Qui pourrait prétendre vivre dans le quartier Saint-Michel et n’avoir jamais entendu parler de Mohamed Noredine Mimoun, alias « Momo » ? À la fois coordonnateur du Forum Jeunesse de Saint-Michel et intervenant au cégep de Maisonneuve, Mohamed Mimoun est la définition même du dévouement. Plus particulièrement auprès des jeunes, auxquels il attache beaucoup d’importance et en qui il fonde beaucoup d’espoir. Cet intervenant algérien de 46 ans est déjà connu du monde politique et médiatique pour ses actions ainsi que pour ses prises de parole et de position publiques. Mais qui est vraiment celui que les jeunes de Saint-Michel considèrent comme un « mentor » ? La Converse est partie à sa rencontre pour découvrir qui est Mohamed Noredine Mimoun – avant d’être « Momo ».
Qui est Mohamed Noredine Mimoun ?
« Je suis né en Algérie. Je suis arrivé dans la vingtaine en France, à Paris, comme étudiant étranger. J’enchaînais deux, voire trois jobs à la fois quand je suis arrivé, puis je me suis mis à travailler dans mon domaine de prédilection », raconte Mohamed. Une expérience professionnelle à Paris qui ne s’amorce pas comme prévu, et il décide d’ouvrir une librairie : « Ma femme voyait bien que je n’étais pas heureux dans ce que je faisais. » L’aventure de libraire va durer trois ans, jusqu’à ce qu’une autre raison pousse Mohamed Mimoun à quitter définitivement Paris et le continent européen.
« Au moment où je suis parti étudier en France, je voulais surtout une vie meilleure qu’en Algérie, sauf que je ne m’étais pas assez renseigné, regrette Momo. C’était à la fin des années 1990, et le racisme était très présent ; c’était quelque chose de nouveau pour moi. Voir que je faisais peur à certaines personnes simplement avec mon prénom ou mon apparence, ç’a été très dur à accepter au début. Par rapport à ce que je suis et à mes valeurs, il est difficile d’accepter qu’on ne m’aime pas simplement parce qu’en apparence, je représente ce qui fait peur à ces gens. Ce sentiment, je ne voulais pas que mes futurs enfants le connaissent », explique-t-il.
Pour Mohamed, continuer à vivre en France était impossible, mais retourner en Algérie, son pays natal, l’était tout autant. « Certains de mes clients de la librairie étaient déçus de mon départ, mais la réalité reste malheureusement la même. J’aimais mon quartier, mais quand je quittais mon petit coin, tous les préjugés ressortaient comme pour tous les “Mohamed”, et je ne pouvais pas l’accepter », regrette-t-il. Sa femme et lui prennent donc la direction de l’inconnu et débarquent au Canada, à Montréal. Mohamed a alors déjà la trentaine.
« Tu ne changes pas un dollar pour 85 sous, donc je ne voulais pas me retrouver dans la même situation qu’à Paris. Je voulais me stabiliser, avoir un travail valorisant ayant un lien avec ce que j’aime faire », évoque Mohamed, en précisant qu’avec les années, il s’est fait une idée précise de ce qui l’anime. Son expérience parisienne a été un électrochoc pour l’intervenant : « J’aime beaucoup travailler avec les gens, je voulais mettre à profit mon expérience personnelle pour aider les autres dans un contexte d’immigration. Je me suis dit que j’allais transmettre aux gens ce que j’avais pu avoir ou pas quand je suis arrivé en France, par exemple. Car, même si on change de pays, la situation et la réalité restent les mêmes. »
Mohamed veut prendre sa « revanche » sur la vie et sur sa survie en France. «J’ai eu beaucoup de soucis quand j’étais en France. J’avais beaucoup de besoins et très peu d’aide. Je me suis dit : “Est-ce qu’on peut avoir une revanche sur la vie et faire le contraire en allant vers des gens qui sont nouvellement arrivés ou qui sont nés ici, qui ont grandi ici et qui ont besoin d’accompagnement et d’aide ?” » se demandait-il avant que sa femme ne lui parle de l’ouverture d’un poste d’intervenant au Forum Jeunesse de Saint-Michel (FJSM). Un poste qu’il obtient et qui sonne comme une évidence pour celui qui deviendra également intervenant au cégep de Maisonneuve. Entre le FJSM et le collège, Momo trouve son épanouissement professionnel et personnel auprès de la jeunesse montréalaise : « J’essaie de planter une graine chez ces jeunes qui, un jour, pourront peut-être changer le monde. À mon niveau, je ne peux pas le changer, mais je peux avoir du monde qui va le changer. »
« Mon héritage ? Avoir des petits Momo qui me succèdent »
« La jeunesse montréalaise, qu’on le veuille ou non, c’est l’avenir de cette ville et de ce pays. Ce sont les citoyens de demain, qui feront le pays à leur image », insiste Momo à propos de ses jeunes en qui il croit. Même s’il distingue entre ces deux jobs d’intervenant (son travail à Maisonneuve est plus intime qu’au forum et a une approche plus groupée), le but de Momo reste le même : « Ce que j’essaie de faire, c’est d’avoir de nouveaux intervenants issus de la nouvelle génération. Et cela va beaucoup aider la communauté, car on a notre façon de faire. On connaît notre culture, on connaît les problèmes que peuvent avoir nos jeunes et on a cette facilité de contact avec nos jeunes. Que tu le veuilles ou non, un jeune, quand il est en contact avec un intervenant de la même culture, cela représente la moitié du chemin », assure-t-il.
Et le rôle de l’intervenant ne s’arrête pas là. Conscient de la déconnexion des membres de cette nouvelle génération d’avec le monde médiatique et politique, Momo tient à les sensibiliser à ce qui les attend, à les inciter à prendre leur destin en main. « Ce que je veux, pour les jeunes, c’est le lieu de pouvoir – celui des décisions qui font partie de la vie publique, de leur vie. C’est bien d’avoir un bon travail et une bonne carrière, mais il faut faire partie du jeu, connaître les règles. Et tant que tu as des jeunes qui s’intègrent dans le milieu et qui connaissent les règles, tu ne sais jamais si certains ne finiront pas dans des conseils d’administration. C’est ça qu’il faut ! »
Mohamed Mimoun dénonce aussi les préjugés des médias sur les jeunes des quartiers. Selon lui, les médias parlent de ces jeunes comme de victimes, de personnes précaires et dans le besoin. « Il n’y a pas de valorisation dans les quartiers, pas de reconnaissance de ce qu’un jeune peut apporter ou peut donner à sa communauté. C’est pour ça qu’il faut les accompagner. La dernière fois, par exemple, les jeunes étaient dans un événement où il fallait décider d’une priorité dans le quartier. Ils ont pris part à cette décision, à leur grande surprise » rapporte-t-il avec conviction, en mettant en avant le potentiel de pouvoir de ces jeunes des quartiers. Être fier de son quartier est une chose, mais pour Momo, il faut aller au-delà de sa propre réalité et « commencer à changer les choses autour de soi, tout en étant ouvert sur le monde ». Il faut, comme il le dit, « être en contact avec les autres sans s’enfermer dans le confort de son quartier ».
L’authenticité est le maître-mot de Mohamed Mimoun. C’est ce qui fait sa force au quotidien, surtout auprès des jeunes : « Avoir des petits Momo qui me succèdent serait une fierté, mais j’aimerais surtout qu’on se souvienne de mon authenticité. C’est ce que j’essaie de transmettre le plus possible aux plus jeunes. Il n’y a rien de plus beau et de plus honorable que de réussir en restant soi-même et en gardant son authenticité. » C’est ce trait de caractère qui a su gagner la confiance de toute cette jeunesse.
« C’est un mentor pour nous ici »
Que ce soit à Saint-Michel ou à Maisonneuve, tous ceux que Momo a pris sous son aile sont unanimes sur sa considération : à leurs yeux, il est un mentor. Dans le domaine scolaire, professionnel, personnel, sportif et même amoureux, l’intervenant de Saint-Michel est l’oreille à laquelle chaque jeune vient se confier. « “Momo, j’ai rencontré quelqu’un ; je ne sais pas si c’est la bonne personne et si je dois me marier avec elle…” Avec le recul, je me demande si je dois lui dire si c’est la bonne personne pour lui ou pas. Est-ce que je dois faire ça, moi ? Le lien de confiance que j’ai établi avec ce petit-là lui permet aujourd’hui de me poser cette question. C’est un sentiment assez spécial, honnêtement», se remémore Momo en regardant le plafond d’un air dubitatif.
Cette confiance qu’il suscite chez les jeunes, nous nous demandons également comment il réussit à l’inspirer. Afin de répondre à cette question, nous nous rendons au Forum Jeunesse de Saint-Michel (FJSM), un samedi, pour rencontrer les jeunes bénévoles et intervenants de l’association, tous sous la tutelle de leur coordonnateur. « Momo est à la fois un père et un meilleur ami, lance Imene, bénévole du FJSM. J’avais fait des démarches pour avoir un diagnostic de TDA, et Mohamed m’a aidé et soutenu durant tout le processus. »
Nessim, un autre bénévole du forum, est reconnaissant pour tout ce que lui apporte son intervenant : « C’est vraiment comme mon deuxième papa, toujours présent quand il le faut. Pour t’aider ou seulement pour t’écouter. Tu sais que tu pourras toujours compter sur lui. » « Si je suis la personne que je suis aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à Momo. Il m’a donné ma chance et me fait grandir un peu plus chaque jour. C’est mon mentor ici, mon repère », déclare fièrement le poulain et intervenant qui œuvre aux côtés de Momo, Azzouz. Même ceux qui le connaissent depuis peu en parlent comme s’il avait toujours été présent dans leur vie. C’est le cas de Hugo, le nouveau bénévole du FJSM : « Que ce soit avec les communautés, les jeunes ou même les itinérants, Momo rassemble naturellement, et ce, peu importe l’âge. On se sent valorisé à ses côtés et ça nous donne beaucoup de force et de motivation.»
« Je ne me suis jamais défini comme un mentor. Je suis content que ça ait été pris comme ça, en voyant des gens réussir et dire : “Momo a été un mentor pour moi.” Si j’ai contribué d’une façon ou d’une autre à leur réussite, alors tant mieux ! Ma satisfaction personnelle se trouve dans cette réussite. Bien sûr que ça me rend heureux qu’ils me considèrent ainsi ! » confie Momo.
Les « samedis itinérants » ou le sentiment du devoir accompli
Le « samedi itinérant » est une initiative prise par le FJSM pendant la pandémie de COVID-19. Une idée mise en œuvre par Momo à l’instigation des jeunes volontaires du forum. « Les jeunes ne voulaient pas rester sans rien faire durant cette période, alors ils ont voulu se rendre utiles », explique le coordonnateur. Le processus est simple : récupérer des aliments dans une banque alimentaire, cuisiner des plats dans une cuisine collective et les distribuer à des itinérants au centre-ville. « Cette initiative, c’est une rencontre entre nous, les jeunes, les bénévoles et les itinérants, où l’on apprend à cuisiner, à gérer son temps et à travailler en équipe », résume Momo avant d’expliquer le réel objectif de cette initiative.
« Je peux moi-même, seul, préparer à manger et distribuer de la nourriture aux itinérants de Montréal – je l’ai déjà fait plusieurs fois. Avec ce geste, je vais certes leur offrir un moment de bonheur, avec un plat chaud, mais est-ce que je vais changer la réalité de celles et ceux qui vivent dans la rue ? Non ! Par contre – pour que tu comprennes la logique et où je veux en venir –, impliquer des jeunes pour le faire est primordial. Les envoyer choisir les aliments, les faire cuisiner, partir à la rencontre des itinérants, c’est là qu’ils vont ouvrir les yeux sur les autres réalités et se sensibiliser. Ces jeunes-là, un jour, deviendront peut-être les décideurs de demain. Ils vont avoir cette sensibilité par rapport aux réalités que vivent les itinérants, ils vont apprendre le partage et l’effort pour autrui. Grâce à cette initiative, tu multiplies le nombre de jeunes qui s’impliquent et se sensibilisent à cette réalité – ce n’est plus seulement moi, Momo, qui prépare des plats chauds et qui les distribue à des nécessiteux. »
Joyeux, gentil, rassembleur, généreux ou encore exceptionnel, les adjectifs qu’utilisent les jeunes pour qualifier Momo se succèdent. Que ce soit dans son travail au forum ou au cégep, Mohamed Noredine Mimoun inspire et motive tous ceux qu’il épaule et qui l’entourent. Alors, qui de mieux que l’un des premiers jeunes qui l’aient connu au forum, Aniss Rizzoug, alias « Nissou », pour conclure un reportage sur le mentor de Saint-Michel : « Momo ne lâche rien et il est partout – au travail, en bénévole, auprès des jeunes –, il nous représente publiquement. Sa seule motivation, c’est la réussite de chacun de nous, et j’ai beaucoup de respect pour ça ! Et merci d’être pas seulement là, mais toujours là ! »