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11/6/2020

Faire face au racisme pour la première fois

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Pour les personnes racisées, se retrouver dans une situation où on est victime de discrimination est rarement un incident isolé. Les personnes avec qui nous avons discuté – abordant diverses questions, des micro-agressions aux propos haineux – ont illustré de leurs témoignages ces premières confrontations de l’enfance face au racisme.

L’école, terreau de la discrimination

Schaël Marcéus, un jeune homme de 26 ans d’origine haïtienne, se rappelle en détail un incident qu’il a vécu à l’âge de 8 ans. « Le film Winnie l’ourson venait de sortir, et je possédais une figurine de Tigrou. Je l’ai apportée au service de garde », raconte-t-il. « Je me trouvais avec une éducatrice et je lui ai dit : “Regarde Hélène, c’est toi.” Et j’ai fait une pirouette,  figurine à la main », se souvient-il. Schaël se rappelle que cette journée s’est déroulée tout à fait normalement. « Lorsque mes parents sont venus me chercher, l’éducatrice a demandé à leur parler dans son bureau. Elle leur a posé des questions sur ce que je regardais à la télé, leur a demandé s’ils me surveillaient et si je regardais des émissions qui n’étaient pas appropriées pour mon âge. » C’est une émission populaire de l’époque qui a suscité cette inquiétude. « La semaine précédente, il y avait eu un personnage dans un épisode qui était maître vaudou, explique Schaël. L’éducatrice avait pensé que je pratiquais le vaudou. Je me rappelle encore la peur dans ses yeux. »

Elvira Kamara, une Afropolite ivoirienne de 35 ans, a connu une expérience similaire, elle qui est devenue la cible de son enseignante à 11 ans. « Je venais d’arriver en France et j’étais la seule personne noire de ma classe », raconte-t-elle. « L’enseignante titulaire, une sœur, m’a obligée à me présenter devant toute la classe, car, à ses dires, je venais d’Afrique. Elle était choquée de la qualité de mon français », se rappelle-t-elle. Elvira est la seule élève qui ait dû se présenter ainsi à tous ses camarades.

Pour Elizabeth Tran, une native de Montréal de 32 ans, la première expérience de racisme remonte au primaire. Elle avait sept ans. «J’avais apporté un plat vietnamien pour dîner. Un enfant m’a demandé comment ça s’appelait. Je ne connaissais pas la traduction du nom du plat. On a ri de moi en disant que je ne savais pas ce que je mangeais. »

Yara El-Soueidi, une Libano-Québécoise de 29 ans, a été confrontée au racisme d’un autre élève en 4e secondaire, dans une école privée de Montréal. « C’était à l’époque de la crise des accommodements raisonnables, dit-elle. Je rangeais mes affaires, et quelqu’un m’a lancé un truc. » L’assaillant était un garçon de sa classe. « C’était un objet métallique assez lourd. Ça aurait pu me blesser, explique-t-elle. Je me suis retournée et je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça. Il m’a dit qu’à cause des “gens comme moi”, les gens ne pouvaient plus faire ce qu’ils faisaient avant, et qu’on les forçait à être comme nous. » La jeune Yara n’a pas bien saisi les propos que tenait son camarade – ce qu’elle lui a dit. « Il m’a répondu que je n’étais pas Québécoise, que je n’étais qu’une “sale Arabe”. »

Pour Zaynab, qui a 27 ans, plusieurs incidents sont également survenus à l’école primaire. « Des enfants m’ont déjà dit que ma peau était noire parce que ma mère m’avait fait caca dessus en me donnant naissance », rapporte-t-elle. À deux reprises, le comportement discriminatoire d’élèves n’a pas été sanctionné par le personnel de l’école. « Un garçon m’a traitée de sale négresse dans l’autobus scolaire.

J’ai vu rouge. Je me suis jetée sur lui. Évidemment, c’est moi qui ai eu des ennuis, même si ce garçon était plus vieux et plus grand que moi, et que je n’aurais pas pu lui faire mal. »

Le scénario se répète au secondaire. « On devait sortir et j’ai dit au garçon devant moi de respecter la consigne et de se mettre en ligne. » Pour toute réponse, Zaynab a reçu un violent coup de poing dans le visage. « Devinez qui a eu des ennuis », conclut-elle.

L’inconnu qui attaque l’enfant

Sephora, une femme noire non-binaire âgée de 35 ans, a vécu une situation traumatisante à la sortie de l’école alors qu’elle avait 9 ans. Au moment de l’agression, elle prenait l’autobus en compagnie de son père. « J’avais mon sac à dos, je portais mon uniforme scolaire », se remémore-t-elle. « Une place s’est libérée à côté d’une dame dans l’autobus. Je suis venue pour m’asseoir et elle a mis sa main contre ma poitrine pour m’en empêcher. Elle m’a poussée sur le côté pour m’écarter en disant : “Non, pas toi.” Puis, elle a fait signe à une inconnue, une dame blanche qui était plus loin, de venir s’asseoir. » Le père de Sephora a réagi immédiatement.

« J’ai regardé mon père, qui s’est mis à crier : “J’ai vu ce que vous avez fait, madame ! Vous êtes raciste, ce n’est pas correct, on ne fait pas ça à un enfant.” » Personne n’est intervenu. Arrivés à destination, Sephora et son père sont descendus de l’autobus. « Personne ne m’a expliqué ce qui venait de se produire, que l’incident que je venais de vivre était raciste et que je n’avais rien fait de mal, déplore-t-elle. Je ne l’ai jamais oublié. »

Naadei Lyonnais, qui est Noire, a grandi à Rouyn-Noranda. Elle se souvient d’un incident qui s’est produit une semaine après son arrivée dans cette ville. Elle avait alors six ans. « Je marchais avec ma mère et une voiture s’est arrêtée au beau milieu de la rue, raconte-t-elle. Les passagers nous dévisageaient en nous pointant ; leurs yeux étaient agrandis par la surprise. Ils ne nous voulaient sûrement aucun mal.

C’était probablement la première fois qu’ils voyaient une personne noire, mais à six ans, ça m’a grandement marquée. »

Composer avec le racisme dès l’enfance

Très jeune, Naadei a développé un mécanisme de défense contre la discrimination à son égard. « À six ans, à la suite de plusieurs incidents, j’ai décidé que je ne verrais tout simplement pas le racisme, que je n’y penserais pas, que je ne supposerais pas qu’il existe, que je n’en parlerais pas à mes parents », déclare-t-elle. « J’effacerais simplement cette idée de mon esprit, j’en rejetterais le concept. C’est pour ça que, lorsque je vivais de la discrimination, je choisissais de penser qu’on ne m’aimait pas personnellement, sans raison particulière », explique-t-elle. Elle dit avoir fait ce choix en réalisant très tôt que le racisme était partout, même chez les gens qu’elle aime, notamment ses amis et sa famille. « J’ai compris tout de suite que si j’y prêtais attention, je ressentirais de la tristesse, de la frustration ou, pire, de la haine. Donc, pour me protéger et être heureuse, j’ai décidé de bloquer tout ça. »

Maricar-Kristine Montes, une jeune femme de 27 ans née au Québec et d’origine philippine, se remémore également des événements qui ont marqué le quotidien de son enfance. Elle se souvient avoir été témoin de la discrimination que subissaient ses parents, notamment de la façon dont ils étaient parfois traités dans les magasins. « J’étais très jeune, mais c’était bien visible, affirme-t-elle. Comme nous n’étions pas d’ici, j’ai intégré le fait que c’était des choses auxquelles je devais m’attendre. On gardait toujours la tête baissée, ou alors on faisait comme si de rien n’était. » Lorsque sa famille s’établit en banlieue de Montréal, Maricar a six ans. Elle devient vite la cible des remarques désobligeantes de ses camarades, ce qui n’était pas le cas lorsqu’elle allait à l’école dans Côte-des-Neiges.

« Les élèves faisaient constamment des blagues sur les Noirs, les Asiatiques, les Latinos et les Musulmans. Tout ce qui était différent d’eux, c’était correct de s’en moquer. » À l’école secondaire, elle s’insurge pour la première fois contre un commentaire particulièrement dégoûtant.« Un élève m’a dit que je n’avais pas besoin de m’inscrire au cégep, parce que j’allais finir par travailler chez Thaï Express. » Au lieu de dénoncer un tel comportement, on lui a plutôt dit : « Ce n’est pas ce qu’il voulait dire », « Tu es trop sensible » et « Allez, c’était drôle! ». « Personne n’a essayé de me rassurer. On s’est contenté de le défendre », regrette-t-elle.

Prévenir le racisme à un stade précoce

Lorsqu’on constate les difficultés que peuvent vivre les enfants racisés, on comprend l’urgence d’agir. L’artiste Joyce N’sana en sait quelque chose. Musicienne et mère de deux enfants de sept et huit ans, elle est membre de Biblio Afro Jeunesse, un collectif qui met de l’avant des livres jeunesse avec des personnages racisés et des livres antiracistes pour les enfants. «  Les gens ont commencé à consulter la page parce qu’on y trouve des livres écrits par des auteurs racisés. Mais on ne veut pas que ce soit uniquement des parents racisés ou issus de la diversité qui adhèrent ; cette initiative est aussi destinée aux autres parents. Tous doivent se sentir concernés par le problème afin d’élever des enfants qui soient antiracistes », déclare-t-elle. Un des collaborateurs de la page est d’ailleurs un homme blanc québécois. « Ça compte énormément aussi pour que les parents se rendent compte que ce n’est pas uniquement une page pour les personnes racisées. C’est pour tout le monde, parce que combattre le racisme ne passe pas seulement par une communauté, ça passe par toutes les communautés. »

D’après Mme N’sana, les écoles manquent de structure en ce qui a trait à l’antiracisme. «On se dit simplement que les enfants se taquinent, et que ça va passer. Quand ils le vivent quotidiennement et qu’il n’y a pas de structure, ou de parents qui soient suffisamment conscients de cet enjeu pour éduquer les enfants, ça ne passe pas », estime-t-elle. L’artiste, qui est aussi éducatrice à l’enfance, a commencé à aborder le sujet très tôt avec les enfants. « Les gens ne naissent pas racistes, ils le deviennent. Il s’agit de comportements et d’intolérances qui sont reproduits, car ils ont été observés quelque part. Les enfants ne font que répéter ce qu’ils voient, d’où l’importance de commencer à éduquer les enfants très jeunes sur ces sujets-là », élabore-t-elle. Et lorsqu’il s’agit d’enfants, c’est souvent plus simple qu’on pense. « Les gens se demandent comment ils vont faire, car ce sont des sujets complexes. Mais si on les explique aux petits, on les corrige, c’est assez pour qu’ils puissent comprendre. »

Il faut commencer par des choses très simples et parler leur langage. « Mes enfants et moi, on a eu notre lot d’incidents, confie-t-elle. Mon fils est revenu de l’école un jour en disant : “Je veux que tu me coupes les cheveux.” Inspiré par sa mère, il portait alors des locs. « Mais, arrivé à l’école, ses amis lui ont dit que ce n’était pas beau, que c’était du caca. “Je veux les couper”, répétait-il. » Joyce et son fils ont eu une discussion sur le sujet, et ce dernier s’est calmé. Malheureusement, quelques jours plus tard, les remarques ont repris de plus belle, et le garçon a lui-même été chercher les ciseaux pour se couper les cheveux. Son frère a aussi dû faire face à des situations difficiles à l’école. « Mon premier s’est fait traiter de “Chinois”, rapporte-t-elle. Je lui ai dit : “Tu sais d’où tu viens, tu sais qui tu es, tu sais que ton papa est un Québécois, tu sais que ta maman est une Congolaise, tu sais que tu es métis.” Quand il est arrivé avec cette histoire en pleurant, je lui ai dit : “Tu te rappelles ce qu’on a dit ? À l’école, vous n’êtes que deux – ton frère et toi – à avoir une couleur de peau différente. Les autres n’ont peut-être jamais vu ça avant. Peut-être que tes amis à l’école, tout ce qu’ils connaissent de la “diversité”, ce sont les Chinois. Mais toi, tu as une bouche, tu es capable de leur expliquer. Est-ce que tu as la peau de la même couleur qu’une personne qui vient de Chine ? Donc, explique-lui, à ton ami” », raconte-t-elle.

Son garçon a suivi les conseils de sa mère à sa manière, non sans que cette dernière lui eût expliqué que les Chinois sont des gens qui doivent être traités avec respect, comme tout le monde, et qu’il ne faudrait pas blesser un autre ami.  Mme N’sana estime par ailleurs que la lecture peut grandement aider les enfants à comprendre la société dans laquelle ils vivent. «Dans un livre, on peut transmettre beaucoup de choses », résume-t-elle. Depuis les circonstances actuelles. Une séléction de livres antiracistes pour les enfants, a d’ailleurs vue le jour dPour finir, elle rappelle une chose d’une grande importance. « On cible les enfants, mais avant tout, il faut s’adresser à eux parce que ce sont eux qui peuvent éduquer les enfants. Si les parents ne sont pas éduqués, ils ne peuvent pas parler de cet enjeu à leurs enfants. Des structures comme les écoles, les bibliothèques, les garderies, les CPE devraient pouvoir mettre en place des programmes et des initiatives pour sensibiliser les parents et les enfants aux questions du racisme et de la diversité. »

Et vous, quelle a été votre première expérience personnelle avec le racisme ? Que faites-vous pour le combattre ?

L’actualité à travers le dialogue.
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