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À quoi font face les filles du hood ?
Eya, Amélie, Julie et Adriana à Saint-Michel Photo: Édouard Desroches
15/3/2024

À quoi font face les filles du hood ?

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Lorsqu’on parle du hood, ce qui revient souvent, c’est qu’il s’agit d’un lieu dangereux où règne la violence. On pense rarement d’emblée aux filles et aux femmes qui vivent dans les quartiers. Quelques jours après la Journée internationale des droits de la femme, beaucoup tentent de mettre de l’avant le travail et la réalité des femmes qui viennent des quartiers, à Montréal et dans les environs.

Aujourd’hui, certaines d’entre elles partagent leur vécu et leur opinion sur celles que l’on oublie lorsqu’on parle des droits des femmes en général, et du hood en particulier.

Nous sommes jeudi, la veille du 8 mars. Le soleil vient à peine de se coucher et Eya, Amélie, Julie et Adriana nous rejoignent l’une après l’autre pour un moment de discussion autour d’un souper. Le sujet ? Les filles du hood. Issues respectivement de Chomedey, de Laval-des-Rapides, de Pie-IX et de Rivière-des-Prairies, ces quatre jeunes femmes vont découvrir qu’elles ont beaucoup plus en commun qu’elles ne le pensaient initialement.

Contextualiser

Eya est rappeuse. Vêtue d’un long manteau en fourrure noire, elle se présente : « Mon nom d’artiste, c’est Guessmi – c’est aussi mon nom de famille », dit-elle. D’origine tunisienne, elle travaille dans un milieu majoritairement masculin et comprend mieux que quiconque la réalité des filles du hood.

À ses côtés, son amie Amélie l’accompagne. « J’ai 22 ans, je viens de Laval-des-Rapides et j’aime la photographie », dit-elle timidement. Amatrice de voitures, elle travaille pour un concessionnaire automobile. « Quand on est ensemble sur la route, glisse la rappeuse, elle est capable de nommer le modèle, l’année, la puissance et plein d’autres caractéristiques des autos, rien qu’en les voyant ! »

Les deux amies se sont connues l’été dernier lors d’un événement, et l’amour d’Amélie pour la photographie a coïncidé avec l’envie d’Eya de produire plus de contenu visuel sur ses réseaux sociaux.

Adriana et Julie sont également venues ensemble. Du haut de ses 19 ans, Adriana est une esthéticienne spécialisée en épilation, et elle possède une petite agence de marketing. D’origine haïtienne et guatémaltèque, elle a vécu toute sa vie à Rivière-des-Prairies. « J’ai fait du théâtre et de la danse pendant très longtemps », raconte la jeune Montréalaise. « Mais ma passion, ce sont les thés à bulles », ajoute-t-elle en rigolant, mi-sarcastique, mi-honnête.

Julie a récemment ouvert PLThé, la boutique de thé aux perles où Adriana travaille depuis peu. Également propriétaire d’un salon d’esthétique et de coiffure à Saint-Michel, près d’où elle a grandi, elle est la première « Hood Hero » dont La Converse ait fait le portrait. « Je suis une fille de Pie-IX, je suis entrepreneure et j’ai 30 ans », dit-elle simplement.

Pour la « Hood Hero », « venir du hood » se caractérise par l’expérience qu’on a vécue dans le quartier. « Il y a des gens qui habitent toute leur vie dans le hood, mais qui n’ont jamais connu les réalités qu’on lui associe dans les médias », commence-t-elle. Ces réalités sont la violence, la pauvreté et la criminalité. « J’entends souvent des gens dire qu’ils connaissent des gens qui connaissent des gens qui ont été victimes de violence. Moi, j’ai vu des gens se faire tirer dessus devant moi, ça m’a affectée directement », confie-t-elle.

Ce que signifie « réussir »

Qui dit pluralité des expériences, dit pluralité des opinions. C’est le cas des quatre filles, qui voient chacune le concept de « réussite » différemment. Elles nous expliquent ce que peut signifier la réussite pour elles en tant que filles des quartiers.

Lorsqu’on leur demande de nous exposer leur vision de la réussite, Julie n’hésite pas à prendre la parole. « La réussite, c’est quelque chose de très spécifique à tous. Pour moi, c’est comment je me suis rendue où je suis aujourd’hui, quand je vois d’où je viens », dit-elle fièrement. « J’ai 30 ans, je viens d’une autre génération, dit-elle en rigolant. Quand j’étais jeune, il y avait beaucoup de gangstérisme où j’habitais. C’était très pauvre. Mes parents avaient six jobs au total, et on a même été à la rue pendant un moment », se remémore-t-elle avec amertume.

« Quand tu viens des quartiers, il y a toujours une étiquette attachée à toi et à ta réussite. J’ai tellement de fois entendu les gens dire que je n’allais pas réussir parce que je venais de Pie-IX. J’ai compris que, pour atteindre mes objectifs, il fallait que j’agisse et que j’évite de me victimiser », déclare-t-elle.

Elle explique qu’elle a aussi eu à faire de nombreux sacrifices. « Toujours travailler, prendre tout l’argent que je faisais pour aider mes parents à payer le loyer, avoir plusieurs emplois, travailler sept jours sur sept… c’est très difficile. Je ne pouvais pas sortir avec mes amies. Pendant que le monde chillait, je travaillais tout le temps », ajoute-t-elle fermement.

Malgré tout, Julie est « contente d’avoir fait ces actions-là ». Aujourd’hui, sa réussite, c’est le sentiment d’accomplissement qui teinte ses journées et la fierté qu’elle inspire à ses parents. « Chaque jour, je veux juste que mes parents soient fiers de moi et qu’ils soient heureux », termine-t-elle, des étoiles dans les yeux.

Dans la foulée des propos de Julie, Adriana souhaite partager sa propre compréhension de la réussite. « Pour les autres, je pense que la réussite est simple : tu te donnes un objectif, tu l’atteins ; c’est une réussite. Ça peut être quelque chose de minime aux yeux des autres, comme te brosser les dents alors que tu étais dépressive », illustre-t-elle.

« Personnellement, ma réussite, je l’atteindrai lorsque j’aurai laissé un héritage à ma famille. Depuis toujours, les femmes noires n’ont pas beaucoup de place dans la réussite, déclare-t-elle. Je veux créer ma propre réussite et qu’elle soit si grande que mes petits-enfants n’aient pas à se soucier de qui ils sont ou de se demander s’ils sont un problème pour la société. »

Amélie, presque silencieuse depuis le début, nous présentera un peu plus tard sa vision de la réussite. « Pour une fille qui vient du hood, je pense que la réussite est quelque chose qu’on a rendu trop grand pour ce que ça peut être. Sortir d’une situation malsaine, c’est réussir. Acheter sa première voiture ou avoir son indépendance, c’est réussir. Ça dépend des contextes », dit-elle. La Lavalloise fait allusion à sa propre histoire. À l’âge de 19 ans, elle a dû quitter le domicile familial avec presque rien en poche. « Aujourd’hui, j’ai réussi à m’établir. J’ai travaillé dur ; j’ai même quitté l’école pour subvenir à mes besoins, mais j’ai réussi. J’ai mon chez-moi, mon indépendance, mon aisance », explique-t-elle. Elle affirme aussi que les filles « sont beaucoup trop dures avec elles-mêmes. [On] va souvent voir la situation qu’on vit de façon négative, on a moins tendance à se féliciter et à être fier de soi et de ce qu’on accomplit. »

L’adversité

« Il y a quelques mois, un jeune homme est tombé sous les balles juste devant le salon. Mes employés sont venus me voir, paniqués devant la scène, et moi, je faisais comme si de rien n’était. Je leur disais de continuer à travailler, et que rien n’était grave ! » raconte Julie.

Elle confie avoir eu besoin de temps pour comprendre que rien de tout cela n’était normal. « Ça m’a pris du temps. J’ai réalisé, au fil des années, que tout ce que j’avais vécu plus jeune n’était pas la norme, confie-t-elle. Des coups de feu, c’était normal pour moi. Mais pour mes employés qui viennent de Longueuil ou de Laval, ce n’est pas normal ! »

Cette sinistre introduction pousse les filles à réfléchir aux difficultés auxquelles les femmes des quartiers font face. « C’est plus facile pour un gars de parler de ses struggles que pour une fille. Une fille, elle doit faire face à plus de répercussions qu’un gars », déclare alors Eya sans filtre. Et toutes les filles présentes hochent la tête pour montrer leur approbation à ces propos.

Mais où veut-elle en venir ? Elle poursuit sur sa lancée : « Je parle de mon expérience personnelle. En général, même si je l’ai plus ressenti dans ma culture en tant que femme maghrébine, la femme doit bien se tenir, elle ne doit jamais trop en dire, elle doit avoir une bonne image », commence Eya. « J’en ai fait des conneries, reprend-elle, mais ma mère n’accepterait jamais que j’aille devant une caméra et que j’en parle. Vous comprenez ? »

« Je comprends ces femmes qui tendent à ne pas s’étaler, comme le feraient des hommes dans le hood. C’est un engrenage, un pattern, et c’est très difficile d’en sortir. Je pense aussi qu’il y a une question d’ego, qui touche plus les hommes que certaines femmes », ajoute-t-elle.

Deux poids, deux mesures

« Penses-tu qu’on excuse plus les conneries d’un gars ? » C’est la question qui est posée immédiatement après les derniers propos d’Eya. Elle répond sur-le-champ : « Bien sûr. Un gars qui a un dossier criminel, il est cool, c’est un bad boy. Une femme qui a un dossier criminel, elle a raté sa vie. C’est elle, la mère de demain ? » reprend-elle, sarcastique.

Elle est d’ailleurs appuyée dans ses dires par son amie Amélie, assise tout juste à côté d’elle, qui souhaite souligner le fait que les attentes envers les hommes sont bien différentes de celles envers les femmes, en particulier lorsqu’on parle des difficultés de la vie dans les quartiers.

« Il y a déjà des attentes bien différentes entre les hommes et les femmes dans la société tout court. Alors, quand on vient d’un quartier, c’est pire », commence-t-elle. « Lorsqu’on pense à une fille du hood qui réussit, on pense tout de suite à une entrepreneure dans un domaine hyper féminin comme l’esthétique, mais jamais à une fille dans un domaine comme la construction ou les voitures », compare-t-elle.

Même si tout parcours a ses hauts et ses bas, Amélie, qui travaille dans le milieu automobile, un milieu très masculin, voit la différence. « On est moins applaudies, on est moins encouragées, dit-elle tristement. Pourtant, on met autant d’efforts pour réussir. Ce sont les attentes qui sont différentes. »

Sortir du hood, c’est difficile

Lorsqu’on les interroge sur leurs perspectives personnelles dans le hood, plusieurs hésitent. Si Julie a investi à Saint-Michel en y ouvrant son salon, Eya souhaite quitter le hood. « J’ai fait tout ce que j’avais à faire ici », laisse-t-elle tomber.

Amélie est plus optimiste. Elle insiste sur l’entraide qui existe entre les filles de sa génération qui viennent des quartiers, sans toutefois nier qu’il y a des désavantages à rester dans ces secteurs. « Le monde est petit, tout le monde se connaît ; c’est donc normal de penser qu’on a fait le tour et qu’il n’y a plus rien pour nous, dit-elle en réponse à Eya. Mais moi, dans 10 ans, je me vois encore avoir un pied-à-terre à Laval-des-Rapides. »

Âgée de 22 ans, elle n’a connu que son quartier. « Je suis partie de chez mes parents, mais je suis restée dans le quartier. J’y suis attachée, j’ai grandi ici, j’y ai passé ma vie. Même si j’espère ne pas être là 100 % du temps, dit-elle en rigolant, j’aimerai toujours pouvoir y revenir. »

L’avenir des filles du hood ?

Au début timide, Eya est devenue de plus en plus à l’aise au fil de la soirée à force de prendre la parole. C’est d’ailleurs la première à proposer une suite à toutes les préoccupations partagées par les filles autour d’elle. « En tant que femmes racisées, on fait face à des difficultés liées au fait qu’on soit des femmes et qu’on soit racisées », rappelle-t-elle d’abord.

« Il y aura toujours de la misogynie. Il ne faut pas normaliser ça, mais apprendre à vaincre cela », déclare-t-elle. À l’aube de ses 24 ans, la Lavalloise reconnaît qu’il y a beaucoup de chemin à faire. « Je sais que ça sonne extrême, mais quand on a vécu tellement de choses, on se regarde et on n’arrive même plus à se questionner sur ce qui doit être fait », avoue-t-elle.

Au sujet de ce sentiment d’impuissance, Julie revient d’ailleurs sur une amitié qui l’a marquée il y a quelques années. « On avait 18 ans. Une de mes bonnes amies avait des problèmes similaires aux miens en lien avec la pauvreté. Elle est devenue danseuse pour faire plus d’argent rapidement. Je lui disais qu’il ne fallait pas prendre cette voie-là, mais elle m’a répondu quelque chose que je n’oublierai jamais : “Tu es chanceuse d’être bonne à l’école, tu es chanceuse de te débrouiller et d’être une bonne vendeuse” », se remémore-t-elle.

« En fait, on n’a pas toutes les mêmes portes », réalise Eya tout de suite après le témoignage de l’entrepreneure. Amélie acquiesce et ajoute n’avoir qu’un souhait pour l’avenir des filles comme elle : « J’espère vraiment qu’on va s’en sortir. Qu’on va se développer personnellement et en tant que communauté.»

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