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Comment le slang a unifié Montréal
De gauche à droite: Adam, Carl-Henry, Izzy-S, Shreez, Sami et Houda se sont tous réunis pour partager leur ressenti sur la situation du slang à Montréal.
26/5/2023

Comment le slang a unifié Montréal

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

De Saint-Michel à Côte-des-Neiges, on peut entendre des expressions comme « kespass », « renceur » ou « c’est la hess » dans les rues de Montréal. Ces termes font partie du parler quotidien des jeunes de la métropole, surtout de ceux des quartiers. Ce slang, composé principalement d’un mélange d’anglais, de français, de créole et d’arabe, est de plus en plus critiqué par les politiciens québécois comme participant au déclin du français.

Dans une publicité publiée le 15 mars par le ministère de la Langue française, le gouvernement Legault a sonné l’alarme au sujet de l’utilisation d’un dialecte principalement utilisé par les jeunes Montréalais. Cette publicité fait référence au déclin de la langue française au Québec et interpelle les Québécois pour qu’ils renversent cette tendance. Le 21 avril dernier, on pouvait voir sur Tik Tok et Instagram qu’un nouveau restaurant ouvrait ses portes : le 514 Burger. Situé boulevard Saint-Laurent, ce casse-croûte propose un menu inspiré du slang de Montréal. Sur place, on peut goûter à des plats comme le « pozzer », le « czi » ou autres « bhy gyu ». Les réactions qu’a suscitées le menu du 514 Burger ont été mitigées. La Converse a donc décidé d’accueillir des Montréalais et des Montréalaises pour discuter de l’importance et des nuances de l’histoire du slang de Montréal. Entre étudiants et personnalités ayant contribué à populariser ce slang, un dialogue s’amorce.

La culture montréalaise ou le slang de la ville

C’est par un mercredi de mai que cette discussion s’amorce. La journée prend fin, et les derniers rayons du soleil disparaissent lorsque l’espace studio de La Converse reçoit ses invités. Le thème de la soirée ? L’expérience linguistique à Montréal ou, plus précisément, l’expérience du slang de la métropole.

Lorsque questionnées sur ce qui caractérise le slang à Montréal, les personnes réunies autour de la table répondent toutes la même chose : beaucoup de ce qui est dit à Montréal est emprunté au créole haïtien. Shreez, rappeur lavallois d’origine haïtienne, s’exclame même : « C’est les trois quarts du dictionnaire créole qui sont utilisés dans le slang montréalais ! » Quelques rires approbateurs se font entendre dans la salle. Reprenant la balle au bond, Carl-Henry, étudiant de Saint-Léonard originaire d’Haïti, affirme que « le melting-pot, c’est la meilleure façon d’expliquer comment on vit ; on n’est pas seulement dans la diversité, mais on se mélange, on vit tous ensemble – ça va plus loin ». Il joint ses deux mains pour illustrer ses propos.

« La diversité est le mot qui décrit le mieux notre ville », poursuit Izzy-S. Rappeur né et ayant grandi à Saint-Michel, il explique fièrement comment son héritage culturel haïtien a enrichi non seulement ses textes, mais aussi le langage parlé de la population montréalaise. Au sujet de la place du créole dans le slang montréalais, il juge toutefois bon de faire une distinction : « Le créole de Montréal est unique, il n’est pas comme celui qui est parlé à Haïti. Par exemple, quand tu dis que quelque chose est giou, tu ne parles pas en créole, car en créole, on dit gou. C’est pas vraiment du créole », explique-t-il.

À propos des expressions courantes que l’on peut entendre à Montréal, Houda, travailleuse sociale d’origine marocaine, raconte une anecdote. « Je travaille avec de nouveaux arrivants, commence-t-elle, et beaucoup sont de jeunes Haïtiens. Récemment, alors que je parlais avec l’un d’entre eux, il m’a regardée et m’a interrompue après que j’ai utilisé le terme soumoune (curieux). Il m’a demandé comment je connaissais ce terme-là, et je lui ai expliqué que certaines expressions créoles faisaient partie intégrante du slang de la ville. »

Quant aux Montréalais d’origine haïtienne présents dans la salle, tous s’entendent pour dire que Montréal s’est approprié un créole et l’a adapté à sa réalité au fil des ans, tout en y mêlant des expressions francophones et anglophones d’ici et d’ailleurs, créant ainsi un parler propre à l’authenticité de sa communauté.

« Être haïtien, c’est un combat »

Si certains voient dans l’utilisation du créole dans le slang de la métropole quelque chose de négatif, d’autres préfèrent considérer cela comme une forme d’amour. C’est le cas de Carl-Henry, qui rappelle qu’être Haïtien, ça n’a pas toujours été quelque chose de « populaire ». « Dans les années 1970, la communauté haïtienne était très mal traitée partout dans le monde. Quand je pense que ces gens-là n’auraient jamais pu imaginer que parler leur langue serait un jour perçu comme quelque chose de populaire, je trouve ça extraordinaire », s’exclame-t-il. Izzy-S ajoute : « Avant, être Haïtien, c’était difficile. Maintenant, je trouve ça bien qu’une autre culture embrasse la mienne. Quand quelqu’un utilise des expressions en créole, je considère ça comme une forme d’amour envers ma culture. »

D’autres jugent néanmoins qu’il faut faire preuve de nuance dans l’utilisation du créole et de la culture haïtienne. Houda n’hésite pas à le rappeler. « Je ne peux pas parler au nom de la communauté haïtienne, mais je pense que ça s’applique à toutes les communautés. Vouloir ressembler aux Haïtiens aujourd’hui, c’est oublier de reconnaître toute l’histoire derrière ce qui est dit. Les gens se disent : “Être Haïtien, c’est cool.” Ils ne se pencheront pas sur l’histoire cachée derrière cette culture. Être haïtien, ça vient aussi avec d’autres discriminations », rappelle-t-elle. Et son propos semble faire l’unanimité dans la salle. « Être haïtien, c’est un combat. Je suis un Haïtien et je suis fier que le monde s’intéresse à ma culture. On n’est pas là depuis hier, et le fait qu’on ait une influence dans la ville, il faut le reconnaître », ajoute Izzy-S.

« Je pense qu’il y a un manque de connaissance de l’origine des termes utilisés dans le slang », poursuit Houda. Selon elle, pour embrasser réellement une culture, il faut qu’il y ait un intérêt et un minimum de recherche à faire au-delà de l’acte d’appropriation des termes de la langue. Elle rappelle que ce n’est pas tous les utilisateurs du slang qui sont au courant de l’histoire liée à l’identité culturelle haïtienne. « Plus ce sera populaire, plus de gens le parleront. Par conséquent, il y a de plus en plus de personnes qui utilisent des expressions créoles, mais qui n’ont aucune idée de l’histoire derrière tout ça », continue-t-elle.

Il faut embrasser la singularité du slang de Montréal

« À Montréal, on a une culture commune », repart Sami, un jeune Montréalais d’origine algérienne. Ayant grandi entre le quartier d’Anjou et la ville d’Oran, en Algérie, il affirme que « tous les gens de Montréal ont apporté quelque chose à la culture montréalaise ». « Les Haïtiens, les Maghrébins, les Latinos – on a tous fait en sorte que cette culture nous ressemble, et ça nous a donné la belle ville dans laquelle on vit ! Veut veut pas, nos cultures convergent pour donner la culture montréalaise. » Dans le même ordre d’idées, Carl-Henry intervient. « Ce qu’on a à Montréal, c’est un phénomène unique, ça n’existe pas ailleurs », décrit-il. « La façon dont tout le monde parle un peu comme tout le monde ici, ce n’est pas quelque chose que tu verras ailleurs dans le monde. C’est une réalité qui est nouvelle. C’est normal que certains soient plus conservateurs à l’égard de leur culture », continue-t-il.

Si des gens comme Carl-Henry estiment qu’une discussion est nécessaire, ce n’est pas pour rien. Et si des termes rassembleurs sont parfois évoqués pour qualifier la ville de Montréal, ce n’est pas toujours le cas. La place qu’occupent différentes langues dans le slang et l’utilisation même du slang par beaucoup de Montréalais ne font pas toujours l’unanimité. Des rappeurs comme Izzy-S et Shreez, qui ont tous deux grandement contribué à l’élargissement de l’usage du slang, affirment pourtant ne pas être dérangés par cela. « Les jeunes sont entourés par cette identité culturelle. Ils écoutent notre musique, traînent avec d’autres jeunes ayant des cultures différentes : c’est normal qu’ils parlent le slang. Et c’est normal qu’ils emploient des expressions en créole ou en arabe, car ça fait partie de la réalité montréalaise », résume Shreez.

En évoquant le fait que le slang soit généralement plus utilisé par des jeunes – c’est-à-dire par des Montréalais des générations Z et Y –, le rappeur de Fabreville propose un angle de discussion différent. « Je crois que la génération à laquelle on appartient joue un rôle sur notre appréciation du slang, et de ce qu’il implique », commente Carl-Henry. « J’ai un cousin un peu plus vieux que moi qui a grandi dans les quartiers à Montréal. Il me raconte que, quand il était jeune, Montréal était bien différente de ce qu’elle est maintenant. Les gens des quartiers ont vécu dans une ville plus dangereuse, ils ont eu des expériences différentes. Quand ils voient qu’aujourd’hui, certains jeunes trouvent ça cool de parler comme ça, ils ont une réaction différente », raconte-t-il. Il ajoute que, comme les plus jeunes sont plus à l’aise avec le slang, ils ont un rapport différent à ce dernier. Avant, c’était plus problématique pour certaines raisons : les personnes ayant vécu dans un autre Montréal associent donc le slang à des choses plus négatives.

Ayant grandi à Saint-Michel, Izzy-S mentionne qu’auparavant, le racisme était beaucoup plus présent qu’aujourd’hui – dans son quartier et partout à Montréal. « Les communautés racisées qui vivaient quotidiennement du racisme se tenaient entre elles. Aujourd’hui, le slang et ses expressions ne signifient pas la même chose pour elles que pour les nouvelles générations, qui ont grandi dans ça », explique-t-il, pensif.

Il ne faut pas associer le slang à ce qui est négatif

« Ce n’est pas parce qu’on utilise ce slang qu’on est moins professionnel ou moins intelligent. Il ne faut pas associer le slang à la rue et à ce qui est négatif », reprend Houda. La travailleuse sociale estime que le slang de Montréal est une richesse et un atout plutôt qu’une chose honteuse à cacher. Si elle soutient pour sa part qu’il faut séparer la rue et le slang, Izzy-S tient à apporter une nuance à ses propos. « Ce n’est pas parce que ça sort de la rue et des quartiers que c’est une mauvaise chose », renchérit-il. « Quand on dit que ça vient de la rue, on fait référence à ce qui est dit dans le monde informel, en dehors du monde professionnel », continue-t-il sur sa lancée.

Des gens comme Shreez ont tout de même réussi à intégrer le slang de Montréal dans leurs activités professionnelles. « Je rappe comme je parle, dit-il. En fait, comme on parle à Montréal. Quand je vais en France, je rappe et je parle de la même manière qu’ici, car je veux leur montrer d’où je viens. Je ne vais pas changer mon accent pour plaire aux gens d’ailleurs. » Pour Shreez, parler en slang d’ici, c’est une fierté, et personne ne devrait en avoir honte.

« Le slang de Montréal, ça m’a aidé à comprendre le français québécois », déclare alors Sami. Ayant grandi entre l’Algérie et le Québec, il affirme que, contrairement à ce qui se dit dans les médias, le slang n’est pas une menace pour la langue française. Pour lui, il s’agit d’un plus, d’un extra. « Le slang a allégé mon intégration à Montréal. Quand j’entends des Montréalais utiliser des expressions typiquement arabes, ça me fait me sentir un peu plus chez moi », déclare-t-il.

Alors que plusieurs problématiques liées au slang sont évoquées, Carl-Henry aborde un sujet qui n’a pas encore été traité dans la conversation. « J’ai l’impression qu’il commence à y avoir une sorte de dégoût du slang, dit-il. Quand on l’utilise, c’est comme si on était associé à la basse société. » Dans la salle, la réflexion du jeune Montréalais suscite l’approbation générale. Au sujet de la mauvaise réputation du slang, Izzy-S répond : « C’est pareil dans toutes les grandes villes. Le slang est toujours vu comme quelque chose de ratchet (grossier, misérable), qu’on associe à quelque chose de mauvais, à une sous-culture. »

Houda, elle, souligne le bon côté de ce parler familier. « Il y a quand même quelque chose de réconfortant à propos du slang, commence la jeune femme, qui a grandi à Villeray. Quand je rencontre quelqu’un qui parle comme moi, ça me fait quelque chose, je me sens plus connectée avec la personne. » Carl-Henry, le regard approbateur, lance : « Le slang, c’est un marqueur de relation, ça permet de se sentir à l’aise avec d’autres. Quand je croise des personnes qui parlent le même dialecte, ça nous unit rapidement. Et elles n’ont pas besoin d’être Haïtiennes pour qu’on se comprenne, c’est ce que je trouve beau. »

« Moi, le slang, j’en suis fier – c’est ce qui nous unit »

Carl-Henry estime qu’habiter à Montréal, c’est notamment être capable de faire deux choses : distinguer le formel de l’informel, et être en mesure d’appliquer cette distinction dans la communication avec autrui. « Je suis un fervent défenseur du slang de Montréal, commence-t-il. Mais il faut savoir faire les deux. Le problème, c’est quand certains ne sont pas capables de switch. » Il fait allusion au code switching, c’est-à-dire au passage d’un parler à un autre, suivant le contexte dans lequel on est. « Indépendamment d’où on vit, il faut savoir différencier le langage familier du langage soutenu », continue Izzy-S. « Ce n’est pas un problème propre à Montréal. Le langage de la rue, ça ne s’écrit même pas, ce n’est pas encadré. Ce sont des règles non écrites », avance-t-il.

Alors que la soirée tire à sa fin, les participants continuent à partager dans un échange plus animé que jamais. Des sourires se forment sur les lèvres, et des affinités se créent. À la fin de la conversation, on peut comprendre que le langage familier a toujours existé et qu’il continuera à exister. Si le slang moderne se popularise au fil du temps, beaucoup se questionnent encore aujourd’hui sur sa place dans un Montréal francophone idéal. « Il faut commencer à réellement embrasser notre culture. Moi, le slang, j’en suis fier – c’est ce qui nous unit », termine alors Izzy-S. Tous et toutes se sentent alors un peu plus à l’aise, un peu plus eux-mêmes et un peu plus Montréalais.

L’actualité à travers le dialogue.
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