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Élections : les jeunes et la politique, deux univers irréconciliables ?
Abdellah Azzouz, intervenant au Forum Jeunesse de Saint-Michel Photo: Ramy Berkani
20/9/2022

Élections : les jeunes et la politique, deux univers irréconciliables ?

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

« L’une des clés de nos succès, c’est le vote des jeunes ; et ce vote, on a eu de la difficulté à le faire sortir dans Marie-Victorin. » Voici les mots du porte-parole du parti Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, après la défaite de son parti aux partielles dans Marie-Victorin en avril dernier. Cinq mois plus tard – et deux semaines avant les élections générales provinciales, prévues le 3 octobre au Québec –, le sujet du vote des jeunes refait surface. Plus les élections passent et plus l’abstention chez les 18-25 ans est importante. Pourquoi les jeunes ne votent-ils pas ? Est-ce une question d’âge ? Doivent-ils prendre l’habitude de voter ?

Ce phénomène est-il attribuable à un manque d’éducation politique ou à des lacunes de communication ? Des solutions existent-elles ? Pour tenter de répondre à ces questions, La Converse s’est penchée sur cette distance qui existe entre la jeunesse et la politique.

Les causes du phénomène

« Je ne me sens pas concerné par la politique. »

« Je n’ai jamais voté et je ne sais même pas comment cela fonctionne. » « Mon vote ne sert à rien, car les partis politiques se fichent de nous. » « On sait juste que (François) Legault va nous donner 500 $. » De la Rive-Sud de Montréal à Laval, en passant par Longueuil et le quartier Saint-Michel, les réponses des jeunes Québécois se ressemblent. « Les partis politiques ne viennent pas nous chercher, nous et notre vote. Ils essaient plus d’attirer le vote des aînés, plutôt que le nôtre, alors qu’on représente l’avenir et la prochaine génération », nous confie Rania, 21 ans, qui habite à Longueuil. Maxime Blanchard, doctorant à McGill et co-auteur d’un rapport de recherche sur l’abstention aux élections générales québécoises de 2018, nous parle de la notion d’habitude : « Ce qui peut motiver les jeunes à aller voter, c’est le fait de trouver cela “normal”. Ils ont l’habitude d’aller voter, alors ils continueront à aller voter, et cette habitude perdurera toute leur vie. »

Autre point – et peut-être le plus important –, la jeunesse ne se sent pas écoutée et représentée. Autrement dit, les jeunes estiment que leurs préoccupations et leur réalité passent au second plan pour les partis politiques. Un sentiment qui provoque une scission pour beaucoup de jeunes. « Les principaux partis ne parlent pas assez de certains enjeux, dont ceux qui préoccupent la jeunesse, comme l’environnement. Ce qui explique, en partie, pourquoi les jeunes se sentent moins concernés par la politique et le vote. » C’est le constat que dresse Nadjim Fréchet, doctorant en science politique à l’Université de Montréal, au sujet de l’abstention chez les jeunes.« Ils nous parlent de logement, de rénovation des transports en commun, de la construction d’un pont, mais en quoi cela nous concerne, toutes ces choses ? » s’interroge un étudiant du Collège Dawson vivant à Hochelaga.

« Certains d’entre nous vivent dans une grande précarité dès la fin du secondaire. Une précarité qui pousse beaucoup à arrêter l’école, car ils n’arrivent plus à allier les deux », ajoute-t-il. À propos de la précarité étudiante et de la jeunesse, le Parti libéral annonce des mesures dans son programme. Le parti dit s’engager à revoir le programme de bourses Perspective Québec, annoncé par le gouvernement de la CAQ. Ce programme vient en aide aux jeunes dans la poursuite de leurs études. Quant à Québec solidaire, il propose la gratuité scolaire du primaire à l’université.

Ashley, 22 ans, vote, mais ne se sent pas représentée pour autant par les partis. « On devrait parler davantage de diversité, c’est ce qui nous préoccupe, nous, les jeunes, et pas seulement les jeunes immigrants. La raison pour laquelle on montre du doigt des sujets comme le racisme systémique, ou le manque de représentativité, c’est parce que cela dure. C’est un problème que l’on devrait traiter avec plus de conviction et plus de profondeur. » Un désintérêt, voire une déconnexion, face à la politique provoqué donc par des politiciens eux-mêmes déconnectés des réalités et des besoins de la jeunesse montréalaise.

Communication et éducation, les bases d’une bonne relation

« Malheureusement, on ne nous a jamais présenté ou parlé de la politique ; personne n’a jamais essayé de nous faire aimer la politique », regrette Rania, qui vit à Longueuil. La Converse a contacté et interrogé Élections Québec à propos de ce manque d’éducation politique des jeunes et des lacunes de communication auprès d’eux. « Ils peuvent se rendre sur notre site internet directement, ou suivre nos campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux », nous répondent les représentants de l’institution. Lorsqu’on leur demande quelles mesures sont mises en place dans les établissements scolaires pour susciter l’intérêt des jeunes pour la politique, ils nous répondent que « la politique s’apprend à l’école depuis leur plus jeune âge ». Une phrase qui rend compte du problème d’éducation politique, lequel amène des jeunes à s’éloigner de la sphère politique, et de la question du vote notamment. Déconnectés, Élections Québec et les partis politiques le sont surtout dans leur mode de communication, selon les jeunes de Montréal. « Récemment, ils nous ont sorti une vidéo en faisant le Harlem Shake, une tendance qui date de 2013… » ironise Abdellah Azzouz, un jeune intervenant de Saint-Michel. Interrogés sur ces problèmes de communication et d’éducation politique, les jeunes de Montréal utilisent souvent un mot dans leurs réponses : « proximité ». « On est en période électorale, donc forcément, tu vas rencontrer les politiciens et les candidats, tu vas les voir venir faire semblant de s’intéresser aux besoins du quartier, mais ils étaient où ces dernières années ? » s’interroge de nouveau de façon ironique Abdellah Azzouz. Ces jeunes parlent de proximité dans les rapports humains, les rencontres, les déplacements dans les quartiers et, surtout, dans l’écoute. « Voter et s’impliquer en politique, c’est de l’apprentissage. Tu n’arrives pas à 18 ans, en âge de voter, et tu te dis : “C’est bon, je peux voter.” Non, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne », déclare Mohamed Noredine Mimoun, coordonnateur du Forum Jeunesse Saint-Michel. Il ajoute que les jeunes doivent « recevoir une éducation bien avant de pouvoir voter – à partir de 15, 16 ans.

À cet âge, tu commences déjà à comprendre comment ça fonctionne et l’importance de voter. Quand ils arrivent en âge de voter, ça ne leur parle pas, car ils n’ont rien appris par rapport à cela.» Voilà ce que dénonce notre intervenant. Ce qui pourrait également expliquer pourquoi aucun jeune du quartier de Saint-Michel ne s’est présenté à l’événement de sensibilisation au vote organisé pour eux mercredi dernier par le Forum Jeunesse Saint-Michel. « La politique, ce n’est pas leur milieu naturel, à ces jeunes, mais si on ne fait rien, ils continueront à ne pas se sentir concernés par les élections et le vote », conclut M. Mimoun.

Les voies d’une possible réconciliation

Soucieux de corriger le manque d’éducation des jeunes et la mauvaise communication des organismes politiques, M. Mimoun, qui travaille aussi au Cégep de Maisonneuve, félicite Élections Québec d’avoir installé des bureaux de vote dans les cégeps et les universités : « Juste le fait de savoir qu’ils peuvent voter dans leur école, cela crée un contact. Beaucoup de jeunes ont voté pour la première fois grâce à cette initiative, à cette proximité du vote. » Pour Said, 27 ans, qui habite Saint-Michel, il faut représenter les intérêts des jeunes et les servir. Pour ce faire, de nombreuses initiatives sont mises en place pour faire valoir les enjeux de la jeunesse auprès des partis politiques. L’organisme Vivre Saint-Michel en Santé organise le « débat public » le 23 septembre prochain. Les partenaires communautaires du quartier de Saint-Michel réunissent les candidats de la circonscription de Viau et les citoyens afin de répondre aux enjeux votés par ces mêmes citoyens, dont les jeunes. L’organisme Un itinéraire pour tous (UIPT) se dévoue également pour aider les citoyens de Montréal-Nord à s’informer sur les élections provinciales qui approchent. Comment ? Grâce au programme Engagement citoyen, un programme qui vise à sensibiliser les jeunes à la participation politique et citoyenne. « Il est important pour eux de s’impliquer et de donner leur voix. Il est important qu’ils se considèrent comme détenteurs de ce pouvoir, de ce pouvoir de choisir les gens qui vont prendre des décisions à leur place – ils doivent comprendre cela », insiste Janvier Ndizeye, coordonnateur des projets jeunesse UIPT.

Le programme compte plusieurs projets comme Moi maire(sse) de ma ville, un jeu de rôle où les jeunes se mettent à la place des élus pour les stimuler. Le groupe Les jeunes engagés, qui représente des jeunes, se réunit chaque jeudi et mobilise d’autres jeunes du quartier pour qu’ils accomplissent ce devoir citoyen. Une mobilisation qui passe, par exemple, par la réalisation de capsules vidéo dans lesquelles sont exposés les besoins des jeunes. Lors des soirées jeux vidéo organisées le vendredi ou le samedi par l’UIPT, où de nombreux jeunes sont mobilisés, un « jeune engagé » profite de l’occasion pour discuter des élections à venir, que ce soit pour exposer les enjeux débattus ou le fonctionnement du scrutin. En vue de ces élections, l’organisme présente aussi une série de six capsules qui permettent d’en apprendre davantage sur ce que les partis proposent, tout en leur posant des questions sur les enjeux du quartier : les candidats de la circonscription de Bourassa-Sauvé seront d’ailleurs interrogés sur l’éducation par des jeunes du quartier. « Une amélioration s’est vue avec les dernières élections municipales, où des jeunes qui ont participé à nos projets ont voté, alors qu’ils ne l’avaient jamais fait auparavant », rapporte Janvier.

Devenir premier ministre, l’espoir d’Azzouz

De retour à Saint-Michel, l’espoir est quand même là, malgré l’absence des jeunes à l’événement politique organisé par le Forum Jeunesse. Cet espoir, c’est notamment Abdellah Azzouz, qui est bien motivé à montrer la voie aux jeunes de son quartier. Comme Les jeunes engagés, Abdellah, un intervenant du Forum Jeunesse Saint-Michel, fait partie de ceux qui croient encore à des rapports riches entre la jeunesse et la politique.

Malgré le désintérêt de plusieurs dans son quartier, le jeune Abdellah, un résidant de Rosemont, a des ambitions politiques pour « changer les choses », affirme-t-il. Il étudie l’économie à l’Université de Montréal pour pouvoir (dans un premier temps) enseigner cette matière au cégep en tant que professeur. Cependant, les ambitions du jeune homme ne s’arrêtent pas là… « Je vais devenir premier ministre », nous dit-il. « Tu veux devenir ministre ? » lui demande-t-on. « Non ! Je vais devenir premier ministre », insiste-t-il, avec un sourire exprimant une assurance inébranlable.

« J’ai toujours voulu être premier ministre, mais je n’en avais jamais parlé, parce qu’on allait me prendre pour un con, mais je sais ce que je vaux », poursuit l’aspirant politicien, qui n’hésite pas à donner son avis sur les enjeux de son quartier. Il condamne ainsi l’inaction des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux sur la question de la violence armée. « Pensez à ce que vous avez mal fait et pas fait pour qu’on soit rendu là aujourd’hui ! » avait-il lancé aux politiciens lors d’une vigile en novembre dernier.

Celui que l’on appelle simplement « Azzouz » dans son quartier est arrivé au Québec en 2009. « Mes parents ont décidé de venir ici, car le système de santé et d’éducation est bien meilleur pour nous et notre avenir qu’en Algérie », souligne-t-il. En devenant premier ministre, le jeune intervenant souhaite être une source de motivation pour d’autres, mais il aimerait surtout s’impliquer pour aider les gens. « Ma mère et mon père ne peuvent pas travailler avec leurs diplômes, ici au Québec, comme beaucoup qui vivent cette situation. On ne leur ouvre pas toutes les portes pour s’intégrer. Moi, je veux ouvrir toutes les portes ! » conclut-il fièrement.

Ouvrir des portes, voilà ce qui intéresse ce jeune dans la politique. C’est aussi dans l’optique d’ouvrir ces portes que des organismes communautaires se mobilisent. Des solutions et de l’espoir existent de part et d’autre, mais c’est encore trop peu pour rapprocher la jeunesse de la politique ou, du moins, de leur devoir civique. Un devoir qui devrait, selon les jeunes, s’adapter aux nouvelles générations et à leur façon de faire – à l’exemple, notamment, de l’arrivée du vote électronique.

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