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22/5/2020

Les « voleurs d’emplois » à la rescousse

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

« Avant, nous étions perçus comme des voleurs d’emplois, maintenant, je suis content que les gens nous apprécient pour ce qui nous sommes et le travail que nous faisons, me confie Carlos lorsque je le rejoins vers 22 h après son quart de travail de 14 h. C’est vrai que nous avons besoin de ce travail pour pouvoir nourrir nos familles mais, ici, on a un grand besoin de nous également. C’est une situation gagnant-gagnant. » Les travailleurs agricoles étrangers font preuve d’un grand courage et d’une forte endurance, motivés essentiellement par la nécessité de subvenir aux besoins de leurs familles. C’est la raison pourquoi ils sont convoités par plus de 2 500 producteurs agricoles, seulement au Québec. Le fait qu’ils ne soient pas aussi nombreux à rentrer au pays cette année en raison de la pandémie a une incidence directe sur l’environnement et les conditions dans lesquels ils sont contraints de travailler.

Un meilleur avenir pour sa famille

Carlos fait partie du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) depuis neuf ans. Depuis deux ans, il travaille les premiers mois de la saison dans une pépinière en Montérégie, et poursuit ensuite son travail jusqu’à l’automne chez un cultivateur de légumes dans la région.Le père de trois enfants, originaire de Mexico, a travaillé d’abord en Ontario avant d’entamer son travail dans les fermes maraîchères au Québec. Après avoir eu son premier enfant, il a décidé de suivre les pas de son père et devenir, comme lui, travailleur agricole saisonnier. « Mon père ne pourra pas venir cette année pour la première fois en 22 ans », dit Carlos.Des milliers de travailleurs mexicains seront absents cette année en raison du retard administratif dans le traitement de leur permis de travail. Carlos s’en désole : « C’est triste, car nous souhaitons tous rentrer travailler pour pouvoir améliorer la qualité de vie de notre famille. »

Le salaire minimum se situant autour de huit dollars par jour actuellement au Mexique, il serait difficile pour Carlos de subvenir aux besoins de sa femme et ses enfants, même en faisant du temps supplémentaire. « En travaillant trois quarts de l’année ici, je peux offrir à ma famille beaucoup plus que si je travaillais à la scierie toute l’année. »Arrivé au Québec depuis février, Carlos a vu sa charge de travail augmenter au cours des dernières semaines, en raison de l’absence de quelques-uns de ces collègues. « En temps normal, nous sommes 12 travailleurs mexicains chez mon employeur mais, cette année, nous ne sommes que 7 ».

En raison de la pénurie de main-d’œuvre en plein milieu de la haute saison des vivaces, il commence ses quarts de travail à 7 h, sans savoir à quelle heure il terminera. « On finit parfois à 18 h, d’autres à 20 h ou 21 h, comme aujourd’hui, dit-il. Mais je suis tout de même content d’être ici, malgré l’intensité du travail en ce moment. C’est plus facile d’endurer des quarts de travail aussi longs dans l’horticulture, les tâches étant moins ardues que dans les champs. »Travaillant du matin jusqu’à très tard le soir, Carlos doit prévoir souvent d’apporter assez de nourriture de chez lui pour prendre deux repas dans son lieu de travail. Toutefois, lorsque son quart de travail est prolongé la journée même, il est contraint d’attendre avant de rentrer chez lui pour souper.  

Des droits bafoués

Sans masque ni gants, Carlos ne se sent pas protégé contre la COVID-19 par son employeur. « Nous avons pourtant entendu que des collègues d’autres fermes doivent porter de masques en tout temps au travail », remarque-t-il.Carlos et ses collègues font de leur mieux pour respecter la distanciation physique tant au travail qu’à l’appartement où ils sont logés par leur employeur, mais ils ont des contraintes pour en arriver. « Nous sommes sept à voyager ensemble dans un minivan pour nous rendre à la ferme, rentrer chez nous après le travail, aller à l’épicerie ou la banque. Quatre parmi nous habitons ensemble, mais les trois autres habitent ailleurs. »

Joint au téléphone cette semaine, le coordonnateur du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ), Michel Pilon, affirme : « Nous avons reçu plus d’une vingtaine d’appels de travailleurs qui dénoncent avoir été obligés de travailler jusqu’à 18 h par jour, et deux plaintes concernant des travailleurs qui ont été même obligés de travailler durant leur période de quarantaine. Ils voudraient que ça ralentisse un peu, ils sont vraiment fatigués. Je trouve qu’on est en train de brûler la chandelle des travailleurs et il va avoir des accidents de travail à quelque part si ça continue. »

L’Union des producteurs agricoles (UPA) a dû intervenir dans ces cas pour rappeler aux fermiers de ne pas faire travailler leurs employés au-delà de 12 heures par jour. « Nous gardons les plaintes anonymes, nous ne donnons pas les noms des travailleurs pour éviter qu’ils n’aient des représailles », poursuit-il.

Concernant le port de masques et de gants, son organisme a reçu également quelques plaintes. « J’explique aux travailleurs que le port du masque est obligatoire lorsqu’il y a moins de deux mètres entre eux et que c’est l’employeur qui doit leur fournir l’équipement de protection nécessaire. » M. Pilon dit avoir transmis ces plaintes à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), chargée d’en faire un suivi pour assurer que les employeurs se conforment aux règles de la santé publique.

D’après M. Pilon, certains employeurs confinent actuellement les travailleurs à la ferme une fois qu’ils ont fini leur quart de travail, un aspect qu’il aurait soulevé à la Commission des droits de la personne.

« Il y a des travailleurs qui ont eu des mesures disciplinaires parce qu’ils ont quitté la ferme leur journée de congé, soutient-il. Les employeurs disent qu’ils ne veulent pas que la COVID-19 entre dans la ferme, mais lorsque les Québécois arriveront travailler dans leurs fermes cet été, ils ne pourront pas les confiner chez eux. S’ils veulent sortir prendre une marche après le travail, ils ont le droit de le faire. Alors pourquoi nier ce droit aux travailleurs? Les règles et les libertés doivent s’appliquer de la même façon. On ne peut pas traiter un travailleur temporaire différemment d’un Québécois. C’est de la discrimination. »

  1. Pilon et son équipe continueront le travail de terrain jusqu’au mois de juillet, afin de continuer à distribuer des dépliants en espagnol à tous les travailleurs arrivants à l’aéroport de Montréal, portant sur la COVID-19 et leurs droits pendant la quarantaine.

Bon, frais, pas cher

« Nous ne pourrons pas nourrir les Canadiens à un prix abordable sans les immigrants », a déclaré le ministre fédéral de l’Immigration, Marco Mendicino, la semaine dernière lors de l’annonce du plan d’immigration des libéraux. « Il faut se demander aux dépens de qui nous pouvons nous nourrir à un prix abordable », rétorque Viviana Medina, coordonnatrice au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) au ministre Mendicino. Elle dénonce une inégalité intensifiée dans le contexte pandémique actuel. Viviana Medina soutient que la mise en évidence des inégalités envers les travailleurs essentiels devrait être un appel au réveil pour toute la société. « Maintenant qu’on réalise que la machine ne fonctionne pas, il faut s’asseoir et réfléchir à comment on va changer les choses pour les gens les plus vulnérables au front en ce moment. »

Avoir une opportunité

Près de 16 000 travailleurs agricoles saisonniers quittent leurs familles au Mexique et au Guatemala pour quelques mois chaque année pour venir travailler au Québec, parfois pendant plus de deux décennies, sans avoir le droit de s’y établir.Le nouveau Programme pilote sur l’agroalimentaire mis en place par le gouvernement fédéral jusqu’en 2023 permettra à 16 000 travailleurs étrangers non saisonniers de demander la résidence permanente pour eux et leurs familles, sauf au Québec. Les travailleurs agricoles saisonniers sont donc exclus du programme, partout au pays. Contribuant depuis neuf ans à l’économie et à la société québécoise, Carlos espère que le gouvernement puisse un jour lui donner l’opportunité d’obtenir la résidence permanente au Canada, pour pouvoir avoir les mêmes droits que les Canadiens.

« J’aimerais un jour pouvoir vivre ici avec ma famille et y travailler toute l’année. Mon plus grand souhait est de voir grandir mes enfants en sécurité et de leur offrir un avenir prospère. Après la pandémie, j’espère que les choses pourront changer pour nous. » La société québécoise est-elle prête à suivre le modèle d’Enice Toussaint qui vit heureuse avec ses petits-enfants? « C’est un gros autobus qu’il faut changer de bord, ce n’est pas évident », conclut la chercheure en gériatrie Gina Bravo.

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