Stéphanie dans les rues de Montréal.
Hood Heroes
« Hood Heroes » – épisode 13 : Stéphanie Germain ou miss Nana Germain pour les intimes
9/2/24
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Très impliquée dans le milieu communautaire de Montréal-Nord et de ses environs, Stéphanie Germain se partage entre ses rôles d’organisatrice communautaire et de directrice générale d’Éduconnexion, un organisme à but non lucratif qui encourage l’éducation et la participation citoyenne des jeunes.

Aujourd’hui, elle retire ses nombreux chapeaux et se confie à La Converse, le temps d’un honnête échange. 

Redonner le pouvoir d’agir 

Stéphanie arrive de manière chaleureuse en début de soirée. Son habitude, c’est d’être soignée et apprêtée. « Je suis une amoureuse de la mode, me dit-elle en riant. Ma façon préférée de communiquer, c’est par ma façon de m’habiller. » Toujours à l’aise, toujours coquette – voilà sans doute la meilleure façon de décrire l’apparence de Stéphanie. « Le temps que je passe à me préparer, à m’occuper de ma peau tout en mettant de la musique… c’est souvent la partie que je préfère de toute ma soirée », dit-elle en riant. 

Une fois bien installée, elle entame un récit unique : le sien. « Je suis arrivée au Québec en plein mois de février. Je me rappelle encore mon premier contact avec le froid et la neige : à peine descendue de l’avion, j’ai perdu mon soulier, et mon pied a touché le sol froid », commence Stéphanie, le regard occupé, perdue dans ses souvenirs. « C’était un peu comme si j’étais Cendrillon », ajoute-t-elle en rigolant. 

Ayant grandi dans les HLM de Montréal-Nord, Stéphanie Germain veut représenter l’espoir pour les jeunes de son quartier. Avec beaucoup d’émotion, elle nous partage son parcours et les ambitions qui l’ont conduite là où elle est aujourd’hui. « Ce qui m’a motivée, ce sont vraiment les souvenirs de mon enfance à Montréal-Nord… Une grande partie de mon histoire est dans ce quartier-là », nous dit-elle en évoquant des souvenirs qu’elle chérit visiblement. Se remémorer la genèse de son implication sociale lui procure toujours ce sentiment de nostalgie. 

« Il m’arrive de penser à tous les programmes auxquels je n’avais pas accès quand j’étais adolescente. Aujourd’hui, ce sont ces possibilités que je veux offrir à ces jeunes-là », continue-t-elle. Après un moment de réflexion, l’organisatrice communautaire ajoute que « les expériences qu’[elle n’a] pas vécues étant plus jeune [l’ont] poussée à créer des activités par, pour et avec les jeunes afin qu’ils en profitent, mais qu’ils redonnent aussi à la communauté ». 

Stéphanie a découvert le milieu communautaire dans le cadre de plusieurs initiatives. « J’ai commencé par donner des cours de danse dans des centres communautaires, dit-elle. J’ai toujours aimé danser. Pouvoir l’enseigner aux plus jeunes, ça m’a permis de combiner deux choses que j’aime. »

Arrivée à l’âge adulte, elle se découvre un certain talent pour la scène. « J’avais commencé à monter beaucoup plus souvent sur scène, à animer des galas à Montréal-Nord à l’époque », se remémore-t-elle. 

Tout indiquait qu’elle avait un avenir tout tracé dans le domaine de l’animation. Des études en communication et médias l’avaient initiée à cette spécialisation, mais c’est en se retrouvant par hasard dans un rôle d’animatrice à l’école secondaire Louis-Joseph-Papineau, dans le quartier Saint-Michel, qu’elle commence à travailler quotidiennement avec des jeunes. « Sur le moment, j’ai vu qu’un poste était disponible, alors j’ai postulé sans trop poser de questions. Ça me parlait et c’était suffisant pour moi », résume-t-elle. 

« Je me suis formée sur le terrain », déclare-t-elle. La directrice d’Éduconnexion a passé beaucoup de temps avec les jeunes et les familles. « Je m’assois avec moi-même et je me demande : qu’est-ce que je pourrais créer ? Qu’est-ce que j’aurais aimé avoir quand j’étais plus jeune ? » 

Une très jeune Stéphanie Germain. Courtoisie de Stéphanie Germain.

Aujourd’hui, Stéphanie enchaîne les organisations d’événements par et pour les jeunes. Elle occupe une place importante non seulement à Montréal-Nord, mais aussi dans la vie de centaines de jeunes à qui elle a proposé du mentorat et des activités communautaires inclusives. « C’est tellement important de savoir que, quand tu te lèves le matin et que quelque chose ne va pas dans ta communauté, tu as le pouvoir de changer ça », ajoute-t-elle. Ce pouvoir d’agir, il se manifeste sous plusieurs formes : « en écrivant des lettres aux élus, en mobilisant les responsables politiques, en allant cogner à la porte de l’hôtel de ville, par exemple », énumère-t-elle. 

La déchirure de mai 2020

La route n’est pas toujours facile, et Stéphanie peut en témoigner. En racontant son parcours marqué par les hauts et les bas du quotidien, elle confie avoir vécu un changement majeur à la suite de la mort de George Floyd aux États-Unis en 2020. « Après la mort tragique de George Floyd, il y a eu comme un shift. À partir de ce moment-là, c’est devenu comme une course très intense. Toute l’attention était tournée vers les enjeux des différentes communautés noires », rapporte-t-elle. 

« Je me suis sentie essoufflée à parler de ces traumatismes, des choses qu’on vit en tant que personne noire sur le sol québécois et canadien », explique-t-elle. Stéphanie explique comment il lui a fallu tout partager et tput sortir de son cœur dans un laps de temps très bref. Elle ajoute aussi que sa fatigue, causée par l’accumulation des activités liées à son engagement contre le racisme anti-noir, l’a poussée à s’isoler. « J’ai dû me fermer aux autres. J’ai fermé mes réseaux sociaux, et j’ai limité l’accès qu’on pouvait avoir à moi. »

Stéphanie remarque toutefois qu’elle a eu une grande chance. Elle est reconnaissante pour tout ce que son travail lui a apporté. « Je n’ai pas payé le prix de ma vie pour faire valoir mes intentions, dit-elle. Il y a des personnes comme Fredy Villanueva qui ont laissé leur vie pour cette cause. Je pense aussi à Jayson Colin et à d’autres jeunes qui ont perdu la vie parce que la société a échoué à les protéger », déclare-t-elle d’une voix forte. 

Fredy Villanueva, qui était un ami de Stéphanie, a été assassiné dans une intervention policière en 2008. L’histoire de Fredy, en plus d’avoir ébranlé tout Montréal, a été particulièrement difficile pour Stéphanie. Elle se rappelle encore ces fois où la famille du défunt l’invitait à passer des après-midis chez elle, ou des barbecues auxquels elle participait en compagnie des Villanueva. « Certaines personnes ont été choquées par la fin tragique de Fredy sans même le connaître. Alors, pour moi, pas besoin de dire à quel point ç’a été dur », dit-elle, perdue dans ses souvenirs. 

« On a vu beaucoup de jeunes de nos communautés, notamment de jeunes Noirs et de jeunes Arabes, mourir comme ça. Selon moi, ça en dit long sur la responsabilité que notre société a envers nos jeunes », martèle-t-elle. Si la société a failli à protéger ces jeunes-là, la réponse à cette faillite se trouve dans la conception qu’on a du problème : « La violence armée, peu importe la forme dans laquelle elle se présente, doit être considérée comme un enjeu de santé et de sécurité publique », croit-elle. En d’autres termes, reprend-elle, il faut offrir des services de proximité pour les jeunes et les familles, qui sont les premiers à souffrir de cette violence. 

« On doit s’assurer de prendre soin de nos jeunes », précise Stéphanie. C’est pour cette raison qu’au fil des années, l’organisatrice communautaire s’est engagée à mettre en place un grand nombre de projets dédiés aux jeunes. « On leur doit au moins ça », dit-elle. 

Être Noire et grandir au Québec 

Stéphanie se remémore sa propre adolescence en tant que jeune fille noire à Montréal. Sa « période d’éveil », comme elle l’appelle, est arrivée au beau milieu du secondaire. « À 14 ans, quand tu es une jeune fille noire à Montréal, tu n’apprends pas grand-chose sur ton peuple. Tu te poses des questions, tu ne sais pas grand-chose sur toi ou sur le monde », laisse-t-elle tomber d’un ton dépité. 

L’histoire des Noirs est peu ou pas enseignée au Québec. Selon la Montréalaise, cela a beaucoup contribué à l’isolement et à l’aliénation des personnes noires, en particulier des jeunes. « On a très peu parlé de la présence des peuples noirs au Canada. Il y a eu des déplacements forcés de nos communautés », commence-t-elle par expliquer. Elle indique qu’elle aurait aimé en apprendre davantage sur les ancêtres de sa communauté, et qu’il est nécessaire d’enseigner l’histoire aux jeunes Noirs au Québec. « Quand on pense à l’histoire des Noirs, c’est aussi l’histoire du pays. Je pense qu’il aurait été nécessaire qu’on nous montre comment on a été des acteurs et des actrices de l’histoire, qu’on a contribué à tous les niveaux à la construction de ce pays », dit-elle. 

C’est d’ailleurs un peu ce qu’elle fait aujourd’hui dans les activités de mentorat qu’elle a mis en place. Stéphanie Germain travaille avec des gens comme Svens Télémaque et Webster (Aly Ndiaye), qui racontent l’histoire des Noirs au Canada. 

Vers l’avenir

Stéphanie se remémore le discours d’un pasteur qu’elle a entendu lors de funérailles. « Ce dernier disait que, lorsque quelqu’un meurt près de nous, notre premier réflexe est de nous questionner sur notre propre mort, sur notre existence. Il nous avait demandé de réfléchir à ce qu’on voulait laisser sur Terre après notre mort », raconte-t-elle d’un ton songeur. Encore aujourd’hui, ces paroles résonnent dans la tête de la jeune femme. 

Cela va au-delà de sa personne et de ses actions, pense-t-elle. « Un jour, quand je ne serai plus là, qu’est-ce que j’aurai laissé à la jeunesse et aux futures jeunesses ? Ce que je bâtis aujourd’hui, c’est exactement pour ces personnes », explique-t-elle. 

Stéphanie est néanmoins consciente de son privilège : celui de pouvoir contribuer à la vie de la communauté. Elle souhaite que les jeunes puissent eux-mêmes redonner aux générations à venir. « Je suis dans un esprit de partage, dans l’esprit de “redonner”, affirme-t-elle. Et je veux que les autres le soient aussi. » 

Ce que Stéphanie souhaite pour la jeunesse, c’est d’agir, d’agir et d’agir. Elle adresse aux jeunes de quartiers le message suivant : « Soyez assurés que, si vous parlez, il y aura des gens pour vous entendre. N’ayez jamais peur de prendre la parole, et sachez que vous méritez toute l’attention. » 

« Miss Nana Germain » croit fortement en l’engagement citoyen des jeunes. « Utilisez votre génie, soyez courageux. Dites aux gens que vous êtes là, que vous existez et que vous avez le droit de contribuer au changement que vous voulez voir et que vous voulez créer. »

« Ce n’est pas seulement mon travail, c’est aussi ma vie, dans le fond », conclut-elle sur une note forte.

L’actualité à travers le dialogue.
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