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Des images contre un mot
Gioberti François et son fils Quincy, en entrevue avec le député et secrétaire parlementaire Greg Fergus
28/6/2022

Des images contre un mot

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

« Je ne suis pas un cinéaste, je suis juste un père qui a utilisé un médium pour pouvoir défendre une cause », déclare Gioberti François. Son œuvre, le documentaire Approuvé par le ministère de l’Éducation, a été réalisée avec son fils Quincy, aujourd’hui âgé de 15 ans. Le film raconte des faits douloureux survenus en 2018 et les démarches qui ont suivi au cours des deux années subséquentes. « On revenait d’un tournoi de basket, et il était en train de lire un livre qui lui avait été recommandé par l’école », raconte le père de famille. Les activités sportives de son fils l’obligent à rattraper le travail scolaire sur la route. Pendant que son père conduit, Quincy, qui fréquente l’École des Cavaliers, à Aylmer, lit un livre à haute voix. Il lit une phrase qui contient le mot en N.

« Je lui ai demandé de la relire, mais je l’ai fait avec une émotion agressive parce j’étais stupéfait », raconte Gioberti, qui n’en croyait pas ses oreilles.Il s’arrête sur le bord de la route. « Quincy ne comprenait pas pourquoi il se faisait réprimander ; il pensait que c’était sa prononciation. J’ai été obligé de le rassurer », dit M. François, qui regrette aujourd’hui sa vive réaction. « Imaginez-vous que mon fils était en 6e année. C’est un livre du primaire approuvé par le ministère de l’Éducation depuis 22 ans », précise-t-il, en ajoutant que le mot en N est répété à trois reprises dans le livre, dont le titre est Un cadavre de classe et qui a été publié en 1997 par l’auteur québécois Robert Soulières. Avec son fils, Gioberti François amorçait un périple dont il n’aurait jamais pu envisager le dénouement.

Gioberti François, et son fils Quincy
Photo: Courtoisie

Obtenir gain de cause

Élève studieux, Quincy ne fera pas son devoir cette fois-là. M. François communique avec l’établissement scolaire de Gatineau que fréquente son fils. « J’ai écrit une lettre à l’école pour exprimer ma colère, mais aussi mon ouverture par rapport à la situation, si on voulait bien effectuer certaines démarches », raconte-t-il. La direction ne l’a jamais rappelé. « Il a fallu que je communique avec la commission scolaire », affirme M. François. À la Commission scolaire des Portages-de-l’Outaouais (CSPO), on lui répond que ce livre est le moyen retenu pour ouvrir la discussion sur le racisme.

Il décide donc de porter sa cause devant le ministère de l’Éducation, où on lui dit que la question relève de l’école. C’est pourtant le ministère qui autorise les lectures qui sont au programme dans les écoles. À un certain moment, il apprend que le livre en question a été retiré. Il soupçonne une mesure en réaction à la pression médiatique. Le livre peut néanmoins toujours être lu par des élèves partout au Québec. M.François, qui a lui-même effectué toutes ses études au Québec, du primaire à l’université, n’en revient pas. « Je ne pouvais pas croire que le système qui m’avait instruit pouvait proposer un tel livre à mon fils, et en plus se battre pour le garder ! C’était quelque chose qu’il fallait dénoncer. »Le père de famille s’adresse alors à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, puis au Protecteur du citoyen, en vain.

Un effet positif

À la suite des réponses obtenues des différentes instances, M. François décide de réaliser un documentaire, qui s’intitulera Approuvé par le ministère de l’Éducation. Pour ce spécialiste du marketing, grand amateur de cinéma, tout est à apprendre du métier de cinéaste. Pourquoi en faire un film, alors ? « C’était une situation complexe ; il y a eu plusieurs étapes. Je pense que l’audiovisuel, c’est la manière la plus facile d’assimiler quelque chose de façon intelligible », dit-il.Mais surtout, il ne voulait pas que tout cela s’achève sur une note amère.

« C’est une situation qui est très négative. Je me suis dit que je pourrais prendre cette situation-là et la convertir en quelque chose de positif », indique-t-il. Son fils et lui allaient pouvoir vivre quelque chose de nouveau, expérimenter un tout nouveau domaine ensemble, puis partager leur expérience.« Peut-être aura-t-il la piqûre pour le cinéma et la production, me suis-je dit. Et peut-être que ce sera plus qu’une expérience négative, car c’est un sujet très sensible et dur. Pour mon fils aussi, c’était quelque chose qui était très difficile à expliquer. Je me suis dit que, à travers cette expérience – la production d’un documentaire –, on allait non seulement apprendre des choses ensemble, mais on allait aussi vivre un moment ensemble et on allait faire quelque chose de positif pour la communauté. » Sa famille a mis la main à la pâte tout au long du processus.

« Il y a des scènes qui ne sont pas parfaites et que mes enfants ont filmées – je pense que c’était authentique. » La complétion du film a été un projet d’envergure, qui a nécessité deux ans de travail, en pleine pandémie, et l’aide de professionnels. « Produire un documentaire, c’est un vrai métier qui exige une expertise en son et en image », rappelle-t-il. Approuvé par le ministère de l’Éducation a été présenté au Ottawa Black Film Festival ainsi qu’à la 38e édition du festival de cinéma Vues d’Afrique. M. François a également eu l’occasion de le présenter devant des élèves de la province.

Un parcours d’apprentissage

La production du documentaire a mené la famille François de Toronto à Halifax. « Ce qui était important, c’était de réunir les intervenants, de les interviewer en fonction de leur expérience et de leur responsabilité », explique M. François. Ainsi, Quincy a eu l’occasion d’interviewer Greg Fergus, député de sa circonscription, secrétaire parlementaire et ancien président du Black Caucus à Ottawa. L’équipe a également eu l’occasion de rencontrer Willie O’Ree, premier joueur noir de la Ligne nationale de hockey, l’historien Frantz Voltaire et la professeure Rachel Zellars. M.François s’est également entretenu avec Raymond Sunstrum, un père qui a fait la même démarche que lui 25 ans plus tôt, une expérience qu’il raconte dans le livre La poésie de la vérité. Sa fille avait été exposée à un exercice contenant le mot en N. « Ils ont subi les foudres du système d’éducation, de l’école en particulier », estime M. François, à une époque où le premier ministre actuel, François Legault, était ministre de l’Éducation.

Suivant son idée initiale, M. François a cependant découvert la trame du film en cours de projet. « J’avais une ligne directrice quand je pensais au documentaire, mais sur le terrain, ça a pris une dimension inespérée. Pour cela, je crois que le résultat est authentique, et j’en suis très fier ! » s’exclame le père de famille. Chaque conversation l’a amené à repenser sa propre position et, parfois, à se remettre en question et à réorienter ses recherches. « Mon objectif était davantage d’exposer la situation », souligne le producteur en herbe. L’autre chose qu’il a voulu montrer, non seulement à son fils, mais aussi à tous les enfants, c’est la détermination dont il faut faire preuve dans certaines situations. « Quand vous êtes exposé à une situation qui vous blesse, trouvez les moyens pour vous défendre », conseille M. François. Il rappelle à cet égard qu’il n’est ni activiste ni cinéaste, mais seulement un père de famille. « Un père qui a été blessé par une situation et qui a senti le besoin de se battre contre le système, mais aussi de montrer à son fils que c’est important de se battre pour ses convictions », ajoute-t-il. Pour lui, c’est le devoir de n’importe quel parent. « Et c’est ce qui m’a motivé et qui a gardé la flamme allumée pendant les deux ans de production. »

Le poids des mots et d’un système

S’il pouvait changer une chose à cette histoire, Gioberti François dit que ce serait sa réaction lorsque son fils lisait à haute voix. « J’ai été très émotif sur le coup. Je l’ai fait sursauter, j’ai crié ; il se demandait s’il avait fait quelque chose de mal. Je vais m’en vouloir toute ma vie ! » raconte-t-il.

Ensuite, M. François a pris le temps d’expliquer à son Quincy ce qu’il venait de lire. « Il était très choqué, fâché », rapporte-t-il. C’est lourd à porter pour un enfant. Lorsque son professeur lui a demandé son devoir, le garçon lui a répondu : « Mon père a dit que ce n’était pas un livre approprié pour moi. » La réflexion du père de famille, qui ne souhaite pas participer au débat sur l’usage, ou la définition, du mot en N, est la suivante : « Je pense que ce mot-là doit être encadré de manière responsable dans le curriculum si on insiste pour l’y mettre, surtout si on parle à des élèves du primaire », dit-il. Le Ottawa-Carleton District School Board (OCDSB), une commission scolaire qui regroupe 143 écoles, dont 113 écoles primaires, a aboli l’utilisation de ce mot dans le curriculum. Le père croit que c’est un pas en avant. « C’est quelque chose à quoi il faudrait réfléchir, surtout si on parle d’enfants du primaire. C’est sûr que, à l’université, on peut en débattre. Dans le fond, elle est là, la confusion », croit-il.

Si le documentaire est destiné à un public de tous âges, le producteur réalise aujourd’hui que certains élèves à qui il a été présenté étaient trop jeunes. « Bien que je pense qu’on amène quelque chose qui va les conscientiser et les sensibiliser, je crois aussi que les enfants ne sont pas prêts à ce contenu. Je pense qu’il y a un âge pour toute chose, et il faut donner le temps aux enfants de gagner en maturité émotionnelle et intellectuelle avant de traiter de ce mot, qui a beaucoup de charge historique », croit-il. Quatre ans après le début de cette aventure, Gioberti François a perdu confiance dans le système. « Je pense qu’il est important que les établissements scolaires comprennent de la diversité, puisqu’on leur confie nos enfants chaque jour. On met en eux beaucoup de confiance et c’est important qu’ils valorisent cette confiance.

Exposer nos enfants à du contenu qui pourrait affecter leur amour-propre, c’est quelque chose de dangereux qu’il faut qu’ils considèrent », avance-t-il. Aujourd’hui, il surveille de près le contenu auquel ses enfants sont exposés.Il est d’avis que, dans une telle situation, beaucoup auraient abandonné en cours de route. « Je pense que j’ai fait ça pour tous ces parents et j’espère que ça inspirera des parents, non pas à faire un documentaire, mais à faire un effort pour dénoncer. » L’impact peut se faire sentir au-delà de ce qu’on a la capacité d’observer. « Ça va aider les enfants de mes enfants, les enfants des parents blancs aussi. Ça favorise la constitution d’une communauté plus harmonieuse. Je pense qu’on va tous y gagner. »Pour en savoir plus sur le documentaire Approuvé par le ministère de l’Éducation et la démarche de Gioberti François, on peut se rendre à l’adresse suivante :  www.filtrage.org/

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