Si on arpente les rues de Rivière-des-Prairies et de Montréal-Nord, dans l’est de la ville, on passera peut-être devant Annexe Boxe, le gymnase que Racci Nelson a ouvert il y a quelques années. On croira, de prime abord, qu’il s’agit simplement d’un lieu d’entraînement consacré à la boxe classique – mais c’est en réalité bien plus que ça. Ici, les jeunes viennent passer leur temps libre et s’entraînent religieusement.
« Je suis un jeune homme qui a grandi dans l’est de Montréal et qui a vécu dans une famille haïtienne. Je suis un père de famille, un jeune artiste, un athlète, un gars qui veut beaucoup aider sa communauté. » C’est par ces mots que Racci se présente. Vêtu de son manteau militaire rose et noir qu’il a lui-même confectionné et de sa casquette signée de son nom d’artiste – Mr. Pro’lifik –, il s’installe de façon chaleureuse dans un fauteuil.
« La vie est un chemin rocailleux »
En plus des différents chapeaux qu’il porte, Racci ajoute qu’il fait également office « de pacificateur, de genre de travailleur social et de mentor pour les jeunes ». Avec un parcours « long et atypique », comme il le définit lui-même, le père de famille de 38 ans reconnaît qu’il a eu bien des hauts et des bas. « Quand j’étais jeune, j’étais un jeune sportif. J’allais à l’école comme tout le monde. Mon but, c’était de faire la NBA (National Basketball Association, la ligue de basket-ball professionnelle américaine) ou la Ligue nationale de hockey », raconte-t-il avec une pointe de nostalgie. « Lors de la transition entre le secondaire et le cégep, j’ai lâché le sport scolaire. J’ai commencé à avoir un peu plus de temps libre, j’étais un peu moins encadré. » Ce temps libre-là, ajoute-t-il, il ne l’a pas rempli de la bonne manière.
« Je suis devenu un hustler, raconte-t-il en allant plus en profondeur. J’étais toujours avec les gars de mon coin à rien faire… Dans ma tête, je ne trouvais rien de mal dans ça. Là où j’étais rendu au niveau émotionnel et mentalement, ma moralité n’était pas encore aiguisée comme aujourd’hui. » Après l’ennui est donc venue l’envie d’être productif, mais dans son cas, cela a pris la forme d’une envie de faire de l’argent rapidement.
« La réalité qui nous frappait, c’était que pour nous, les jeunes immigrants de l’est de l’île, c’était dur de trouver des jobs dans le quartier », se remémore-t-il. Cette réalité, c’est ce qui l’a poussé à emprunter le chemin qui lui semblait le plus accessible. « Je ne viens pas d’une famille pauvre, mais j’ai quand même pris la voie qui était la plus facile pour moi dans ce temps-là », dit-il en évoquant vaguement les activités illégales qui l’ont conduit là où il est. « Quand t’es jeune et que tu vois des gens autour de toi qui sont fly, qui s’habillent bien, t’es émerveillé par ça. Tu ne te demandes pas comment ils ont fait pour être comme ça, tu veux juste leur ressembler à tout prix. »
Racci se considère comme un « diplômé de la street ». C’est là qu’il a réalisé qu’il avait de la facilité à communiquer avec les gens. « Dans le temps, on me disait toujours que j’étais un soumoun. On me disait toujours que c’était mal, mais aujourd’hui, dans le fond, je me rends compte que c’était une qualité que j’avais. » S’étant toujours servi de cette qualité, il a grandi en ayant de l’entregent pour créer des connexions avec les autres.
« Tu fonces dans un mur, Cédric »
Racci souhaite ne pas détailler les raisons précises pour lesquelles il en est arrivé là, mais c’est à 25 ans que la réalité le rattrape. Il se retrouve à purger une peine de plus d’un an d’incarcération. « Je suis rentré en prison. Je me suis fait prendre dans ce que je n’étais pas censé faire, et à partir de là, ma vie a changé », déclare-t-il.
Il raconte qu’avant d’en arriver là, il y a eu un processus. Ça n’est pas sorti de nulle part. « Quelques années avant, je me rappelle ce que mon père m’avait dit : “Tu vas frapper un mur, Cédric. Tu vis à 100 milles à l’heure”. J’ai compris ce qu’il voulait dire, mais j’avais déjà les deux pieds dans ce monde-là. » Pour lui, le mal est déjà fait. « Il en sera ce qu’il en sera », ajoute-t-il. Et même un peu plus tard, juste avant qu’il ne se fasse prendre, il se rappelle avoir eu un moment de réflexion dans sa voiture : « Je me suis dit : ta vie ne va nulle part. C’est bien beau tout ce que je fais, mais c’est du vide. Ça ne mène à rien. Y’a rien de solide… Oui, je peux avoir rapidement ce que je veux, mais je me sens tout nu malgré ça. »
Le Prairivois a subi un « traitement choc » face à lui-même au cours de son incarcération. « C’est là que le travail s’est fait. Un travail qui m’a amené à me regarder dans le miroir et à me dire : “T’as échoué, Racci.” T’as pas fait ce que tu étais supposé faire ! » Élevé par ses grands-parents, l’artiste et entrepreneur raconte s’être senti très mal face à eux. « J’avais des comptes à leur rendre, poursuit-il. Quand j’étais dans la rue, j’étais noyé. J’ai recommencé à faire surface à la suite de ça. »
Briser le cycle
Rester dans le même cycle ou se reprendre en main ? À ce stade de sa vie, telle était la question que se posait Racci. Éprouvé, il choisit de miser sur lui et d’opter pour la deuxième solution. « J’ai commencé à m’entraîner, à lire, à manger correctement. J’ai changé tout mon mode de vie. Et en changeant mon mode de vie, mes fréquentations ont aussi changé », raconte-t-il.
En sortant de prison, il a compris la nécessité de « s’accrocher rapidement à quelque chose ». Il explique que, « si tu ne trouves pas quelque chose sur quoi miser, tu peux facilement retomber dans le même cycle qui t’a conduit là ». Lorsqu’on est incarcéré, on est encadré, continue-t-il. Une fois dehors, le risque de rechute est grand.
« J’ai commencé à boxer. Chaque jour, pour passer le temps, j’allais m’entraîner au gym. À force de toujours être là-bas, un coach m’a remarqué et est venu me demander si je voulais être coaché pour faire de la compétition », se remémore-t-il. En riant, il dit se rappeler exactement de sa réponse. « Pourquoi tu penses que je suis là ? Moi, je suis un compétiteur », a-t-il dit à cet homme.
Son vrai combat, au-delà de la compétition et de la boxe, a été de s’en sortir, poursuit Racci. « Je voulais me donner une deuxième chance, et je me suis dit que la boxe allait être la meilleure chance pour moi », précise-t-il. La boxe lui a permis de se remettre en forme physiquement, mais aussi émotionnellement et psychologiquement.
La discipline et les bases qu’il a acquises à force de s’entraîner presque quotidiennement ont eu des effets qui ont dépassé les attentes de l’athlète. « Les habitudes que j’ai prises avec la boxe, je les ai appliquées aux autres facettes de ma vie. Je me suis dit : “Regarde, j’ai eu un bon succès dans la boxe grâce à mon éthique. Pourquoi la limiter au sport ?” »
En combinant tout à la fois cette éthique, cette discipline et la mentalité d’entrepreneur qu’il a développée au fil des années, il s’est un jour questionné avec beaucoup de sérieux sur la meilleure manière de redonner à son prochain. « J’ai créé mon gym de boxe, Annexe Boxe, et ma marque de vêtements, Pro’lifik Couture. »
« Mon esprit d’entrepreneur me vient de la rue ; et ma discipline, de la boxe », résume-t-il.
Une main lave l’autre
Racci souhaite plus que tout inspirer les jeunes. Sa principale motivation, c’est qu’il s’identifie beaucoup à la jeunesse des quartiers. « Les jeunes, en me regardant, peuvent relate à moi ; et moi, en les regardant, je relate à eux. Je me vois en eux, et ils se voient en moi. C’est la vie, c’est cyclique. “One hand washes the other, and both wash the face” (proverbe signifiant littéralement : une main lave l’autre, et les deux lavent le visage) », cite-t-il.
Ayant été forcé d’arrêter sa carrière de boxeur amateur en raison d’une dislocation de l’épaule, il souhaitait tout de même continuer à s’impliquer dans le milieu, tout en restant fidèle à ses racines. La création de son gym de boxe découle avant tout d’une vision qu’il avait pour son quartier. Étant lui-même un gars de l’est de l’île, il comprend mieux que quiconque les enjeux et les défis auxquels font face les jeunes.
« Je savais quel était le besoin du quartier. Je savais ce que les jeunes faisaient quand ils avaient trop de temps libre, pose-t-il. Il y avait un besoin que personne ne semblait pouvoir combler. » Pour lui, il était impératif de répondre à ce manque que les jeunes vivaient, un manque de possibilités et de reconnaissance ; un manque qu’il a lui-même connu.
Lorsqu’il a eu l’occasion d’ouvrir son gymnase, il était d’abord prévu que l’établissement soit situé dans le quartier de Parc-Extension. « Avec tout le respect que j’ai pour tous les coins de Montréal, je dois dire que mon cœur n’est pas à Parc-Ex. Il est à Rivière-des-Prairies, il est à Montréal-Nord. Je sais qu’il y a un besoin là-bas. Partout, ils avaient leurs clubs de boxe, leurs complexes… Nous, on n’avait rien », déplore-t-il. « J’ai ouvert ce gym parce que je sais qu’il y a plein de petits Racci qui courent les rues et qui attendent juste d’avoir une opportunité », ajoute-t-il.
La boxe lui ayant permis de changer de vie, il a souhaité offrir la même chance aux plus jeunes.
Pro’lifik Couture
En plus de son amour pour la boxe, Racci se passionne pour la mode. Comme il l’a mentionné plus tôt, « voir des jeunes fly avec des beaux Jordan et des beaux vêtements », c’était l’une des raisons pour lesquelles il voulait à tout prix faire de l’argent – d’une manière ou d’une autre.
Aujourd’hui, il tente de recréer ce sentiment et d’avoir du style à sa façon – de la bonne manière. « Pro’lifik Couture, c’est mon projet, c’est mon bébé », lance-t-il. Pourquoi « Pro’lifik » ? C’est sa marque de commerce, répond-t-il en riant. « J’ai toujours été un gars productif. Que ce soit dans le sport, dans mes projets, dans la boxe ou dans la vie en général. Et prolifique, ç’a aussi un rapport avec Nipsey Hussle, un rappeur dont je suis un grand fan », raconte-t-il. Il encourage tout le monde à miser sur sa productivité : « Je prône cette valeur-là. Comme vous le voyez, je suis entraîneur de boxe, propriétaire d’un gym de boxe, intervenant auprès des jeunes, père de famille, et je viens de me lancer dans l’immobilier récemment », énumère-t-il.
« Je suis plein de choses, mais je suis prolifique avant tout. Je veux me développer partout, mais avant tout, dans mon coin », dit-il en faisant référence à l’est de l’île, qu’il estime délaissé.
Et pour les jeunes ?
Mr. Pro’lifik continuera toujours à donner les mêmes conseils aux jeunes. « La première personne avec qui tu dois être honnête, c’est avec toi-même. La deuxième, c’est avec ton éducation. La troisième, c’est avec ton environnement. En étant honnête avec toi-même, t’es honnête avec ta conscience – tu sais ce qui est bon et ce qui ne l’est pas », résume-t-il.
Il rappelle aussi l’importance de ne pas agir sous le coup de l’impulsion, comme il est facile de le faire à un certain âge. « J’en ai vu plusieurs poser des actes de façon impulsive ou parce qu’ils s’étaient fait influencer. Lorsqu’ils arrivent devant les tribunaux, ils ne sont pas capables d’être solides comme ils prétendaient pouvoir l’être », laisse-t-il tomber.
« C’est pas parce que tu traînes avec certaines personnes que tu es obligé de faire ce qu’elles font. C’est pas parce que t’as grandi dans un certain coin que tu dois agir selon la réputation de ce coin. Fais ton chemin, sois un leader », termine-t-il avec passion.