« À la base, je suis écrivain. Mais je suis aussi un chilleur ! » C’est sur ces paroles humoristiques que s’amorce notre conversation avec Lex Garcia. De son vrai nom Alexander de Gracia, ce millénarial montréalais est aujourd’hui scénariste et l’une des nouvelles figures de l’écriture au petit écran. D’origine panaméenne, Lex raconte à La Converse son parcours jalonné d’expériences uniques et son sentiment d’appartenance à l’est de la ville.
À travers son récit, Lex a un message d’espoir pour la jeunesse des quartiers de la métropole.
Montréalais par excellence
Avec un énorme sourire et un peu de timidité au départ, Lex s’installe dans les studios de La Converse. « Quand on me demande qui je suis et comment je me décrirais, ce qui revient toujours, c’est que je suis du Panama et que je viens du East », commence Lex en souriant. Se qualifiant d’« amoureux de la rue », le Canado-Panaméen estime avoir « traîné un peu partout avec tout le monde ». « Me gusta la calle (j’aime la rue, NDLR), j’aime sortir, j’aime les fêtes, j’aime les événements, etc. » énumère-t-il.
Comme n’importe qui, Lex estime avoir un parcours assez banal. « J’ai beaucoup déménagé, j’ai fréquenté plusieurs écoles. J’ai vite compris comment le système académique fonctionnait ici : je savais ce qu’il fallait faire pour ne pas avoir de problèmes, je savais quoi dire pour que mes professeurs me laissent tranquille », raconte-t-il.
Il y a quelques années, alors qu’il entame des études de psychologie, Lex se questionne. L’écriture a toujours été là, en parallèle, mais il ne sait pas comment l’intégrer à son identité. Il se retrouve donc, après une suite d’événements fortuits, « à faire les bonnes blagues au bon moment devant les bonnes personnes ». Il raconte sa réaction lorsque l’un de ses projets a été pris en considération par VICE Media : « J’attendais l’autobus dans le Rivière (à Rivière-des-Prairies, NDLR), et j’ai reçu un appel d’un numéro inconnu. Mon premier réflexe : ne pas répondre, bloquer le numéro. Les gars du hood, on panique, décrit-il en rigolant. Puis, le même numéro m’a rappelé tout de suite après. En répondant, j’ai su que c’était un gars qui travaillait pour VICE et qu’il était intéressé par l’un de mes pitchs », évoque-t-il, des étoiles pleins les yeux, comme s’il revivait ce moment.
« Je suis un homme du peuple »
« Je n’ai pas d’attachement particulier à un seul quartier, mais je dois avouer que j’ai beaucoup d’affection pour Villeray. Villeray, c’est la Mecque des Latinos à Montréal », commence-t-il en évoquant son attachement pour sa culture d’origine. « La communauté panaméenne à Montréal est très petite. On se connaît tous, et on se reconnaît à notre accent lorsqu’on parle espagnol avec d’autres hispanophones. »
À Villeray, il y a une importante communauté latinoaméricaine. Lex en parle beaucoup lorsqu’il s’agit d’élaborer sur son sentiment d’appartenance à la culture d’Amérique latine. « J’ai appris à danser la salsa et la bachata* chez les Salvadoriens ; j’ai passé tellement de temps dans les soirées colombiennes et j’ai mangé la meilleure nourriture de la communauté péruvienne ! D’ailleurs, shout out à la nourriture péruvienne. Meilleure nourriture au monde ! » prend-il le temps de dire. Pour Lex, ce sont ces contributions qui, une à une, construisent la culture latinoaméricaine à Montréal.
Il se rappelle d’ailleurs le temps où il traînait dans les rues de l’Est de l’île. « Les meilleurs commerces latinos sont à Villeray, soutient-il. Mes parents allaient louer des cassettes de films dans un marché qui les vendait sous la table en espagnol, et c’est un peu comme ça que je n’ai pas perdu ma langue maternelle », raconte-t-il sur un ton enfantin.
« La lucha », ou la lutte
Si son parcours est parsemé de petites péripéties, l’auteur reste conscient qu’il est difficile de réussir – dans tous les domaines bien sûr, mais spécialement dans ceux qui nous passionnent et qui semblent être impossibles à atteindre.
« Qui dit travail, dit effort ; et qui dit effort, dit échec, éventuellement » : c’est comme ça que le scénariste nous présente sa vision du monde. Il continue : « J’ai commencé dans la musique. J’étais très motivé, je travaillais dur. Aujourd’hui, je l’avoue, je n’étais pas très bon », confie-t-il après un rire timide.
Être perdu fait partie du processus, explique-t-il. « Il y a de la lutte – la lucha, en espagnol – dans tout. Mais l’important, c’est de continuer. Là où il y a un échec, il y a aussi une occasion de se réinventer », déclare-t-il, déterminé.
Sur une note un peu plus personnelle, il avoue : « Je déteste écrire, mais je déteste encore plus ne pas écrire. » Lex écrit depuis qu’il a 13 ans. Dans des moments plus difficiles de sa vie et de son adolescence, l’écriture lui a permis de lutter contre ses problèmes. « Dans l’écriture, je parle souvent de comédie dramatique. Le meilleur des drames est toujours humoristique, affirme-t-il. C’est un peu ça, l’esprit de la vie. Il y a des moments un peu plus compliqués que d’autres. Mais l’important, c’est d’apprendre de ces épisodes. C’est aussi ça, l’esprit de l’art. »
Ce qui est aussi important pour Lex, c’est de faire preuve de résilience et de souplesse. « Il n’y a rien dans la vie qui soit un L (une perte, NDLR) ou un fumble (une occasion ratée, NDLR). À partir de cet échec, comment est-ce que je peux réussir ? C’est la question qu’il faut se poser dans les moments difficiles », déclare-t-il.
Il faut une communauté pour élever un jeune
Au sujet des difficultés auxquelles les adolescents des quartiers font face à Montréal, Lex Garcia réitère l’importance de la communauté et de ses grands bienfaits dans la vie d’un jeune.
« Ce que ça prend, c’est une communauté pour élever un jeune. C’est une capacité à ne pas s’isoler, et ça, ça commence par nous-mêmes. Ça ne commence même pas par l’enfant en question », commence-t-il calmement.
« Ce qui forme la vie d’un enfant, ce n’est pas seulement sa famille ou ses proches. C’est tout ce qu’il voit, tout ce qui l’entoure. C’est le monsieur au dépanneur qui s’assure qu’il n’est pas en train de foxer (ne pas aller à ses cours, NDLR). Ce sont aussi les plus vieux du quartier qui doivent garder un œil sur lui et les autres plus jeunes », énumère-t-il.
Il y a aussi le concept de « responsabilisation de la communauté » qu’évoque le Hood Hero. « Il faut que les jeunes se sentent en sécurité et à l’aise chez eux, près de leurs repères. La violence prend des formes différentes. L’enfant qui commet des délits n’est pas un criminel. Définir une personne par la somme de ses méfaits, c’est la rendre unidimensionnel. Mais une personne a de multiples facettes – et c’est encore plus complexe chez les jeunes. »
« Lorsqu’on voit des jeunes qui ont des bout (armes à feu, NDLR) sur eux ou qui zak (volent, NDLR) des autos, par exemple, il faut se poser une question : où sont nos lacunes en tant que communauté ? Il faut garder en tête que les actions de certains reflètent les lacunes des autres. Elle est là la conversation avec la jeunesse », déclare-t-il.
Un problème de communauté
Lex estime que ces lacunes communautairesse retrouvent très tôt dans l’encadrement du jeune. « À l’école, si t’es pas bon académiquement ou dans les sports, y’a rien qui te sera offert. C’est wack (décevant, NDLR). J’ai été chanceux : j’ai commencé à travailler à 12 ans ; je me suis occupé tôt. »
Il y a également un énorme problème d’abandon de ces jeunes, qui sont – ou qui deviennent – en difficulté. « On n’occupe pas tous les jeunes. On n’occupe que ceux qui peuvent être productifs, ceux qui font des arts ou du sport. On délaisse les autres. Mais on doit s’occuper de tous les jeunes, peu importe ce qu’ils aiment ou pas. »
Lex écrit d’ailleurs beaucoup sur l’isolement. « L’individu est un maillon de la communauté. Lorsqu’il est faible, c’est toute la communauté qui va mal. Je pense qu’on doit prendre soin de ceux qui s’isolent, et c’est encore plus important et nécessaire de le faire avec les jeunes. Les adolescents qui s’isolent sont encore en plein développement. Leur cerveau est en pleine croissance, et les décisions qu’ils prennent sont importantes pour leur développement. Il faut qu’on s’occupe de nos jeunes », explique l’ancien étudiant en psychologie.
Sa manière de soutenir sa communauté, c’est d’écrire sur elle. « Personne ne m’a demandé d’écrire sur eux. Mais ma manière de donner, c’est de consacrer mon temps à cette réalité et de rendre compte de ce que je vois dans mon art », explique-t-il. C’est aussi de devenir un exemple positif pour les plus jeunes, pour ceux qui l’entourent ou qui le voient de plus loin. Lex estime qu’aider ceux qui l’ont aidé, « c’est également redonner ».
« J’écris pour tout le monde. Mais j’entame un dialogue avec ma communauté avant tout. Peut-être que je ne réussis pas toujours, mais au moins j’essaie », conclut Lex Garcia.
*La salsa et la bachata sont des danses latinoaméricaines.