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Des policiers sont-ils nécessaires dans les écoles pour prévenir la violence armée ?
Le projet Équipe-école suscite des craintes pour des organismes communautaires. Illustration: Nia E-K
14/11/2022

Des policiers sont-ils nécessaires dans les écoles pour prévenir la violence armée ?

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

La journée du 11 novembre a été marquée par un nouvel incident impliquant des armes, à Laval cette fois, aux abords du Collège Montmorency. Trois personnes ont été blessées par balle, et l’établissement scolaire est resté fermé jusqu’à 22 h.

Ce drame est le dernier en date d’une longue série de fusillades qui se sont produites dans la région de Montréal cette année. En réponse à cette violence armée, les autorités ont notamment annoncé la création d’une équipe d’intervention auprès des écoles de Montréal : l’Équipe-école. La Converse s’est penchée sur cette initiative.

Quartier Saint-Michel, 16 h le 7 octobre dernier. Dans le gymnase d’une école secondaire, une vingtaine de jeunes s’activent sur le terrain de soccer. Des coups de sifflet se font entendre ; La Converse se faufile pour aller interroger les adolescents présents sur l’Équipe multidisciplinaire d’intervention dans les écoles, plus connue sous le nom d’Équipe-école.

Annoncée en septembre dernier par la Ville de Montréal et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), cette initiative vise la création d’une équipe constituée de policiers et de professionnels pour prévenir la violence armée dans les quartiers touchés par ce phénomène.

Sur le terrain de sport, les jeunes se sont regroupés à la demande de leur entraîneur. Nous leur demandons s’ils ont entendu parler de cette nouvelle structure, dont les membres interviendront dans les écoles secondaires. La réponse est simple : personne ne sait de quoi il s’agit. Nous constaterons d’ailleurs la même ignorance du projet chez les 20 autres jeunes que nous interrogerons par la suite.

Ces rencontres ont toutefois suscité chez les adolescents des questions au sujet du fonctionnement du projet Équipe-école et de la manière dont il a été conçu. Ces questions, des parents se les posent également, ainsi que des organisateurs communautaires et une professionnelle de l’éducation avec qui nous nous sommes entretenus à ce sujet.

Qu’est-ce que le projet Équipe-école ?

Le rôle de l’Équipe-école est d’agir « comme pivot entre les établissements scolaires, les postes de quartier et différents acteurs institutionnels et communautaires », indique le SPVM. La police municipale entend ainsi « soutenir davantage les intervenants spécialisés », notamment par le biais d’activités de prévention. Afin de soutenir cette nouvelle structure, le ministère de la Sécurité publique du Québec investira plus de 4 M$ au cours des trois prochaines années. La Ville de Montréal participe quant à elle à hauteur de 400 000 $.

L’Équipe-école sera composée de 11 membres : 5 policiers en uniforme et 6 professionnels issus de la société civile. Parmi ces derniers, on trouvera trois conseillers en développement communautaire. À la demande des directions scolaires, les agents interviendront dans les établissements secondaires auprès de jeunes ayant un comportement violent ou à risque. Les policiers ne seront toutefois pas basés dans les écoles.

Alain Vaillancourt, responsable de la sécurité publique au sein du comité exécutif de la Ville de Montréal, précise que les interventions de l’Équipe-école pourront, par exemple, donner lieu à des actions de sensibilisation des parents et des professeurs sur des problématiques comme les réseaux sociaux.

La police intervient déjà dans les écoles

La police dans les écoles, ce n’est pas une réalité récente. À la fin des années 1980, la Sûreté du Québec a créé la fonction de « policier intervenant en milieu scolaire ». De nos jours, les élèves sont familiers avec les « agents sociaux communautaires ». Ces derniers exercent leurs fonctions dans les écoles primaires et secondaires pour, entre autres, faire des présentations sur l’intimidation, la violence sexuelle, la prévention de la violence. Leur rôle est également d’identifier les jeunes qui sont susceptibles d’être impliqués dans des affaires criminelles.

Le projet Équipe-école, qui doit débuter à la mi-décembre, s’appuiera par ailleurs sur un cadre de référence créé en 1999 et actualisé en 2013, intitulé « Présence policière dans les établissements d’enseignement ».

Qu’en pensent les jeunes ?

« Quand j’étais à l’école secondaire, il y a eu beaucoup de violence, et certains de mes amis ont fini à l’hôpital à cause de problèmes qu’ils ont eus à l’école », indique Anis, 20 ans, entraîneur d’une équipe de soccer juvénile à Saint-Michel. « Alors, s’il est possible de mettre plus de personnes, ça serait bien », conclut-il.

« Le simple fait d’avoir la police dans les écoles, ça va éviter que les élèves se battent », confie pour sa part un adolescent assis sur un terrain de football.

Marwa, étudiante en 2e année de cégep à Hochelaga, pense elle aussi que le projet pourrait contribuer à diminuer la délinquance chez les jeunes.

Certains élèves ont en revanche exprimé des réticences face au projet. « Si tu es proche de la police, les gens vont te traiter de snitch (mouchard, traître, NDLR) ; il faut faire attention, car personne ne voudra avoir un lien avec toi », nous confie un élève du secondaire.

Amadou, 15 ans, estime quant à lui que la simple présence de policiers dans une école pourrait perturber les élèves. « C’est pas que tu as peur, c’est juste que personne n’aime ça – c’est dérangeant. Parfois, on est là entre amis en train de se disputer, de se taquiner pour rien ; on niaise, c’est rien de sérieux. Eux, ils vont penser qu’on est en train de se battre », explique-t-il. Puis, il avance un autre argument : « Je te donne un exemple : tu es dans une auto et tu conduis ; eh bien, personne n’aime conduire avec un véhicule de police derrière lui qui le suit. Peu importe si tu fais quelque chose de bien ou de mal. »

D’autres étudiants notent que la présence de la police dans les écoles est déjà courante et doutent de l’efficacité de la démarche. « Quand j’étais au secondaire à Saint-Léonard, on voyait souvent des policiers dans les couloirs avec les intervenants ; ils étaient toujours proches », rapporte Kader, un élève au cégep.

«Moi, dans mon école, il y avait des agents de sécurité, affirme une autre élève du cégep, mais ça n’a pas réduit la violence. Les élèves qui voulaient se battre allaient à la pizzéria à l’extérieur de l’école. »

Plusieurs des jeunes issus de minorités visibles que nous avons rencontrés ont également fait remarquer que la police dans les écoles ne constitue pas, à leurs yeux, un facteur de sécurité. « Nous, quand la police vient dans nos écoles, ce n’est pas pour parler », confie l’un d’entre eux.

Une consultation critiquée

La Ville de Montréal indique avoir consulté plus d’une vingtaine de jeunes en mars dernier afin de recueillir leur avis sur la lutte contre la violence armée. Le lien avec ces jeunes a été établi par l’intermédiaire d’organismes communautaires.

Cette consultation s’est tenue dans le cadre d’une vidéo-conférence qui n’a duré que deux heures. Abdellah Azzouz est l’un des 27 jeunes qui ont participé à cette séance de travail. « Je pense que la Ville aurait dû faire plus de terrain et pas seulement passer par les organismes communautaires, affirme-t-il. Ça serait mieux d’aller poser des questions à un jeune qui ne s’est pas nécessairement préparé à répondre à des questions et qui va dire ce qu’il pense réellement. » Il estime que le nombre de jeunes interrogés est trop faible, mais reconnaît toutefois que la Ville de Montréal a fait l’effort de consulter la jeunesse.

Cette question de la représentativité des jeunes rencontrés par la Ville est revenue à plusieurs reprises dans nos échanges avec des élèves du secondaire et du cégep. Un étudiant du collégial craint, par exemple, que les adolescents fassent preuve de retenue ou se censurent en partie dans leurs échanges avec l’institution. Selon lui, une rencontre de ce type n’est pas neutre. Les jeunes, issus en majorité de communautés marginalisées ou stigmatisées, pourraient manquer de spontanéité dans leurs réponses ou encore intégrer dans leurs interactions les idées préconçues que l’on pourrait se faire d’eux.

Par ailleurs, une coalition d’organismes communautaires a dénoncé le projet dans le cadre d’une conférence de presse le 29 septembre dernier. « On est très préoccupés par l’esprit du projet, la façon dont ç’a été conçu et l’impact qu’il aura sur nos jeunes et nos familles », a expliqué Slim Hammami, coordonnateur du Café-Jeunesse Multiculturel, à Montréal-Nord. Il déplore que le milieu communautaire et les parents n’aient pas été consultés ou informés de ce projet, et s’inquiète que les jeunes de quartiers défavorisés soient davantage stigmatisés par ce projet.

Une initiative qui rassure des parents

Jacques Langlois, parent et président du conseil d’établissement de l’école secondaire que fréquente son enfant, voit d’un bon œil le projet Équipe-école. « En tant que parent, je veux que la police protège les élèves », affirme-t-il. Il souhaite également que le SPVM renforce ses relations avec l’école de sa fille. Le projet Équipe-école représente donc à ses yeux une « opportunité » pour les écoles et les services de police de combattre l’augmentation de la violence en milieu scolaire.

Il souhaite en revanche que les étudiants soient consultés par la direction des écoles avant que le programme Équipe-école soit mis en œuvre. « Il est primordial de connaître les limites des élèves. On doit savoir ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas pour assurer le bon succès du projet », conclut le père de famille.

Aux abords de l’école Louis-Joseph-Papineau, tous les parents interrogés par La Converse se sont dits rassurés par le projet Équipe-École. Ils estiment que cette initiative « dissuadera de nombreuses violences aux alentours et dans les écoles ».

Un programme qui soulève des craintes

La présence de policiers dans les écoles est une bien longue histoire. Illustration: Nia E-K

Rhoda Nanre Nafziger, assistante-professeur à l’Université McGill et membre du collectif École Sans Police comprend les préoccupations de ces parents.

Elle juge toutefois que faire appel aux forces de l’ordre ne constitue pas toujours une réponse adaptée au problème de la violence dans les établissements d’enseignement. « En tant que parents noirs, nous intériorisons certaines des conceptions négatives formulées à notre égard. Nous disons à nos enfants : "Ne sois pas méchant", mais nous ne demandons pas au système qui leur fait du mal de mettre un terme à ces souffrances. Nous blâmons l’enfant. Or, nous devons comprendre que quoi que fasse ce dernier, le système ne change pas, »

Elle craint qu’une hausse de la présence policière dans les établissements scolaires ait l’effet inverse et fasse finalement plutôt augmenter le nombre d’incarcérations des étudiants – on parle de « school to prison pipeline » en anglais. Ce concept, développé aux États-Unis, dénonce un système qui criminalise les élèves et les conduit dans le milieu carcéral à la suite de délits mineurs commis dans des écoles. Rhoda Nanre Nafziger redoute également que le programme Équipe-école « cible avant tout des communautés déjà marginalisées et des jeunes qui pourraient être à risque de quitter les bancs de l’école ».

Interrogée à ce sujet, la Ville de Montréal affirme que l’Équipe-école ne reproduira pas les biais constatés aux États-Unis.

Marlihan Lopez est une autre membre du collectif École Sans Police, une branche de la Coalition pour le définancement de la police. L’organisation a été créée à la suite des assassinats de George Floyd et de Breonna Taylor aux États-Unis, et ceux de Chantel Moore et de Regis Korchinski-Paquet au Canada.

Marlihan Lopez estime qu’il est essentiel d’accentuer les actions de sensibilisation contre l’intimidation dans les écoles. Elle juge toutefois que ce travail relève davantage des organismes communautaires que de la police. Selon elle, ces services ne peuvent plus être offerts adéquatement en raison des coupes budgétaires infligées au milieu communautaire par les gouvernements provinciaux successifs.

« [Le gouvernement et la Ville] disent qu’ils n’ont pas d’argent pour augmenter le salaire des enseignants, pour avoir plus de ressources dans les écoles, mais la Ville de Montréal ouvre un poste de conseiller en développement communautaire pour le projet Équipe-école qui tourne autour de 68 000 à 108 000 $ », constate-t-elle.

Des pistes de solutions

Marlihan Lopez considère que la Ville de Montréal s’est peu souciée de l’avis des principaux intéressés : « Ce n’est pas la première fois, en fait c’est toujours la même chose. [La Ville et la police] ne consultent pas et, après, ils viennent avec ces programmes et des projets », déplore-t-elle.

Elle juge primordial que les écoles obtiennent davantage de financement, que les jeunes aient un meilleur accès à des activités parascolaires, à des psychologues, à des psychoéducateurs et à des enseignants mieux formés à leurs réalités.

Stéphanie, une enseignante du secondaire qui préfère taire son nom, abonde dans ce sens. « Il faut mieux préparer les enseignants qui partent exercer à Montréal sur les communautés présentes. Parce qu’enseigner à Montréal, ce n’est pas la même chose qu’enseigner en région. Il y a des détails qui sont importants à connaître », fait-elle remarquer. Elle suggère que la formation offerte aux futurs professeurs intègre davantage d’informations sur la diversité culturelle montréalaise.

Elle met également l’accent sur la création de liens solides entre les parents et l’école. « Sans l’accord et l’engagement des parents, l’école à elle seule ne pourra pas faire tout le travail », juge-t-elle. Puis, elle ajoute : « Les gens ont l’impression que la police est une solution magique. Mais est-ce que tu veux que ton enfant évite un comportement parce qu’il a peur de le faire ou est-ce que tu veux que ton enfant l’évite parce qu’il n’a pas envie de le faire », demande-t-elle.

Les 27 jeunes interrogés par la Ville ont eux aussi suggéré des pistes de solutions, qui sont présentées dans un rapport intitulé Perspectives sur les violences armées : le regard des jeunes. Ils proposent notamment d’associer les jeunes et leurs parents à la recherche de solutions, ou encore d’augmenter les ressources en santé mentale pour les jeunes.

Interrogé au sujet de la démarche de consultation initiée par la Ville, Alain Vaillancourt avance « [qu’|il est difficile de consulter tout le monde ». Il affirme avoir beaucoup parlé aux citoyens et aux organismes qui avaient des inquiétudes afin de diminuer leurs appréhensions en clarifiant certains aspects du projet. Il ajoute avoir rencontré, par l’intermédiaire de travailleurs de rue, des jeunes qui ne fréquentent pas des organismes communautaires.

Le service de communication du SPVM précise pour sa part ce qui suit : « Les policiers qui visiteront les établissements scolaires identifiés seront des agents de concertation, c’est-à-dire des policiers préventionnistes spécialisés. Ceux-ci travailleront conjointement avec les trois conseillers en développement communautaire civils qui seront embauchés, mais aussi en étroite collaboration avec les agents sociocommunautaires des postes de quartiers (PDQ), avec l’appui des conseillers en développement communautaire civils du SPVM déjà présents dans certains PDQ du territoire. »

*Nous avons interrogé des représentants du SPVM au sujet de l’initiative Équipe-École. Nous leur avons notamment demandé de quels programmes ils s’étaient inspirés. La police municipale a mentionné des initiatives mises en place à Glasgow, Toronto, New York et Boston. Il est à noter que la Ville de Toronto a mis un terme à son programme de police dans les écoles secondaires publiques en 2017. Depuis 2017, le conseil scolaire des écoles publiques de Toronto a en effet décidé de retirer le programme de police en uniforme dans 45 écoles publiques. Cette initiative avait été lancée en 2008 à la suite du décès de Jordan Manners, 15 ans, tué dans la cafétéria de son école secondaire. Le programme a été retiré des écoles à la suite d’une consultation menée auprès de 15 000 étudiants, 500 parents et 100 membres du personnel scolaire.

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