Sundus Abdul Hadi à la librairie Maktaba Photo: Courtoisie de Sundus Abdul Hadi
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La librairie Maktaba à travers Sundus Abdul Hadi
14/10/22
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Par un vendredi matin ensoleillé, nous nous dirigeons vers le Vieux-Port de Montréal pour visiter un tout nouvel espace. Cet espace, c’est la Librairie Maktaba Bookshop, ouverte il y a bientôt quatre mois. Nous partons rencontrer Sundus Abdul Hadi, fondatrice de cet établissement, mais pas que… Elle nous accueille dans un espace qui rappelle un salon oriental. Sur un fond de musique traditionnelle, et correctement installée dans le « salon » de sa librairie, elle nous raconte son histoire et tout ce que représente la librairie Maktaba dans sa vie.

Qui est Sundus Abdul Hadi ?

« Je m’appelle Sundus Abdul Hadi ; je suis une mère, une artiste, une écrivaine et, aujourd’hui, une bookshop owner », lance-t-elle en souriant. S’il y a une chose à retenir à son sujet, c’est que Sundus sourit constamment. Née à Abou Dabi, mais ayant grandi à Montréal, elle n’en oublie pas ses origines irakiennes, loin de là. « Je suis née à Abou Dabi ; mes parents ont quitté l’Irak dans les années 1970 et je suis venue ici dans les années 1990. Même si je ne suis pas née en Irak et que cela fait maintenant 30 hivers que je suis ici, mon lien avec ce pays est toujours là. J’ai un pied ici et un pied là-bas, je suis d’origine irakienne et je suis très fière de cela. » « J’aime Montréal et je suis très reconnaissante d’être ici », poursuit Sundus, avant d’évoquer ses projets d’écriture. Elle est en effet aussi écrivaine et est l’auteure de l’ouvrage illustré pour enfants Shams et du livre Take Care of Your Self. « Tout mon travail artistique ou créatif a une origine personnelle et vient d’une longue période où j’ai travaillé sur moi-même et où je me suis pratiquée – c’est la source de mon travail. Il faut se prouver à soi-même, se fixer des objectifs face aux obstacles. Le premier obstacle est celui de la confiance en soi. Puis-je le faire ? Quand serai-je en mesure de le faire. On est à la fois son meilleur supporter et son plus grand critique ; on doit trouver l’équilibre entre les deux », souligne-t-elle avec assurance et expérience.

La famille occupe une place essentielle dans la vie de l’artiste irakienne, car, si Sundus est une écrivaine et une entrepreneuse, elle est avant tout une artiste. Il s’agit d’une fin en soi, selon elle. « Dans beaucoup de familles, on te dit qu’il faut être ingénieur, docteur ou encore avocat. Moi, je viens d’une famille d’artistes, et l’art est notre façon de vivre, et c’est très rare, cette source identitaire. Ma famille est mon premier soutien, elle me donne beaucoup de confiance en moi. » Quand nous avons évoqué le choc culturel entre les pays d’Orient et Montréal, le sujet de la famille est revenu sur la table : « Le choc en venant ici ? Il n’y a pas eu de choc. Depuis que j’ai immigré ici – alors que j’avais 10, 11 ans –, on reste entre nous et on se soutient entre nous, en famille. » Le côté artistique est donc héréditaire chez Sundus, qui nous parle de sa librairie Maktaba comme la suite logique de ses projets artistiques. Elle est reconnaissante d’en être là où elle est aujourd’hui, à nos côtés, à parler de sa librairie comme d’un « cadeau ». « Dans la vie, tu vis des moments difficiles où tu te bats en essayant de pousser et, un moment donné, quand tu réussis, tu repenses à ces moments durs et tu te rends compte que tu as grandi et évolué. Ces moments sont les fondations de ta vie présente, c’est important. Oublie ce que tu n’as pas et soit fier de ce que tu as déjà ! » conclut fièrement Sundus en observant son propre aboutissement – la librairie – de l’intérieur.

Une librairie à son image et à celle de la communauté

Sundus aime raconter des histoires depuis qu’elle est petite. « Ce qui m’inspire, c’est le mélange de storytelling (raconter des histoires) et de justice dans le monde, un monde justement rempli d’injustices. L’ inspiration, c’est ma communauté, ma communauté irakienne. » La Librairie Maktaba Bookshop réunit tous les intérêts que porte l’artiste irakienne. Cet espace était un besoin. Elle qui cherchait une place représentant tout à la fois ses intérêts identitaires, artistiques et, surtout, communautaires a trouvé dans cette librairie l’endroit idéal. « On est une librairie, un espace soigné et sûr. Mon travail est de créer cet espace où l’on peut apporter et découvrir nos livres ensemble. Sans la communauté, on ne peut pas exister et ouvrir un espace comme Maktaba ; nous nous complétons.

Ils soutiennent mon travail, et moi, leurs besoins – cela crée un bel échange. C’est la raison pour laquelle il fallait fournir un espace, une place de connaissances, d’inspiration », nous confie-t-elle entre deux clients. Sundus Abdul Hadi est consciente de la visibilité qu’elle peut désormais avoir grâce à sa librairie, surtout dans un quartier touristique comme celui du Vieux-Port. Très souriante depuis le début de notre discussion, l’écrivaine prend un ton plus sérieux au moment de parler de sa volonté de justice : « J’ai la responsabilité et les ressources en tant qu’artiste de changer des choses. La responsabilité d’en parler, car je suis fatiguée de toute cette injustice, fatiguée de tous ces stéréotypes, comme “les Arabes sont violents”, par exemple… On a une grande culture dans chaque communauté, un riche héritage, beaucoup de savoir et de sagesse, et il faut les partager avec le monde. Montréal est un endroit où je peux être moi-même, une place merveilleuse pour être une artiste indépendante avec beaucoup de soutien de la communauté. Grâce à ce soutien, je peux réussir ici. »

Il y a donc une communauté au centre du projet « Maktaba », mais aussi une préoccupation liée à la représentation. « Il y a très peu de place pour la représentation de couleurs ici. Une représentation qu’on compte sur les doigts ici. Voilà pourquoi j’étais motivée à ouvrir Maktaba, car il y a vraiment un besoin dans la communauté et dans ma vie. » Une vie qui a connu beaucoup de projets artistiques indépendants. D’ailleurs, la librairie est son premier espace permanent à Montréal. Un besoin de la communauté comblé en partie grâce à Maktaba : « Tu peux être toi-même si tu te sens représenté et cela signifie beaucoup. C’est un gros acquis quand je vois des gens venir et se sentir représentés. Je profite de ce moment et c’est là où j’en suis actuellement, avec cet espace. Je suis très reconnaissante et je vis ce moment à fond », affirme-t-elle avec un sourire retrouvé.

« Raconte ta propre histoire ! »

Son histoire, Sundus la raconte dans Take Care of Your Self, où une expression revient souvent, celle d’être « deeply rooted » ou « profondément enraciné ». « Cette expression, c’est un concept, une manière de parler de marginalisation, de colonialisme et de racisme dans mon livre. C’est une expression qui évoque notre héritage, notre richesse et qui traverse toutes les cultures », précise-t-elle. L’écrivaine raconte cette histoire à la fois pour elle et ses enfants, mais son œuvre est aussi « une offrande » pour ses lecteurs. « L’écriture est une manière très importante pour moi de m’exprimer, puis d’offrir cela à mes enfants dans le futur. Je souhaite partager toutes ces informations et qu’elles servent à mes enfants, mais aussi à nos communautés, à toutes nos communautés connectées par les mêmes problèmes », résume Sundus en parlant de son livre, sorti il y a deux ans.

Son côté à la fois artistique et curieux lui a permis de raconter son histoire dans ses œuvres, dont Take Care of Your Self, un livre évoquant des traumatismes, des guérisons, des luttes et des soins. Cela lui a pris pas moins de 10 ans d’efforts, de travail et de recherches pour réaliser cet ouvrage. « On vise toujours la même chose ! Que ce soit dans un souci de représentation ou d’identité, la culture est la source de notre travail. Raconte ta propre histoire ! Peu importe le projet que tu veux réaliser, commence par raconter ta propre histoire et, avec ton cœur, fixe-toi un objectif et atteins-le. « When there’s a will, there’s a way », comme on dit en anglais – tant que tu auras l’envie de quelque chose, tu trouveras toujours un moyen d’y arriver. » Selon elle, l’idée est de savoir pourquoi il est important de raconter son histoire et comment le faire. « L’intention est d’écrire, de partager et de dire sa propre histoire », résume-t-elle avec passion.

Dans un contexte de réélection provinciale, où le chef du parti de la CAQ, François Legault, a affirmé qu’accueillir plus de 50 000 immigrants serait « suicidaire », le souci de représentation fait partie intégrante de l’histoire de Sundus. Elle constate qu’ici au Québec, comme au Canada, et plus largement en Amérique du Nord, les représentations des communautés immigrantes sont dans une situation compliquée. « J’ai grandi à une époque où l’Irak était en guerre contre les États-Unis. Il y avait la guerre sur le territoire de l’Irak, mais aussi dans les médias : la représentation de la guerre en Irak, et des musulmans surtout, après les événements du 11-Septembre a entraîné une grande brutalité et du racisme envers les gens de couleur. Il y a un gros souci de représentation entre les vraies histoires et réalités et la manière dont ces histoires sont racontées ou représentées dans les médias, les livres, les écoles », explique Sundus, en réaffirmant l’importance d’ouvrir une librairie pour tous, ici, à Montréal.

À travers son histoire, ses expériences et la librairie Maktaba, l’artiste irakienne Sundus Abdul Hadi veut léguer le pouvoir de la connaissance aux générations et aux artistes de l’avenir : « La connaissance passe aussi par les livres. Alors, viens prendre un bouquin qui pourrait changer ta vie ! »

L’actualité à travers le dialogue.
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