Identités
La communauté LGBTQ+ latino-canadienne : entre activisme et résilience
13/8/23
Illustrator:
Initiative de journalisme local
COURRIEL
Soutenez ce travail
temps de lecture:
5 Minutes

Aujourd’hui, alors que Montréal célèbre le défilé de la fierté, nous avons décidé de raconter l’histoire de trois personnes de la communauté LGBTQ+ qui sont latino-canadiennes, un sujet dont les médias canadiens ne parlent pas beaucoup.

Il s’agit de Viviana Santibáñez, une femme transsexuelle originaire du Mexique, qui milite pour sa communauté depuis plus de douze ans, d’abord aux États-Unis, puis au Canada ; de Daniel Martinez, un homme homosexuel également né au Mexique, qui entame son processus d’activisme après avoir fait son coming out au Canada; et de Liliana Madriz, une femme homosexuelle originaire du Venezuela, qui, à l’âge de 55 ans, a commencé à construire une nouvelle vie en s’acceptant comme lesbienne.

Ces trois personnes aux visions et origines différentes célèbrent le fait de vivre dans un pays qui leur a permis de se reconnaître, de s’accepter et de s’aimer, mais où il existe encore du rejet et ce, au sein même des groupes latino-canadiens.

Viviana Santibáñez : émigrer, s’accepter et émigrer à nouveau

Viviana Santibáñez milite depuis 12 ans pour la communauté LGBTQ+. Photo: gracieuseté de Viviana Santibáñez.

Viviana Santibáñez est née à Tierra Caliente, une région du Mexique considérée comme l’une des plus dangereuses du pays, en raison de la présence du crime organisé.

Cette activiste a plusieurs chapeaux dans sa vie quotidienne. Elle œuvre pour l’inclusion et la protection des personnes LGBTQ+ Latinas, et elle est conseillère en matière d’immigration.

Elle émigre à Houston, au Texas, en 2008, à l’âge de 14 ans. « Mes parents ont décidé de m’envoyer aux États-Unis. J’aime penser que c’est parce qu’ils se sont rendu compte que mon comportement et mes expressions étaient différents et que je n’étais pas apte ou en sécurité dans cet environnement », explique-t-elle.

Cette femme élancée aux longs cheveux noirs de jais, à la peau de porcelaine, pèse chacun de ses propos. On sent qu’elle tient à trouver les mots justes.

Elle vit pendant dix ans à Houston. C’est là qu’elle commence sa transition, à l’âge de 15 ans. Elle change alors sa façon de s’habiller, ajoute des vêtements féminins à sa garde-robe. À 16 ans, elle commence à prendre des hormones, sans surveillance médicale.

À 21 ans, elle rencontre un spécialiste et poursuit son processus de transition jusqu’à ce qu’elle vive sa vie comme une femme, « en exprimant pleinement mon identité », précise-t-elle.

Le discours anti-immigration du président de l’époque, Donald Trump, et les positions anti-LGBTQ+ de l’extrême droite américaine, l’ont poussée à s’exiler au Canada.

« J’ai pensé qu’il était dangereux pour moi de rester aux États-Unis parce que je suis une femme trans et une femme de couleur, mais aussi parce que lorsque vous êtes une activiste, vous devenez une cible. Je me suis dit : cet endroit n’est plus sûr pour moi. Il est temps d’assurer mon avenir ».

Activiste pour les Latinos trans

Viviana déménage donc à Toronto en 2018. Rapidement, elle comprend que la ville offre peu de services pour la communauté latino LGBTQ+, en comparaison avec Houston.

Nous l’avons interviewée parce que son travail est crucial à un moment où les membres de la communauté latina LGBTQ+ au Canada ont l’impression que l’intolérance a augmenté parmi les Latinos eux-mêmes. Les débats et les controverses sur la cause LGBTQ+ se multiplient au sein de la communauté latino-américaine du Canada, et les médias sociaux sont une plateforme qui se fait l’écho de ces polémiques.

Elle crée donc l’organisme Vivi’r LGBTQ+, alors qu’elle entame sa procédure de demande d’asile. « Contrairement à d’autres demandeurs d’asile, je n’avais pas de barrière linguistique. Je pouvais faire beaucoup de choses, des recherches », explique cette femme franche et d’humour fin. Son ambition et son altruisme au sein de la communauté LGBTQ+ sont tels qu’elle rêve que Vivi’r devienne une organisation pancanadienne.

Cinq années se sont écoulées depuis la création de Vivi’r, grâce à laquelle Viviana a apporté un soutien aux membres de la communauté et en particulier aux Latinos transgenres. Ce soutien va des premiers pas lors de leur arrivée au Canada, eux qui fuient l’homophobie et la transphobie qu’ils subissent dans leur pays d’origine, à la manière d’obtenir un traitement médical, y compris des rétroviraux pour le VIH.

Pourtant, ce n’est qu’en juillet de cette année que Vivi’r a été enregistrée en tant qu’organisation à but non lucratif, « avec l’aide d’un cabinet d’avocats non latino-américain », précise-t-elle, comme pour souligner le fait qu’aucun cabinet latino-américain n’a souhaité l’accompagner dans ce processus.

En juin dernier, lorsque l’Ontario a annoncé que le drapeau arc-en-ciel flotterait dans des institutions telles que les écoles et même le Parlement canadien, une avalanche de messages Facebook a été publiée pour défendre « la famille traditionnelle créée par Dieu ». « Je ne suis pas surprise», explique Viviana. Elle préfère d’ailleurs ne pas consacrer son temps à ces débats pour rester concentrée sur son travail.

Première pierre sur sa route d’activiste au Canada

Viviana croit que pour servir les causes qui lui tiennent à cœur, il faut d’abord obtenir le soutien de la communauté latina, puis réseauter et faire du lobbying, avant d’atteindre les lieux de pouvoir politique, pour introduire un  changement par le biais de la législation. C’est sa stratégie actuelle.

C’est d’ailleurs ainsi qu’elle a rencontré Oscar Vigil, directeur du Conseil du patrimoine hispano-canadien, une organisation à but non lucratif ontarienne  connue des Latino-Canadiens, et qui vise à promouvoir la contribution de la culture hispanique et latino-américaine au patrimoine canadien. Se faire accepter au sein de cette organisation, par sa présence à ses événements, lors d’une célébration du patrimoine latino ou d’une soirée de réseautage, n’a pas été facile, reconnaît l’activiste.

« Comme toujours, il y a eu des réactions négatives parce que beaucoup de gens n’étaient pas d’accord pour que la communauté LGBTQ+ soit visible. Je ne comprends pas pourquoi, s’ils savent que le Canada a des lois qui protègent la communauté contre la discrimination et que les auteurs de discrimination sont passibles de sanctions pénales très graves », dit-elle.

Et ce, en dépit d’une communauté grandissante au sein d’un pays où les libertés sont garanties et protégées. Selon Statistique Canada, le pays compte environ 1 million de personnes LGBTQ2+, soit 4 % de la population canadienne âgée de 15 ans et plus. Parmi cette population, environ 52 % sont des femmes, 44 % des hommes et 3 % des personnes non binaires.

Il n’existe pas de statistiques sur le nombre de Latines (*) membres de la communauté LGBTQ+ au Canada, un recensement que Viviana est en train de faire en ce moment.

Les transgenres, les plus vulnérables

Actuellement, l’activiste promeut le programme Transchecándome, qui permet d’autonomiser et d’éduquer les femmes transgenres. « Une chose qui n’est pas largement connue et dont on ne parle pas, c’est que la communauté transgenre est la plus vulnérable, même au sein de la communauté arc-en-ciel. Il est très important de souligner que les personnes transgenres sont toujours des victimes. Il y a toujours ce machisme chez les hommes et les gays eux-mêmes. Parce qu’ils sont des hommes, ils peuvent se le permettre, ce qu’on appelle le patriarcat », déplore-t-elle.

Tout ce travail lui a apporté beaucoup de satisfaction, mais la peur ne disparaît pas complètement. Elle dit se coucher tous les soirs l’esprit tranquille, avec la satisfaction d’avoir fait le bien. Mais une question l’accompagne presque tous les jours. « Que se passera-t-il demain ? C’est une chose avec laquelle nous devons vivre toute notre vie, parce que les gens ont décidé de nous attaquer et de nous haïr pour ce que nous sommes. Qu’est-ce que nous leur avons fait ? Il semble que notre seule erreur soit d’être nés. »

Ingénieur et activiste

Daniel Martinez, fondateur de l’organisme Casta Latina. Photo: Pablo Ortiz.

Daniel Martinez, lui aussi mexicain, est un allié de Viviana dans le développement de Vivi’r à Montréal. Il consacre une partie de son temps à l’activisme, non seulement pour la communauté LGBTQ+, mais aussi pour la communauté latina au Québec, grâce à sa propre organisation, Casta Latina.

À 33 ans, cet ingénieur en aérospatiale vit au Canada depuis sept ans. Il est issu d’une famille modeste de Delicias, une ville de l’État de Chihuahua. Depuis son enfance, il est une sorte de modèle pour tous les habitants de la ville. Il est en effet le premier membre de sa famille à obtenir un diplôme universitaire, à l’âge de 20 ans. À 26 ans, il a été recruté par Bombardier.

L’ingénieur, cordial, sensible et éloquent dans ses manières, est arrivé à Toronto pour occuper un poste de direction. Ses collègues étaient des hommes blancs d’une quarantaine ou d’une cinquantaine d’années. « C’était une adaptation assez compliquée. Tous mes collègues auraient pu être mes parents. Je suis arrivé au Canada seul et avec une charge émotionnelle très forte, parce que je n’avais jamais eu le courage de faire face à ce que j’étais », explique-t-il.

Il se consacre donc aux études et au travail. Une stratégie qu’il applique depuis l’enfance.

« Il y a cette idée que dans la grande majorité des pays d’Amérique latine, il y a beaucoup de problèmes de racisme, de ségrégation sexuelle et d’homophobie. Ma famille ne fait pas exception. Je viens d’un milieu où la religion a une forte influence », explique le jeune homme à voix basse, alors que nous discutons dans un coin de la bibliothèque de Ville de Saint-Laurent.

Charge émotionnelle, charge physique et dépression

Pendant trois ans, Daniel s’applique donc à faire taire ses angoisses par le travail, enchaînant des journées de 15 à 16 heures. Certaines semaines, il travaillait jusqu’à cent heures, dit-il. Son corps et son esprit ont commencé à en souffrir.

« Je suis tombé dans une profonde dépression. Ma vie n’était que monotonie. Je me suis rendu compte que je portais un très lourd fardeau parce que j’étais la star de ma famille. Ma mère n’a pas fait d’études et mon père n’a fait que l’école secondaire. J’ai un jeune frère que j’ai toujours eu peur de laisser tomber parce que je suis son modèle et que je l’aime de tout mon cœur », avoue-t-il, les larmes aux yeux.

Sur les conseils d’une amie, Daniel entame alors une thérapie en 2019. Ce processus lui permet d’accepter enfin sa sexualité. Comme pour Viviana, l’acceptation n’a pas été immédiate. Guidé par son psychologue, il a un jour reconnu et accepté qu’il aimait les hommes.  Ce fut une révélation pour lui.

Daniel rencontre ensuite son partenaire Paco avec lequel il déménage à Montréal. Avec lui, dit-il en souriant, « j’ai passé les trois meilleures années de ma vie. Je vois à présent la vie en couleurs », répète-t-il la main sur son cœur.

Sensibilisation et activisme

Lorsqu’on lui demande s’il remarque une augmentation de l’intolérance des Latino-Canadiens à l’égard des membres de la communauté LGBTQ+, Daniel choisit de répondre par un exemple : « En juin, mois de la fierté en Ontario, mon chum a posté une photo sur un groupe créé par des Latinos  du Canada sur Facebook, celle d’un couple d’amis gays qui a adopté un bébé. Le post a généré des milliers de commentaires et la grande majorité d’entre eux étaient haineux. À tel point que l’administrateur du groupe a demandé à Paco de supprimer la photo parce qu’il avait lui-même reçu de nombreux messages privés lui demandant de le faire. C’est très triste, car il ne s’agit pas seulement d’une ségrégation à l’égard de la communauté LGBTQ+, mais aussi d’une limitation de la liberté d’expression », ajoute-t-il, visiblement contrarié.

Malgré la haine exprimée dans ce type de publications, Daniel pense être privilégié. Selon lui, le rejet s’exprime bien plus souvent, au sein de la communauté latina, à l’égard des trans qu’à l’égard des homosexuels. « Je me sens aimé et respecté par tout le monde. Cela me pèse, car même si je me suis accepté, oui, je regarde autour de moi, je vois tout ce qui se passe et je me dis : pourquoi les gens ne peuvent-ils pas juste s’accepter et se respecter les uns les autres ? »

Commencer une nouvelle vie à la cinquantaine

Liliana Madriz est bien connue de la communauté latino-américaine de Montréal. Photo: Pablo Ortiz.

Liliana Madriz habite au Canada depuis vingt-cinq ans. Elle est bien connue de la communauté latino-américaine de Montréal, en particulier de la communauté vénézuélienne. Elle est copropriétaire de l’un des restaurants latinos les plus populaires de la ville. Ses manières sont amicales et elle accompagne généralement ses salutations d’un grand sourire.

Elle est arrivée au Canada à l’âge de 35 ans et s’est installée à Montréal avec son mari et ses deux filles. Issue d’une famille catholique vénézuélienne traditionnelle, elle a vécu dans ce modèle pendant vingt ans, « insatisfaite », dit-elle, en se touchant les mains comme si elle cherchait à se rassurer.

Même si l’idée d’aimer les femmes lui a traversé l’esprit, elle l’a écartée aussi vite qu’elle est apparue. « À cause de la pression sociale, je ne me suis jamais donné la liberté de penser que je pouvais être homosexuelle. Rétrospectivement, oui, l’idée m’a traversé l’esprit plus d’une fois, mais je l’ai chassée. »

En apparence, sa vie était presque parfaite. Professionnelle et entrepreneuse, elle a réussi dans tous les domaines. « Mais je ne me sentais pas heureuse. Et c’est l’une des premières choses dont j’ai parlé à mon psychologue », explique-t-elle.

Comme Daniel, c’est la thérapie qui lui a permis de comprendre une partie de cette insatisfaction, « il m’a fallu trois ans pour accepter la réalité : elle était là, mais je ne l’acceptais pas », se souvient-elle.

Changer de vie, c’était comme « se jeter dans le vide » une idée qui la paralysait. La thérapie l’a aidée à comprendre qu’elle pouvait s’affranchir de ses peurs, puis elle a franchi le pas.

« Je me suis acceptée, ce qui signifiait devenir indépendante et entamer un divorce. C’était très dur, surtout parce que je me disais : qui, dans ma cinquantaine, s’intéressera à moi ? ». Elle touche machinalement un médaillon de la Vierge Marie. Est-elle croyante ? Elle répond sans ambages : « plus du tout ». Marie est devenue un symbole de protection, un objet précieux offert par sa mère, qui vit au Venezuela.

Un processus solitaire

Ce saut dans le vide de Liliana a été un processus très solitaire. Aux yeux de tous ses amis, explique-t-elle, elle avait toujours été un femme mariée au sein d’un couple hétérosexuel. « Lorsqu’il y a eu la séparation, beaucoup de ces amis ne savaient pas comment se positionner », dit-elle.

Même si la plupart de ses amis la soutiennent dans sa décision, elle ressent alors  le besoin d’entamer d’autres types de relations. « Ce n’est pas la même chose. Vous devez parler à quelqu’un qui est dans votre situation. C’est un processus très solitaire et douloureux. Il y a un deuil à faire », répète-t-elle.

Elle s’appuie donc sur des applications et les groupes Facebook pour commencer à se faire un nouveau cercle d’amis au sein de la communauté LGBTQ+, en particulier lesbienne. « Ce n’était pas nécessairement pour trouver une partenaire, mais simplement pour me socialiser et commencer à me faire de nouveaux amis », explique-t-elle.

Dans son commerce, Liliana a remarqué une légère distance de la part de certains clients, mais elle précise qu’ils étaient très peu nombreux.

Une vie bien remplie

Liliana vit désormais en couple avec une Québécoise et c’est avec un grand sourire qu’elle se dit heureuse de sa nouvelle vie.

« Avant, j’avais beaucoup d’anxiété et d’insatisfaction. Je ne savais pas pourquoi. Je pensais que je devais travailler plus, que je devais changer de carrière, que je devais faire quelque chose. Je cherchais toujours ce qui me manquait pour me sentir satisfaite. Lorsque je me suis acceptée, toute cette anxiété a disparu », dit-elle.

Bien que sa vie et son environnement aient changé, elle assure qu’elle est toujours la même personne. « Je suis toujours María Liliana Madrid, pourquoi devrais-je être méprisée ou jugée différemment s’il y a une femme à côté de moi au lieu d’un homme ? »

À ceux qui agitent encore la controverse en raison des préférences sexuelles ou de l’identité de genre de certaines personnes, Liliana adresse un message : « Je pense que vous devriez ouvrir les yeux. Ne vous laissez pas emporter par ce que quelqu’un vous a dit ou par ce qu’une religion vous a dit ou par ce qu’un conformisme vous dicte. Vous devez évoluer. »

Expériences différentes, un point en commun

Viviana, Daniel et Liliana son trois personnes avec des visions et des expériences très différentes mais elles ont un point en commun : bien que l’acceptation de leur identité de genre ou de leur préférence sexuelle ait entraîné une migration, un changement d’environnement et de cercle social, elles assurent qu’elles sont les mêmes personnes dans leur essence.

Le chemin d’acceptation de leurs choix personnels semble s’élargir dans la société canadienne, grâce aux lois qui les protègent. Mais, selon leurs propres expressions, cela ne signifie pas qu’elles ne rencontrent pas d’obstacles de temps en temps.

(*) Latinx ou Latine: néologisme de genre neutre utilisé à la place de Latino ou Latina.

L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.