« La musique instrumentale a sauvé ma vie », déclare Tati au Miel, qui est artiste audiovisuel. À titre de DJ, Tati au Miel s’est produit à plus de 300 reprises dans différentes villes du monde. En pleine tournée, iel se trouve actuellement à New York. La semaine dernière, Tati se produisait au Texas, où il présentait un tout nouveau EP intitulé Le monde fantastique de Tati au Miel Vol I : dans ma peau.
Si le musicien sait faire danser les gens avec ses sonorités noize, ambient et industrielles, son œuvre cinématique qui puise dans son expérience invite davantage à l’introspection. C’est précisément le genre expérimental, devenu sa spécialité, qui a eu un effet salvateur pour l’artiste, qui vient d’avoir 25 ans. « Je suis quelqu’un qui est non-binaire et fluide, et la façon dont je vois la vie est radicale. La musique instrumentale, c’est libérateur, tu peux créer ce que tu veux. »Et ce, jusqu’à donner une raison de vivre, grâce au soutien d’une communauté locale et internationale qui fait une place à tous. « C’est pour tout le monde, dit Tati de sa musique.
Ça devrait être normalisé, d’écouter des sons différents ; ça peut être intimidant de vouloir en savoir plus. »
À Montréal et ailleurs
L’artiste se tourne vers la musique à l’âge de 18 ans, initié par ses colocataires, qui sont des DJ amateurs. « C’était aussi une réaction pour survivre, trouver un moyen de faire de l’argent. La musique m’a toujours intéressé, mais je n’avais aucune formation », raconte Tati, qui a ainsi trouvé un moyen de s’exprimer. Devenir DJ peut être une façon accessible de se lancer en musique, aux dires de l’artiste.
« Tout le monde perçoit la musique différemment, et c’est ce qui est beau. N’importe qui peut faire de la musique. Elle fait partie de notre vie à tous », se réjouit-iel.
Montréal possède une belle scène électronique. Il y a des événements presque tous les jours, et de nombreuses plateformes existent pour promouvoir son art. « En regardant de loin, c’est vraiment une scène blanche », observe Tati. Mais, en créant ce que l’on souhaite voir, on attire des gens qui nous ressemblent. « Plus tu produis, plus tu attires la communauté de gens avec qui tu veux être. »
En voyageant aux États-Unis, en Europe et au Mexique, Tati réalise que, partout, il y a des gens qui partagent ses idées et ses expériences. Pour trouver, et constituer sa communauté, le musicien suggère de se concentrer sur sa propre vision, sur ce qu’on souhaite amener, ainsi que sur la manière dont on veut participer, et de déployer tous ses efforts dans cette direction..
Mais, si Montréal est reconnue pour sa scène électronique, la reconnaissance est d’abord venue d’ailleurs. C’est cependant sa ville natale qui est à l’origine de l’artiste que Tati est aujourd’hui. « Mon son est tellement spécifique et raffiné grâce à Montréal, explique le musicien. C’est toutefois quand j’ai commencé à jouer sur la scène internationale qu’on m’a reconnu et que j’ai pu jouer à Montréal. »
Prendre racine
En se lançant dans la musique, Tati y a vu des modèles : « C’est grâce aux artistes noires qui font de la musique électronique et expérimentale que j’ai voulu en faire, et en découvrir davantage. » Leurs trames sonores l’appellent de façon viscérale. « Quand j’écoute leur son, ça résonne plus avec mes valeurs, je ne pourrais pas l’expliquer », dit-iel. Souvent imités, mais jamais égalés : lorsqu’il s’agit des personnes issues des cultures qui l’ont créé, l’essence est là. « Mes DJ préférés sont trans », ajoute Tati.
La house et la techno sont à l’origine des musiques noires. Elles étaient d’abord destinées à ces communautés, ainsi qu’aux personnes LGBTQ+. Ainsi, Tati et d’autres artistes travaillent également à la préservation de cet art et de cette histoire. « Considérant que la plupart des genres musicaux viennent des communautés autochtones et noires, il n’est pas surprenant que ce soit les personnes trans, non binaires et les femmes qui portent le flambeau de cette musique. Tati au Miel est également derrière Trademark, un collectif dédié à la musique électronique.
L’artiste suggère également aux musiciens en herbe d’archiver leur travail, par exemple en le mettant sur YouTube : « C’est tellement important que, nous, les personnes noires, on archive nos trucs, c’est comme ça qu’on crée l’histoire, qu’on transmet à nos enfants – en étant des pionniers dans nos communautés. »
En tant qu’artiste noir et queer, Tati a suivi un parcours qui n’a pas été sans embûches. « On se fait “tokeniser”, on le sait quand ça se produit. Tu es la seule personne qui te ressemble dans le line-up » décrit le musicien. Et le soutien n’est pas toujours venu de ses proches, mais aujourd’hui, iel est bien entouré. « C’est vraiment triste, mais la tristesse, avec le temps, se transforme en résilience. On brise les cycles haineux et transphobes. »
Composer l’avenir
La pandémie a durement affecté les artistes, et Tati au Miel n’a pas été épargné. « La COVID m’a fait réaliser qu’il faut que je trouve une façon stable de survivre et de vivre », raconte l’artiste, qui vit de sa passion. Tati est également designer de vêtements, et on peut se procurer ses créations sur son site web. En plus de ses projets artistiques personnels qui le tiennent bien occupé, le musicien souhaite se consacrer davantage à la musique de film. « On oublie que ce sont les producteurs de musique qui font ce genre de travail », rappelle Tati. Ces derniers sont en grande partie responsables de ce qu’on ressent devant l’écran. « Dans un film, lorsqu’il y a une scène qui a beaucoup d’émotion, il y a du son – ou du silence. La personne qui fait ce choix, qui crée l’émotion, c’est le producteur de musique.
On crée ces moments », explique Tati. Et, partout, on entend cette musique, qui rythme notre vie. « C’est beau que certaines personnes prêtent attention au son et soient capables de produire des choses qui rendent les gens heureux, qui les font danser, pleurer, vivre des émotions », affirme Tati. Et c’est ce pouvoir guérisseur que l’artiste représente, ainsi que celui d’une communauté artistique qui s’étend bien au-delà des frontières. C’est ainsi que Tati encourage ceux qui partagent son expérience à tracer leur propre voie. « Malgré les obstacles, il ne faut pas perdre de vue la base, c’est-à-dire nos raisons de faire ce qu’on fait. »