En 1995, Nourmohamed Ibragimov arrive au Canada avec sa femme et ses trois garçons. Ils deviennent alors la première famille ouïghoure à s’installer au pays. Nourmohamed, qui a 45 ans à l’époque, a déjà eu plusieurs vies. Né au Turkestan oriental, une région aussi appelée le Xinjiang, en 1950, il n’a que 5 ans quand sa famille, fuyant la répression chinoise, quitte sa terre natale pour l’URSS.
« La Chine avait commencé la destruction et le génocide. Mes parents ont donc décidé de quitter le pays », raconte-t-il. Même s’il n’y a pas vécu longtemps, Nourmohamed reste très attaché à son pays d’origine, le Turkestan oriental. Il décrit l’endroit comme un grand territoire qui est rempli de richesses naturelles et qui possède une culture unique.
C’est avec une pointe de tristesse que l’homme nous raconte son enfance passée dans la partie de l’Union soviétique aujourd’hui appelée le Kazakhstan. « J’ai grandi au Kazakhstan, où j’ai fait mes études. Après l’université, j’ai commencé à travailler dans le système juridique ; ma carrière y a duré de nombreuses années », explique-t-il.
Se libérer de la répression permanente
Sur place, l’avocat de formation vit la répression du régime soviétique. Avant de se diriger vers le droit, Nourmohamed souhaitait devenir militaire. La discrimination sévissant en URSS l’en avait dissuadé. Lassé d’être mal traité, il se tourne vers le Canada. « Le Canada est un pays très démocratique. C’est un très grand pays, un pays d’immigrants. C’est pour ces raisons que j’ai décidé de quitter le Kazakhstan pour m’y installer », révèle-t-il.
En arrivant au Québec, il relève le défi de l’apprentissage du français, une langue qui s’ajoute à son bagage de polyglotte, qui inclut le ouïghour, le kazakh, l’allemand et le russe. Soucieux de prendre part à la vie de la communauté, il se lance dans le bénévolat. Mais la recherche d’emploi est difficile. Son diplôme de droit n’est pas reconnu, et Nourmohamed commence à travailler comme agent de sécurité dans la région de Montréal. Il fait carrière dans ce domaine depuis plus de 25 ans.
Malgré tout, il regarde toujours les choses du bon côté. « Quand on est arrivés, on était la seule famille ouïghoure.
Maintenant, nous sommes environ 200 familles », annonce-t-il avec fierté. Ses trois fils ont de beaux parcours, et l’homme de 71 ans est maintenant grand-père. « Je suis si fier de mes enfants. Je prie Allah souvent pour Le remercier de me les avoir donnés », raconte ce père comblé.
Transmettre « l’histoire de notre pays, l’histoire de notre langue »
Particulièrement près de sa culture, Nourmohamed a voulu la transmettre à ses fils. Quand ces derniers étaient jeunes, Nourmohamed réservait les fins de semaine pour des activités culturelles en famille. « Je leur racontais l’histoire de notre pays, l’histoire de notre langue. Je les ai introduits à quelques éléments culturels comme la chanson, la musique, la photo », se remémore-t-il.
Il passait les fins de semaine à leur apprendre à cuisiner le laghman, un plat de nouilles traditionnelles très coloré, et à interpréter les chansons traditionnelles jouées lors des grands événements.
Cette tradition de transmission culturelle lui vient de ses propres parents, qui, durant son enfance au Kazakhstan, ont veillé à lui transmettre la langue et la culture ouïghoures.
« Lorsque nous avons déménagé au Kazakhstan, il y avait déjà un million de Ouïghours. Là-bas, on avait notre propre société, notre propre théâtre, nos journaux, notre radio. Grâce à ça, j’ai conservé ma langue maternelle », explique-t-il. La situation est bien différente dans son pays d’adoption.
« Ici, c’est plus difficile de préserver notre culture parce nous sommes très peu », souligne le septuagénaire. Malgré ses efforts, la langue a été difficile à léguer, faute de gens avec qui la pratiquer. « Mes enfants comprennent, mais ils parlent lentement avec difficulté », dit-il avec une pointe de regret.
Aujourd’hui, à 71 ans, son rêve le plus cher est de fonder un centre culturel ouïghour à Montréal. « Je veux fonder une école pour les enfants. Pour qu’ils n’oublient pas notre langue maternelle. C’est difficile, à cause des loyers élevés au centre-ville.
J’espère donc qu’on pourra bientôt acheter un bâtiment pour y fonder un centre culturel ouïghour », confie-t-il, espérant transmettre sa culture à une nouvelle génération de Ouïghours.
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