depuis plus de 20 ans.

« Lorsque j'étais aux États-Unis, j'ai emménagé dans un appartement avec un colocataire. Un jour, il m'a proposé d'aller au McDonalds (...). À la fin du repas, il a commandé deux autres repas pour le lendemain. Sur le chemin du retour, nous étions dans la voiture et il a vu un homme sur la chaussée. Il lui a demandé comment il allait, et s'il venait d'arriver (en tant qu'immigrant) et l'homme a répondu par l'affirmative. Il lui a demandé s'il avait un endroit où dormir et s'il avait mangé. Comme ce n’était pas le cas, mon ami lui a alors proposé de monter dans la voiture. Il lui a montré où trouver de l'aide, où dormir, et lui a donné la nourriture supplémentaire qu'il avait achetée. L’échange s’est arrêté là. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il faisait tout cela pour quelqu'un d'autre, il m'a répondu : parce que quelqu'un l'a fait pour moi à mon arrivée ».

Carlos a autant d'histoires que les migrants qu'il a rencontrés tout au long de son parcours. Bien que certaines d’entre elles soient publiques, puisqu'il les a partagées sur ses réseaux, il préfère ne pas préciser les noms ou les anecdotes « parce que je n'ai pas la permission ». Lorsqu'il parle des personnes sans statut avec lesquelles il a interagi dans des situations d'urgence, les circonstances sont telles que le simple fait de raconter les événements lui fait monter les larmes aux yeux.

Invisibles, mais nécessaires

Les situations d'urgence vécues par les migrants à statut précaire, y compris les travailleurs temporaires pour lesquels Carlos Rojas et son équipe se mobilisent, sont généralement liées aux services de santé et aux services juridiques.

Montréal a été déclarée ville sanctuaire en février 2017, ce qui signifie que tous les membres d'une communauté peuvent accéder aux services de la ville sans être interrogés sur leur statut d'immigration. Pourtant, dans la pratique, il est très difficile pour les personnes sans papiers d'accéder à ces services.

Selon les données de 2017, Montréal abritait cette année quelques 50 000 personnes sans-papiers, soit 10 % du nombre total de sans-papiers au Canada.

« Le fait même que nous ne disposions pas d'études récentes témoigne d'un manque d'intérêt et d'une absence de réflexion stratégique. La seule étude qui a été réalisée et qui est toujours citée par le gouvernement, près de dix ans plus tard, indique qu'il y avait environ 500 000 immigrants sans papiers au Canada. Ce chiffre pourrait être d'un million aujourd'hui. « Il faut être prudent avec ce chiffre, car l'idée n'est pas d'effrayer les gens », dit-il, mais plutôt de montrer à quel point les immigrants sont nécessaires, car ce sont eux qui font fonctionner, en partie, le moteur de l'économie canadienne. Pour Carlos, « les migrants sans papiers sont de facto des esclaves » .

Qu’entend-il par « esclaves » ? « Ce sont des personnes qui n'ont aucun droit », prévient-il. « Les gens et les Québécois ne comprennent pas et ne savent pas ce que ces personnes font pour eux. Les tomates que vous mangez sont ensanglantées. Chaque année, à chaque saison de récolte, trois ou quatre travailleurs migrants meurent et ce sont des morts évitables. Les travailleurs agricoles ont trois, quatre, cinq fois plus de risques de mourir. Derrière votre bureau propre se cache  l’histoire de quelqu'un qui a travaillé toute la nuit, une personne qui avait peut-être des rêves, des idées, des désirs, etc., et qui vient et se limite à cela. Lorsque vous appelez votre banque et que quelqu'un vous répond, il s'agit probablement d'un professionnel qui n'a pas trouvé d'autre emploi », explique-t-il. Son agacement en évoquant  ces circonstances se lit sur son visage.

« Nous avons une vie qui est très agréable, mais elle est construite sur la souffrance de beaucoup de gens », ajoute-t-il.

Le profil de ces personnes n'est pas homogène, un élément que Carlos tient à souligner. « Lorsque l'on parle de personnes sans statut, ou à statut précaire, on imagine immédiatement un type de personnes très particulier. En réalité, il s'agit d'un véritable arc-en-ciel de personnes. Nous avons rencontré de tout : la partenaire d'un étudiant en doctorat dans un domaine d'intérêt stratégique pour le Canada, dont l'assurance ne couvrait que lui et pas elle, des personnes qui, en raison d'erreurs bureaucratiques, se sont retrouvées sans statut. Les choses ne sont pas aussi noires et blanches que beaucoup voudraient nous le faire croire ».

« La plus grande force du Canada à l'heure actuelle est l'immigration »

Malgré les conditions dans lesquelles vivent des milliers de personnes à statut précaire, pour Carlos Rojas, le système d'immigration canadien fonctionne. Ce n'est pas qu'il soit optimal, mais il considère que si on le compare à d'autres pays, c'est un système qui fonctionne, au moins dans l'accueil des migrants.   « Et nous l'avons vu en 2017, avec les 50 000 personnes qui sont venues des États-Unis. Nous n'avons pas vu de personnes dans les rues. Le Canada a un bon système par rapport à d'autres pays », répète-t-il.

Mais le directeur du Conseil Migrant assure que le travail est urgent pour la régularisation des migrants sans statut, et pour l'amélioration des conditions de vie des travailleurs temporaires et de toutes les personnes à statut précaire au Canada.

« Les conflits internationaux obligent les pays à réorienter leurs économies. Les États-Unis semblent être dans une économie de guerre : ils rapatrient des industries, abaissent les exigences pour recruter dans l'armée. Les conflits sont à l'ordre du jour partout. À l'heure actuelle, la plus grande force du Canada est l'immigration », souligne-t-il.

Afin de réformer le système d'immigration canadien, il est nécessaire de poursuivre les recherches dans ce domaine. « La migration est l'un des phénomènes les plus anciens, mais aussi l'un des moins étudiés. C'est un domaine qui mériterait un champ d'étude, des diplômes en insertion migratoire ou même en ingénierie migratoire », explique-t-il.

Outre les experts, il est nécessaire que la société reconnaisse enfin l'immigration clandestine ou précaire, ce à quoi s'emploie également le Conseil migrant.

« Il faut que le public comprenne que l'immigration n'est pas un problème comme on le prétend. Le Canada est un pays de migrants. Et la vérité, c'est que l'avenir du pays continuera à se développer grâce aux migrants. Même si les néo-Canadiens ont beaucoup d'enfants, nous avons besoin que d'autres personnes viennent s'installer au Canada. Mais nous devons aussi améliorer le système avec une vision humanitaire ».

Sans avoir de boule de cristal, Carlos Rojas pense que les gens continueront de venir. Et ce, malgré les expulsions  et les voyages dangereux auxquels s’exposent les exilés, comme le Darien, la traversée du Rio Grande où les températures extrêmes de l'Amérique du Nord. D’où l’importance d'agir maintenant, pense-t-il.

« Nous devons élargir les possibilités afin que les personnes qui viendront de toute façon ne soient pas laissées pour compte, afin de ne pas les rendre invisibles. Nous ne devons pas les forcer à vivre en marge de la loi. Cela revient à donner plus de pouvoir aux groupes criminels. Quand on a fermé le chemin Roxham, la seule chose qu'on a faite, c'est d'augmenter les frais à Tijuana pour les gens qui amènent des immigrants francophones au Québec. C'est ce qui va se passer, par exemple, avec la nouvelle obligation de visa pour les Mexicains. Nous ne pouvons pas répéter les politiques ratées des États-Unis », déclare-t-il.

Carlos Rojas est convaincu qu'il vit dans un pays d'opportunités. Il est lui-même venu au Canada en tant qu'immigrant dans le cadre du programme des travailleurs qualifiés.  Lorsqu’on lui dit qu'il n'aime pas le Québec parce qu'il est critique à l'égard du système, il répond que c'est parce qu'il aime cette province et ce pays ; il veut qu'il aille de mieux en mieux.

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