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21/10/2022

Hood Heroes – épisode 3 : Fedler Exilus, l’inspirant barbier de Montréal-Nord

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Sur le boulevard Léger, dans le quartier de Montréal-Nord, se trouve le Chamaz Barbershop. Il s’agit d’un salon de coiffure assez fréquenté par les habitants de Montréal-Nord, mais aussi de Rivière-des-Prairies. Sa popularité est attribuable à un homme : Fedler Exilus. Fedler est le propriétaire du Chamaz, mais surtout un fier habitant du quartier. La Converse a été à sa rencontre alors qu’il était en train de couper les cheveux à un client. C’est donc au milieu d’adolescents, d’enfants accompagnés de leur grande sœur et de personnes plus âgées que Fedler termine de coiffer son client. Dans l’arrière-boutique du Chamaz, le jeune propriétaire nous raconte ensuite le lien solide qui existe entre son salon et son quartier.

Une voie inattendue

Originaire de Rivière-des-Prairies et ayant fait une grande partie de sa scolarité à Montréal-Nord, Fedler Exilus, le barbier haïtien de 27 ans, campe sur ses positions, du moins géographiques. Avec son salon de coiffure ouvert là où il a grandi, Fedler assume aujourd’hui cette volonté de réussir auprès des siens et de sa communauté. « Mon père voulait que je sois ingénieur ou docteur et il ne croyait pas vraiment à mon projet de salon de coiffure. Puis, à force de me voir me lever chaque matin pour aller travailler et voir que je ne traînais pas dans les rues, il a fini par l’accepter », explique le barbier en prenant l’exemple de son père comme motivation. Une motivation, car ce dernier n’a jamais voulu croire au projet de son fils, espérant une autre voie pour lui.

Une raison qui a poussé Fedler à se surpasser pour prouver à son père qu’il avait tort et qu’il pouvait réussir dans un domaine qu’il aime finalement. Si son père a été une source de motivation pour lui, il est aussi la raison pour laquelle Fedler s’est tourné, malgré lui, vers cette voie professionnelle : « J’ai cinq frères, et quand j’étais petit, mon père, pour des raisons financières, ne pouvait pas nous amener régulièrement chez le coiffeur. C’était donc lui qui nous coupait les cheveux et, honnêtement, le résultat n’était pas très, très joli », raconte-t-il en souriant. « Alors, un soir, j’ai pris la tondeuse et je me suis mis à couper mes propres cheveux, et ce n’était pas si mal ! À tel point que mes frères m’ont encouragé en me confiant leur tête et, crois-moi, on ne confie pas sa tête à quelqu’un si on n’a pas confiance en lui. »

Au-delà de cette motivation et de sa détermination à rendre son père fier de lui, Fedler n’oublie pas ce que ce dernier lui inspire : « Depuis que nous sommes petits, notre père nous répète, à mes frères et à moi, de travailler pour obtenir ce qu’on veut, et jusqu’à aujourd’hui, il a raison. »

Pendant presque deux ans, le jeune apprenti s’est entraîné sur ses frères, puis sur ses amis du quartier : « J’ai commencé à faire payer mes coupes 2 ou 3 $. Au secondaire, je me suis trouvé une autre clientèle avec mes amis et ceux de mon équipe de basket. Ensuite, au cégep, où je faisais une technique en génie mécanique, ça ne se passait pas bien, mais j’ai quand même fini dans un salon de coiffure. À force de couper les cheveux de mes frères et de mes amis, j’y ai pris goût et j’ai développé ma passion », affirme Fedler, fier de son parcours.

Sa conversion professionnelle a fait naître en lui une motivation et une ambition inébranlables : « Tu peux partir de rien et quand même réussir. Quand j’ai ouvert mon salon, je n’avais rien, presque pas d’économies, et pourtant, avec ma motivation, je me suis toujours levé le matin pour venir travailler. Je ne suis pas plus intelligent qu’un autre », assure Fedler en expliquant ce qui a forgé son caractère. « Même en traversant des périodes compliquées, je me suis toujours dit qu’il y avait une porte de secours, un tunnel à prendre où on finit par voir la lumière ; il faut juste le vouloir vraiment. Il n’y a rien de mal à travailler plus que les autres pour obtenir ce qu’on veut. » Un destin et des circonstances dont il est très reconnaissant aujourd’hui et qu’il veut partager et transmettre : « Le fait de faire très jeune ce que j’aime, c’est-à-dire couper des cheveux, m’a toujours empêché de traîner dehors et de faire des bêtises. J’ai tout parié sur ce salon en y mettant toute mon âme. »

Un salon de coiffure à l’image de son quartier

Si le salon de Fedler a vu le jour, c’est aussi grâce aux encouragements de sa famille et des amis de son quartier. « Dans le quartier, quand l’un d’entre nous a un projet, tout le monde essaie de le pousser pour que ça puisse rester dans le quartier comme un moyen de redonner à la communauté. Voilà pourquoi j’ai décidé de garder ce salon à Montréal-Nord », affirme le jeune homme.

L’enfant la Rivière-des-Prairies met en avant la contribution de ses frères et le lien naturel entre les quartiers. Un lien que Fedler veut transposer dans son milieu professionnel : « Mes frères ont toujours été présents, même pour les rénovations de mon salon ou pour soutenir mon projet, et cela est très important pour moi. Que ce soit dans ma famille ou avec mes amis, on a toujours été soudés et heureux malgré tout, et c’est ce que je veux amener dans mon travail et dans ce quartier. »

Avec le Chamaz Barbershop, Fedler veut briser les stéréotypes, même s’il ne nie pas certaines réalités des quartiers populaires. « Que ce soit à Rivière-des-Prairies ou à Montréal-Nord, on vit dans des quartiers défavorisés où il y a quand même de la violence, mais avec mon salon, j’essaie de montrer qu’il n’y a pas que ce côté chez nous », dit-il avant d’évoquer la grande force de son salon : « Je coupe, car j’aime ça et j’aime l’ambiance que cela crée. Une ambiance que tu as toujours connue finalement, celle de couper les cheveux des jeunes ou même des familles de ton quartier. Mon salon réunit vraiment tout le monde. Des gens de toutes les communautés, de tous les quartiers et de tous les âges – et c’est ce mélange qui crée l’atmosphère du Chamaz et redonne de la vie et de la couleur d’une certaine façon aux habitants de Montréal-Nord. »

Fedler et les jeunes, une relation père-fils  

« Les jeunes d’ici disent que je suis comme un papa pour eux et que j’ai beaucoup d’enfants », rapporte Fedler. Au fil des années, celui qui devient une figure paternelle a vu beaucoup de jeunes passer dans son salon et en a coiffé un grand nombre. « Quand tu coupes les cheveux à un client, qu’il soit jeune ou non, tu partages un moment avec lui. Certains me partagent leurs bêtises fièrement, alors j’essaie toujours de leur parler et de les conseiller, de leur faire saisir toutes les possibilités qui s’offrent à eux. Je fais pratiquer la coiffure à certains et, si ce n’est pas fait pour eux, ils auront quand même essayé et garderont cette expérience. »

En accord avec certains établissements secondaires, le propriétaire du Chamaz reçoit souvent des stagiaires. Il leur apprend le métier de coiffeur, mais de manière ludique, en s’amusant. Il constate que certains y prennent goût, au point de se lancer dans la coiffure. Fedler en a d’ailleurs recruté deux qui travaillent maintenant avec lui. « Je suis fier de ça, car c’est comme si je leur léguais une partie de moi et de ma passion pour qu’ils puissent en profiter et réussir. Trouver une passion et s’y consacrer à fond, trouver une raison de se lever le matin, trouver de quoi s’occuper et ne pas traîner dehors et faire des bêtises » – voilà ce que conseille ce « papa » de Montréal-Nord.

Quand on lui demande si l’argent est souvent la cause des bêtises, Fedler répond de façon catégorique : « Tu peux faire autre chose que vendre de la drogue ou autre, tu peux gagner de l’argent légalement et aimer ça, et pas seulement non plus en médecine ou en génie. Tu peux ouvrir ton propre business et aimer ça, que ce soit dans la coiffure, les ongles ou peu importe. »

Au fil de son parcours, grâce à sa détermination, Fedler Exilus, soutenu par son entourage, a réussi sans jamais se déraciner. Au-delà de sa réussite, il reste impliqué dans la communauté de son quartier par le biais de son salon, qu’il met au service de tous. Son histoire ne pouvait se conclure autrement que par ses propres mots : « Tu peux venir d’un quartier défavorisé, partir de zéro, n’avoir personne qui croit en toi et, malgré tout, finir par ressortir du lot et arriver là où tu veux. Évidemment que cela inspirera tout le monde, toute la communauté, les jeunes comme les plus vieux. »

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