Un portrait de coach Abdel
Hood Heroes
Hood Heroes - épisode 10 : coach Abdel, le grand frère des jeunes sportifs à Saint-Michel
10/11/23
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« Bonjour, coach ! » Les voix des adolescents en tenue de sport retentissent dans le grand gymnase où leur entraînement de soccer va avoir lieu. Un à un, les jeunes passent par Abdel pour lui serrer la main avant d’aller se préparer dans leurs vestiaires respectifs. 

Abdelaziz Mohamad a toujours été quelqu’un de sportif et d’enjoué. C’est du moins ce que pensent ses jeunes, qu’il entraîne depuis cinq ans maintenant. « Je suis avec eux depuis qu’ils sont en première année du secondaire. Aujourd’hui, je les accompagne dans leur dernière année. Je les ai vus grandir », explique d’emblée Abdel.

Parmi les ballons de soccer qui s’éparpillent un peu partout sur le sol ciré du gymnase, La Converse accompagne le coach Abdel au cours d’un entraînement avec ses jeunes. Fréquentant lui-même les couloirs de l’école secondaire Joseph-François-Perrault, il a décidé de redonner à sa communauté en aidant les adolescents par l’entremise du sport. 

Un parcours atypique 

« J’ai un parcours assez atypique, débute alors l’entraîneur. J’ai étudié ici, à l’école Joseph-François-Perrault, qu’on appelle “JFP”. » Abdel a également joué pour l’équipe de futsal (soccer intérieur) de l’école secondaire, quelques années avant d’en devenir l’entraîneur. « Ensuite, je suis allé au cégep du Vieux Montréal, en sciences humaines, profil Individus », poursuit-il. 

Au début de l’âge adulte, Abdel fait face à certaines difficultés qui l’empêchent de poursuivre ses études à temps plein. « J’ai fini le cégep, mais je n’ai pas été en mesure de continuer mes études supérieures à l’université, regrette-t-il. J’ai continué à travailler, j’ai cumulé plusieurs emplois, à temps partiel ou plein, de nuit comme de jour. Ça m’a permis de développer un rythme de vie. »

Abdel déclare qu’il n’a jamais eu l’intention d’arrêter ses études, mais que la vie en a décidé autrement. « Pendant ma jeunesse, j’ai été confronté à beaucoup de problèmes familiaux. Ça n’a pas toujours été facile : des séparations, des disputes, il y en avait très souvent. J’ai été élevé dans une famille aimante, mais il y avait quand même beaucoup de problèmes à la maison », confie-t-il. Il réfléchit pendant quelques secondes, puis continue : « Ça n’a pas toujours été rose. J’ai vécu des situations avec des membres de ma famille qui m’ont poussé vers la porte. » 

À peine majeur, Abdel se retrouve donc seul et doit apprendre à vivre en ne comptant que sur lui-même. « J’ai dû me prendre en main tout seul, et ç’a été très difficile. Je vivais dans une chambre en colocation avec des inconnus – même pas des amis. À ce moment, j’avais un travail à temps partiel et je continuais l’école. Mais ça n’a pas duré : ce n’était pas évident à l’âge que j’avais de jongler avec les deux en même temps. »

Ces moments plus sombres n’ont cependant pas atteint Abdel. « Je me suis battu et je n’ai pas abandonné. Mon objectif, c’était d’avoir mon propre chez-moi, d’être indépendant et de cesser de partager un foyer avec d’autres gens. » Après un nouveau moment de silence, Abdel continue en expliquant que sa détermination l’a poussé à patienter et à économiser pour pouvoir arriver à ses fins, quelques années plus tard. 

Aujourd’hui, cela fait trois ans que l’entraîneur de 25 ans habite seul. « Je gère tout ce que j’ai à gérer par moi-même, je suis autonome », déclare-t-il fièrement.

Les études ou la survie 

S’il a de quoi être fier du chemin parcouru, Abdel ne nie pas qu’il ait dû faire des sacrifices. « J’ai dû interrompre mes études. Travailler à temps plein ne me permettait pas de renouer avec l’école », explique-t-il. Le coach raconte qu’il aurait pu continuer à aller à l’école, mais ne pense pas qu’il aurait pu le faire « proprement ». « Aller à l’école, c’est bien beau, mais avoir de bons résultats, c’est mieux. Je ne voulais pas aller à l’école pour bâcler mes études. » 

Malgré tout, le jeune homme estime que l’interruption de sa scolarité n’est que temporaire. « J’envisage de retourner à l’école, évidemment. C’est même mon objectif présentement. Je travaille très fort pour pouvoir me permettre de retourner à l’école de la bonne manière. Je veux me concentrer et réussir », laisse-t-il tomber avec détermination. 

Être un grand frère pour ses jeunes 

En plus d’être entraîneur, Abdelaziz est aussi un grand frère. Son cadet a aujourd’hui 18 ans. « Ma relation avec mon frère m’a beaucoup appris sur les jeunes. On ne s’en rend pas compte, mais quand on grandit avec un frère plus jeune, on apprivoise tranquillement le contact avec les jeunes. Savoir quoi dire à mes jeunes, ça aide », déclare-t-il.

Junior, Khaled et Sebastian sont trois des membres de l’équipe qu’entraîne Abdel. Ces trois jeunes, le coach les a vus grandir. C’est même eux – et le reste de l’équipe – qui ont demandé à Abdel de continuer à les entraîner pour une cinquième année consécutive, alors qu’il songeait à prendre une pause. Après l’entraînement du dimanche après-midi, ils viennent nous parler de leur entraîneur. 

« Coach Abdel, c’est comme un grand frère », commence Junior. Capitaine de l’équipe de soccer intérieur, il confie que son entraîneur l’a pris sous son aile dès sa rentrée au secondaire. « Non seulement on apprend de lui, car il est bon au soccer, mais il nous montre aussi qu’il nous apprécie au-delà du sport », continue l’adolescent de 16 ans. « C’est quelqu’un de très discipliné, et il nous apprend cette discipline. Il nous encadre, mais nous aide en même temps ; ça nous motive beaucoup », termine-t-il. 

Il est suivi par Khaled, son coéquipier, qui confie qu’en plus de les épauler dans le sport, l’ancien élève de JFP les aide dans leur vie de tous les jours. « Il m’aide beaucoup à avoir confiance en moi et à oser. Au début, c’était dans le sport, mais en grandissant avec lui, ça m’a poussé à devenir plus confiant dans les autres aspects de ma vie », explique-t-il, encore un peu essoufflé par l’exercice physique qu’il vient de faire. 

Pour sa part, Sebastian connaît Abdel depuis qu’il est en première secondaire. Aujourd’hui, il est finissant et considère son entraîneur comme étant une personne de confiance. « Il m’a montré qu’il croyait en moi. Ça m’a aidé sur le terrain, mais ailleurs encore plus. C’est une personne incroyable, généreuse, gentille, drôle », énumère-t-il dans le vestiaire de son école secondaire. 

Le sport comme remède aux problèmes

« Quand ils entrent sur le terrain, j’apprends à mes joueurs qu’il y a des trucs qu’ils peuvent faire et d’autres non. Qu’ils ont des coéquipiers sur le terrain et qu’ils doivent s’estimer comme des frères. Qu’ils ne peuvent pas se maltraiter, qu’ils doivent s’entraider et se motiver. C’est la même chose dans la société », énumère l’entraîneur. 

Du même souffle, il ajoute que le sport constitue une solution – parmi d’autres – aux problèmes de la rue. « Ces problèmes, les jeunes y sont exposés tous les jours, surtout dans les quartiers délaissés et défavorisés. On entend beaucoup parler des crimes, de la violence armée, de la consommation et de la vente de drogue chez les jeunes », commence-t-il. Selon lui, ces problèmes auxquels les jeunes sont confrontés découlent en grande partie de leur entourage et des milieux qu’ils fréquentent en grandissant. « Personne ne va se lever un beau jour et va décider de commencer à deal de la drogue ou d’aller s’acheter une arme. C’est une question d’influence », raconte-t-il. 

Prévenir ces problèmes passe par l’intervention auprès des jeunes, affirme l’entraîneur de Saint-Michel. « Si on prépare les jeunes et qu’on les entoure, ils sauront mieux réagir face à ces influences-là. On peut vraiment limiter et diminuer les dégâts à l’extérieur. Je pense qu’un jeune qui est concentré, qui a la tête sur les épaules, qui est bien entouré et qui a de bonnes valeurs ne se laissera pas facilement influencer ou attirer dans des histoires sombres », affirme-t-il. 

Pour ce qui est de l’entraînement, il estime qu’il fait son travail d’intervention auprès des jeunes grâce au sport. « On l’oublie souvent, mais le sport, ça pousse les jeunes à devenir très disciplinés. Si tu veux continuer à jouer, tu dois être un minimum organisé et ponctuel : des qualités nécessaires à l’âge adulte », compare-t-il. Au-delà de la discipline, le soccer a aussi un effet positif sur le moral des jeunes. « Personnellement, quand je ne me sens pas top, il me suffit de toucher un ballon, et j’oublie tout. Je sais qu’après, je peux me relancer, je peux recommencer. Cette mauvaise énergie, elle s’en va, et c’est la même chose pour les adolescents. C’est quelque chose de vraiment spécial qu’ils vivent en s’entraînant ici », dit-il, sourire aux lèvres. 

« On ne peut pas contrôler la culture du dehors »

Avec du recul, qu’il a acquis à force de côtoyer les adolescents, Abdelaziz estime que ce dont les jeunes manquent, c’est de la motivation et des valeurs. « Dans un quartier comme ici, à Saint-Michel, les jeunes touchent un peu à tout. Quand ils sont à l’école, ils sont encadrés, ils agissent d’une façon plus disciplinée. Lorsqu’ils sortent des murs de l’école, ils se retrouvent dehors, et on ne peut pas vraiment contrôler la culture du dehors. »

Cette « culture du dehors » est une référence à ce qui se passe dans la rue, dans le hood. Ce hood, il a souvent une connotation négative à Saint-Michel. 

Abdel rappelle néanmoins que, lorsqu’on est adolescent, on est très influençable et on prend plus facilement des décisions impulsives qui ont des conséquences négatives. « Quand un jeune de 15 ou 16 ans commence quelque chose de mauvais – en lien avec les problèmes dont on parlait plus tôt –, il ne se rend pas nécessairement compte de ce qu’il fait. Il n’a pas nécessairement un objectif négatif, il est souvent persuadé qu’il sait ce qu’il fait. Mais il ne le sait pas, et il faut qu’on rappelle toujours aux jeunes de réfléchir avant d’agir et de penser à l’avenir », explique-t-il. 

En terminant, Abdel souhaite passer un important message aux jeunes : « Tout ce qu’on fait a des répercussions sur l’avenir. Vraiment. Il faut se concentrer sur l’importance de la vie. » Un brin émotif, il se reprend : « Je peux vous confirmer que la vie, c’est vraiment éphémère. Il y a des gens qui meurent tous les jours. Dès qu’on prend une décision, il faut penser à où elle va nous mener, qui elle va toucher. Agir impulsivement, ça ne mène nulle part », conclut coach Abdel.

En inculquant des valeurs liées au sport à ses jeunes, Abdel souhaite « ne pas seulement modeler des athlètes, mais aussi des hommes, de futurs adultes ». Il continue sur sa lancée en affirmant qu’il souhaite « former des jeunes respectueux, motivés et, surtout, cultivés – qui souhaitent toujours continuer à apprendre » et espère que « le négatif qui arrive dans leur vie les pousse à avancer et non à régresser ».

L’actualité à travers le dialogue.
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