Elie-Chance Kwibe au Centre des jeunes l’Escale de Montréal-Nord
Culture G
Les récits de Montréal-Nord
7/10/22
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Le rapport des citoyens de Montréal-Nord avec leur quartier est très intense. Et cette intensité n’est pas due au hasard. Les indicateurs sociaux alarmants, le sous-financement des organismes communautaires et la stigmatisation du quartier sont tous des facteurs qui font que les Nord-Montréalais ont une forte opinion du lieu où ils vivent. Néanmoins, autant Montréal-Nord est pluriel, autant on y retrouve une grande diversité de perspectives et de ressentis. Dans le meilleur des cas, il y a un attachement sincère pour le quartier et un profond désir de s’y épanouir.

Dans le pire des cas, Montréal-Nord devient un quartier de transit où on ne vit que momentanément en raison de la précarité sociale et financière dans laquelle on se trouve. La Converse est allée sur le terrain pour discuter avec les Nord-Montréalais de leur rapport avec leur quartier. Nous dressons le portrait de certains d’entre eux afin d’exposer la nature de cette relation complexe.

Chance, l’amoureux de la vie

« J’aime la vie », affirme Chance pour se présenter. Assis sur un banc du parc Saint-Laurent, Chance affiche un sourire radieux en faisant cette confidence. Élie Chance Kwibe est un jeune de Montréal-Nord qui poursuit ses études au cégep de Rosemont. Il espère continuer plus tard en gestion de commerce. Le cégépien de 18 ans est très actif dans sa communauté. Il travaille ainsi à l’Escale, un organisme communautaire nord-montréalais dédié à l’encadrement des jeunes du quartier. Obtenir un entretien avec Chance n’est pas chose facile, tant le jeune homme est occupé.

Il a finalement fallu s’entretenir avec lui dans le parc à côté de son organisme durant une de ses pauses, juste après qu’il eut fini d’organiser des activités pour les jeunes. S’il y a quelque chose que Chance aime plus que tout, c’est sans aucun doute Montréal-Nord. On comprend cela dès qu’il se met à expliquer les raisons de son attachement à son quartier. « On ne peut juste pas s’y perdre culturellement », confie Chance. Le jeune homme a aussi vécu à Anjou et à Saint-Léonard, mais il ne s’y est pas senti accueilli et ne s’y est pas fait d’ami. À Montréal-Nord, au contraire, il a été extrêmement facile pour lui de s’intégrer. Le Nord-Montréalais attribue cela au côté multiculturel de son quartier.

C’est d’ailleurs ce qui le pousse à vouloir y élever une famille. Pour lui, il est important que ses enfants connaissent leur culture d’origine, et les élever dans son quartier est la façon la plus facile d’y arriver. « Pour les gens qui sont nés ici, il est plus facile de parler leur langue parce qu’ils vont trouver des gens qui la parlent , avance-t-il pour illustrer son point de vue. Donc, culturellement, c’est un gain. »

Monique (nom fictif), la grand-mère aux 15 petits-enfants

Dire que Monique est enracinée à Montréal-Nord est un euphémisme. Et pour cause, l’aînée y habite depuis 35 ans. La Nord-Montréalaise a consenti à partager son histoire à condition que nous ne donnions pas son vrai nom. Monique est donc un nom fictif.« Je suis arrivée ici en septembre 1972, avec seulement 300 $ en poche », raconte-t-elle en créole. Monique a fui la dictature à Haïti pour venir s’installer au Québec. Arrivée ici, elle a appris le français et a commencé à travailler – pour un salaire de 1,65 $ l’heure.

« J’ai pu élever six enfants au Canada, affirme fièrement la grand-maman. Certains sont devenus médecin, infirmière, joueur de hockey, comptable. » Après avoir accompli tout cela, Monique a le cœur serré. « Cela m’attriste de voir autant de jeunes Haïtiens à Montréal-Nord qui ne font rien, confie-t-elle. J’ai une petite-fille qui va bientôt signer un contrat pour aller jouer au basket aux États-Unis. Elle en est arrivée là parce qu’elle a toujours été impliquée dans des activités épanouissantes qui ont fait qu’elle est restée loin de la rue. » C’est pour cela que Monique demande aux dirigeants politiques beaucoup plus de ressources et un meilleur encadrement pour ces jeunes. « Il faut qu’il y ait plus d’espaces réservés au sport pour eux, dit-elle. Il faut des cours de couture. Il faut des cours de cuisine. »

Pour elle, il ne fait aucun doute que Montréal-Nord est un endroit où on peut élever des enfants.« Je ne suis pas d’accord avec les gens qui dénigrent Montréal-Nord et Saint-Michel, lance Monique. Tout dépend de la façon dont tu élèves tes enfants. »

Adul, 20 ans de bénévolat

« Je ne me sens pas encore prêt à quitter Montréal-Nord. » Telle est la déclaration qu’Adul nous fait tout de go au début de notre entrevue. Adul Sadiq Adul est un père de quatre enfants qui est venu s’établir à Montréal-Nord en 2002. Immigrer au Québec a été très difficile pour lui. « Pour quitter le Tchad et venir ici, c’est un véritable parcours du combattant, explique Adul. « Une fois arrivé ici aussi, c’est très difficile, continue-t-il sur sa lancée. Il y a beaucoup de difficultés pour s’intégrer, surtout dans le milieu du travail. » Le Montréalais nous apprend ainsi qu’il a dû retourner à l’école afin de pouvoir s’intégrer au marché du travail et exerce aujourd’hui le métier de comptable.

Adul parle de Montréal-Nord comme quelqu’un qui connaît tout du quartier. « J’habite dans ce quartier depuis plus de 20 ans.

Donc, j’’ai  vu pas mal de changements et j’ai aussi vu pas mal de défis à relever”, avoue-t-il. Quand il commence à expliquer les raisons de son attachement pour le quartier, on comprend qu’Adul aime Montréal-Nord parce qu’il y a retrouvé les mêmes dynamiques sociales que dans son pays d’origine. « Je viens d’un pays où les gens vivent en communauté, explique-t-il. Quand je suis arrivé à Montréal-Nord, j’ai retrouvé la même chose. Les gens s’épaulent. » Le père de famille tombe d’accord avec Chance sur le fait que Montréal-Nord facilite l’intégration des immigrants. « C’est un quartier multiculturel où l’immigrant qui vient d’arriver ne se sent pas vraiment très étrange, affirme-t-il. Pour une bonne intégration des immigrants, c’est un passage obligé. »Le comptable reconnaît pourtant les nombreux problèmes auxquels Montréal-Nord doit faire face. En tant que père de famille, il est d’ailleurs bien placé pour les constater. « L’été à Montréal-Nord, c’est très animé, explique-t-il. Mais là, depuis deux semaines, je constate qu’on ne voit que peu de voitures passer. Donc, les gens sont inquiets. Ils ont peur de sortir après le coucher du soleil. »

Pour faire face à ces enjeux, Adul préconise un comportement qu’il s’est toujours assuré d’adopter dans sa vie citoyenne : l’engagement. Il est ainsi bénévole pour plusieurs organismes communautaires, tant à Laval que dans son quartier, et ce, depuis son arrivée au Canada. Il fait notamment du bénévolat à L’escale et à Un itinéraire pour tous, deux organismes communautaires très actifs à Montréal-Nord. « Il faut se battre pour arriver à un résultat positif, affirme le Nord-Montréalais pour expliquer son engagement. Il ne faut pas rester dans son coin et se morfondre. Il faut agir, intervenir, donner de son temps, sensibiliser.

C’est avec la petite pierre de chacun qu’on arrive à construire quelque chose pour tous. » « Si tout le monde s’en va, qui va travailler pour améliorer les choses ? » conclut-il sous forme de question.

Edna (nom fictif), du Chili à Montréal-Nord, en passant par le Mexique

Edna, une réfugiée haïtienne vivant à Montréal-Nord depuis deux mois, avoue être obligée de rester dans son quartier, malgré son désir de partir. « Je ne suis pas encore stable, reconnaît-elle. Je ne connais pas le pays. En tant que nouvelle venue, je ne peux pas simplement quitter ce quartier pour aller vivre dans un autre. Je reste à Montréal-Nord parce que c’est là que j’ai mon travail. » Le rapport qu’entretient Edna avec Montréal-Nord ressemble à une relation amour-haine. Les deux se repoussent mutuellement, mais finissent quand même ensemble parce qu’ils sont piégés dans une dynamique de dépendance. Pourtant, Edna a traversé quatre pays et des milliers de kilomètres pour venir vivre dans ce quartier. La mère de famille a d’abord quitté son pays natal pour aller vivre en République dominicaine.

Elle a par la suite vécu au Chili, au Mexique et aux États-Unis, toujours à la recherche d’une vie meilleure pour elle et sa famille. Le racisme ainsi que les difficultés pour se trouver du travail et être régularisé l’ont chaque fois forcée à faire ses valises pour entreprendre des voyages périlleux vers des cieux plus cléments. Son mari a ainsi dû traverser l’Amérique du Sud à pied, du Chili au Mexique. « C’était vraiment dur pour lui, explique Edna, une boule dans la gorge. Des fois, il devait regarder des photos de notre enfant pour se donner de la force. »

En dépit de toutes les difficultés, Edna est parvenue à entrer au Canada, où elle a fait une demande d’asile avec les membres de sa famille. Elle vit maintenant avec eux à Montréal-Nord. Tout comme Chance, Monique et Adul, Edna est bien consciente de la diversité à Montréal-Nord. C’est d’ailleurs cela qui l’a attirée. « Il y a beaucoup d’Haïtiens ici, nous dit-elle. Grâce à eux, c’est facile de trouver les informations dont j’ai besoin. »

Trouver un logement a également été plus facile pour la mère de famille. « Pour dénicher un logement, il te faut quelqu’un pour signer ton bail, ou alors tu vas devoir payer double, affirme-t-elle. C’est un autre réfugié comme moi qui a signé mon bail, ce qui nous a permis d’avoir notre appartement. » Sa clé d’appartement en main et entourée de sa communauté, Edna a commencé sa nouvelle vie à Montréal-Nord, le cœur plein d’espoir… mais a vite déchanté. L’insécurité qu’elle perçoit dans le quartier l’a convaincue de ne pas y rester.

« Je ne suis pas affectée par la violence à Montréal-Nord, parce que je fais que travailler, puis rentrer chez moi, confie-t-elle. Mais je vois les policiers tout le temps, et je vois les gens se battre. » Pour une personne qui a autant souffert pour pouvoir offrir à son enfant un avenir meilleur, Edna constate amèrement que Montréal-Nord n’est pas la bonne place.

« Je peux élever mes enfants à Montréal, soupire-t-elle, mais pas à Montréal-Nord. » Montréal-Nord est pluriel. Cette phrase que l’on a prononcée au début résume bien ce que l’on retire du témoignage de Chance, de Monique, d’Adul et d’Edna. Montréal-Nord se prête mal à une analyse essentialiste des choses. Il y a un Montréal-Nord où on entend souvent des coups de feu, où les sirènes de police ne se taisent jamais et où le revenu des ménages est le plus faible de l’île. Et il y a un Montréal-Nord où les gens sont entourés et encadrés par leurs communautés. Il faut reconnaître le ressenti de ceux et celles qui vivent dans le premier Montréal-Nord, et suivre l’exemple de ceux et celles qui vivent dans le deuxième Montréal-Nord.

L’actualité à travers le dialogue.
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