Il y a une tempête de neige le jour où Noorbano Anwari visite Montréal pour la première fois. Dans un café, elle semble plutôt amusée par la température et les flocons qui valsent dehors. Arrivée il y a une semaine à Ottawa, elle profite de quelques jours pour découvrir la métropole québécoise avant de travailler. Noorbano, originaire d’Afghanistan, est une réfugiée au Canada. Sa demande a été traitée depuis l’Inde.
Elle travaille maintenant dans un centre pour personnes âgées comme préposée aux services de soutien personnel à Ottawa. C’est grâce à l’initiative Miles4Migrants, qui propose à des voyageurs de donner leurs points récompenses pour offrir des billets d’avion à des réfugiés, qu’elle a pu quitter l’Inde sans avoir à payer son voyage.
« J’étais heureuse, excitée et enthousiaste, consciente que j’étais dans un nouveau pays », lance Noorbano pour parler de ses sentiments lorsque l’avion a atterri à Ottawa.
« La situation en Afghanistan est très difficile pour les femmes et les filles. Ma mère nous a élevées seule, ma sœur et moi, donc vous imaginez, trois femmes ensemble sans homme... C’était trop difficile pour nous », soutient-elle.
Sa mère fuit donc avec ses deux filles vers l’Inde, où elles obtiennent le statut de réfugié.
Noorbano, aujourd’hui âgée de 27 ans, œuvrait alors dans le domaine de la santé et a fini par obtenir en Inde un certificat de travailleuse sociale pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, l’agence onusienne qui vient en aide aux réfugiés. Elle suit également une formation d’infirmière pendant son séjour de neuf ans en Inde, avant d’obtenir une aide qu’elle qualifie d’inouïe.
« J’ai réussi à obtenir un visa pour venir travailler au Canada en tant que réfugiée », et ce, grâce au projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique. Ce programme fédéral combine l’obtention du statut de réfugié avec un placement direct dans le champ d’expertise de la personne concernée afin de combler des besoins au pays.
« Sans l’aide [de Miles4Migrants], je n’aurais même pas osé partir, étant donné la somme à débourser, laisse tomber Noorbano, convaincue. Imagine, tu as un visa et la permission de partir, mais tu ne peux pas te permettre le voyage. »
Faire le pont
Glaydon de Freitas travaillait comme avocat en droits humains au Brésil et aux États-Unis. Directeur général de Miles4Migrants, il partage avec l’organisme la ferme conviction qu’en plus d’être une obligation légale pour les pays, le droit d’asile doit aussi être appuyé par les citoyens en général.
La prise en charge de la sortie des réfugiés du pays où ils subissent des persécutions est une partie négligée par les États et les organismes internationaux, croit-il.
« Lorsque nous accueillons de nouvelles personnes dans nos communautés, au lieu de fermer la porte à nos voisins, je pense que nous devrions faire davantage pression sur le gouvernement pour soutenir ceux qui fuient des situations difficiles, estime-t-il. La solution n’est donc jamais de nier les droits de la personne. »
Il croit que de nouvelles initiatives comme Miles4Migrants doivent voir le jour pour combler un vide.
Depuis la fondation de Miles4Migrants en 2016, 617 personnes provenant de 28 pays sont arrivées au Canada grâce au programme de points. Il aura fallu 25 millions de miles, soit la somme de 585 000 $ que les demandeurs d’asile et les réfugiés ont pu économiser. Miles4Migrant travaille en collaboration avec des ONG sur le terrain qui choisissent les gens qui bénéficieront de ce service.
À cela s’ajoutent 3 500 ressortissants ukrainiens qui sont venus au Canada grâce à l’initiative Ukraine2Canada, soutenue sur le terrain par Air Canada, le gouvernement canadien, MOSAIC et la compagnie de carte de crédit American Express.
Au Canada, une personne réfugiée peut obtenir un prêt du gouvernement du Canada jusqu’à hauteur de 15 000 $ pour ses billets d’avion, qu’elle doit commencer à rembourser un mois après son arrivée au pays.
Sans transport, plus de risques
Depuis son bureau au Texas, M. de Freitas sait que le parcours migratoire des demandeurs d’asile et des réfugiés peut être compliqué, dangereux, voire mortel.
« Nous voyons des personnes d’Amérique du Sud qui traversent par le Panama des zones dangereuses en tentant de rejoindre des lieux sûrs », explique-t-il.
« C’est ce que nous observons aussi en Méditerranée, parce que les gens vont prendre des chemins dangereux pour échapper à la persécution et vont faire ce voyage. »
En 2014, plus de 26 000 migrants sont morts en tentant de traverser la mer Méditerranée. S’ils pouvaient faire des demandes d’asile et être acceptés comme réfugiés depuis leur pays, tout en sachant qu’un vol leur sera fourni pour fuir, peut-être que ce genre de tragédie pourrait être évitée.
Une histoire qui commence entre l’Italie et le Pakistan
En 2016, Nick Ruiz, le fondateur de Miles4Migrants, étudie au doctorat en Italie. Il se lie d’amitié avec plusieurs étrangers qui font aussi leurs études dans ce pays. Il rencontre un jour un réfugié pakistanais dans son église.
« Il avait reçu l’autorisation pour que sa famille, qui était restée au Pakistan, puisse venir le rejoindre après plusieurs années », explique-t-il.
« Sa famille pouvait donc partir, mais le réfugié, en raison des nombreux obstacles qu’il rencontrait dans le cadre de la réinstallation, n’avait pas cinq ou six mille euros pour payer les billets d’avion de ses enfants et de sa femme. » M. Ruiz n’a pas beaucoup d’argent, mais il sait par contre qu’il a plusieurs miles pour payer une portion d’un billet d’avion. Il décide alors de demander à des amis de rassembler leurs récompenses, et ensemble ils finissent par acheter tous les billets d’avion.
« Ils ont réussi à couvrir plus de 6 000 $ en miles. Assez pour aider la famille de son ami », affirme M. de Freitas. Le bonheur des retrouvailles à l’aéroport est ensuite venu confirmer sa nouvelle vocation.
« Il a écrit sur les réseaux sociaux qu’au lieu de se servir de ses récompenses pour avoir accès à un lounge privé, il les avait plutôt utilisées pour contribuer à réunir une famille. Cette publication a fait boule de neige. »
Depuis, plus de 43 000 trajets aériens ont été payés par les dons de gens de partout dans le monde qui offrent des sommes d’argent ou des miles.
Pour Noorbano Anwari, qui a un mois avant de commencer officiellement son nouveau travail, le vol offert par l’organisme lui permet de ne pas arriver dans un nouveau pays avec une dette.
« Mon employeur m’a donné un mois pour régulariser ma situation, avoir un compte en banque, un appartement. Je peux déjà me préparer à amasser une somme pour aider ma mère et ma sœur qui sont restées en Inde », précise-t-elle. Consolation à la suite de cette séparation, elle a une cousine à Montréal qu’elle peut visiter si la famille lui manque trop.
Des temps durs pour les petits organismes
Malgré une mission rassembleuse et de généreuses contributions du public et de compagnies privées depuis plusieurs années, les temps sont difficiles pour Miles4Migrants, avance M. de Freitas.
« Nous sommes une très petite équipe de six employés, nous n’avons même pas d’employé qui s’occupe de la collecte de fonds ; tout ce qui est donné couvre presque exclusivement les vols pour les personnes réfugiées », dit-il avec une pointe de désespoir dans la voix. Il précise que lui et ses collègues préconisent le télétravail pour éviter des frais administratifs supplémentaires.
Il estime qu’annuellement, Mile4Migrants est tout de même capable de fournir de 7 000 à 9 000 vols.
« Je pense qu’un autre défi, c’est la perception de certaines personnes à l’égard des réfugiés. Peut-être que certaines entreprises qui voudraient nous aider ne le font pas de peur d’être associées à un organisme qui aide les réfugiés avec leur billet d’avion [comme si c’était un luxe]. »
Le directeur général rapporte qu’aux États-Unis, par exemple, une certaine frange de la population estime qu’il vaudrait mieux aider les vétérans ou d’autres catégories de citoyens. Sachant qu’il y avait 110 millions de déplacés dans le monde à la mi-2023 et que 6 millions d’entre eux étaient des demandeurs d’asile, il fallait trouver une solution durable à l’accueil et au voyage sécuritaire de ces personnes.
La même perception existe au Canada. M. de Freitas évoque d’emblée le débat autour de l’immigration et du logement, insistant sur les commentaires qui lient la présence des immigrants à la crise du logement. Il appelle à une vigilance accrue.
Il ajoute, passionné, que « lorsqu’on viole les droits fondamentaux des autres, ce sont aussi aux nôtres qu’on fait mal ». « Nous sommes tous liés », résume-t-il.
Pour sa part, Noorbano est formelle : être au Canada, c’est une occasion qu’elle ne laissera pas passer. Elle souhaite s’intégrer rapidement et avoir une réelle influence dans sa ville d’accueil.
« Lorsque le corps s’adapte à un environnement différent, tu dois aussi être mentalement préparé à cette situation. Je prie pour que mon état d’esprit soit calme et j’apprends beaucoup de choses. Je reste ouverte à ce que j’apprends de cette nouvelle culture ici », conclut-elle, un petit sourire en coin.