Le samedi 24 février, une centaine de personnes se sont réunies dans les rues de Montréal pour manifester contre les massacres endurés par les civils dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), depuis la reprise des conflits armés par des groupes rebelles en 2021. La communauté congolaise a également dénoncé le silence de la communauté internationale.
Au point de rassemblement, près de la station McGill, des membres de la communauté congolaise arborent fièrement les couleurs du drapeau de la RDC en attendant l’heure de départ. Le vent est glacial, certains se réchauffent les mains en soufflant dessus, d'autres tapotent leurs pieds pour lutter contre le froid, mais tous affichent sur leur visage une détermination palpable : faire entendre leur voix et exiger que la communauté internationale sorte de son silence.
« Nous ne sommes pas des mouches qu’on peut tuer comme ça »
Au milieu de la foule grandissante, un homme d'une soixantaine d'années, enveloppé d’un drapeau congolais, est en direct sur Facebook. « Nous ne sommes pas des mouches qu’on peut tuer comme ça », déclare-t-il solennellement, avant de poursuivre son discours en lingala, l'une des langues nationales du Congo.
Depuis le milieu des années 1990, le Congo est plongé dans un conflit impliquant plusieurs groupes armés locaux et étrangers ainsi que les forces gouvernementales congolaises et de violence généralisée. La principale cause de ce conflit est l’extraction des ressources minières à l'est du pays notamment par l'Ouganda et surtout le Rwanda.
D'après des rapports de l'ONU, le gouvernement rwandais est impliqué dans la formation et le financement du Mouvement du 23 mars (M23), un groupe rebelle actif dans l'est du Congo. Ce groupe est accusé de participer à des activités de contrebande et de trafic de ressources naturelles, notamment des minerais. Kinshasa affirme également que le Rwanda exporte des minerais congolais sur ses terres via le M23. En plus de ses activités illicites, la milice est également accusée de graves violations des droits de l'homme contre les populations locales.
Malgré les preuves avancées, Kigali nie toute implication depuis le début du conflit, et accuse en retour Kinshasa de connivence avec les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), formés principalement de rebelles hutus rwandais, qui ont fui vers la RDC après le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.
Selon les données les plus récentes du Comité International de Secours (IRC) datant de 2008, 5,4 millions de Congolais ont péri depuis le début du conflit. Cependant, certains chercheurs contestent ce chiffre, estimant qu'il est en réalité beaucoup plus bas*. L'ONU estime par ailleurs un déplacement massif de la population se chiffrant à près de sept millions d’habitants, à l’intérieur du pays.
Moïse Mayo, directeur de l'association du Parti libéral à Saint-Jérôme*, est l’un des organisateurs de la manifestation. Durant la marche, nous restons près de lui pour comprendre davantage les revendications des manifestants. L’homme vêtu d’un gilet jaune souligne que le conflit à l'est du Congo est souvent perçu à tort comme un affrontement ethnique. « Ce n'est pas une question de guerres ethniques, il faut que les gens le comprennent ! Il y a 250 ethnies au Congo, on est capable de vivre ensemble. La raison première de cette guerre à l’est du pays, c’est l’extraction de matières premières à des prix moindres au Congo », explique-t-il avec agacement.
« Les téléphones que vous utilisez sont congolais ! »
Il est 14 heures lorsque les manifestants entonnent l'hymne national, qui marque le début de la marche. Les pas se mettent en mouvement dans un silence pesant, brisé par le son des klaxons du cortège. Des voitures ornées de drapeaux du Congo, mais aussi du Sénégal et du Tchad se fondent dans le défilé, témoignant de la solidarité africaine dans cette quête de justice.
Au bout de quelques minutes, des voix s’élèvent. Les manifestants accusent Kigali, mais également la communauté internationale de complicité par leur silence face aux conflits armés en cours. « Génocide* au Congo ! », « Canada Complice ! », « Etats-Unis complices ! », « La France, complice ! » s'écrient-ils.
Devant la boutique Apple située sur la rue Sainte-Catherine, les manifestants font un premier arrêt. Les cris de protestation s’intensifient. « Apple Complice ! », hurlent-ils, pointant du doigt la responsabilité de la multinationale dans les souffrances endurées par les Congolais. « Les téléphones que vous utilisez sont congolais ! », déclare une voix féminine avec colère. Elle ajoute : « Vos téléphones sont imprégnés du sang congolais ! ».
Apple*, ainsi que des compagnies tels que Microsoft, Google, Dell et Tesla sont accusées par International Rights Advocates (IRA), une organisation de défense des droits de l'Homme d’avoir bénéficié du travail d’enfants dans les mines de cobalt, d’étain et de tungstène collectivement appelé 3T. Ces métaux sont cruciaux pour la fabrication de nombreux appareils électroniques comme les smartphones, les tablettes et les voitures électriques.
« Le malheur du Congo est que 70% du cobalt mondial est disponible dans notre pays », déclare M. Mayo. Devant les portes de la boutique Apple, un cri aigu retentit dans la foule - le « Yi » congolais - un cri d’humiliation, portant avec lui le poids de l'indignation collective.
L'Organisation mondiale du travail a qualifié les méthodes utilisées par plusieurs entreprises dans les provinces de Kivu, envers leurs employés « d’esclavage moderne ». De nombreuses ONG ont également soulevé des préoccupations concernant les conditions de travail des enfants, qui représentent toujours une part significative de la main-d'œuvre locale. Selon les derniers chiffres de l'UNICEF en 2014, plus de 40 000 enfants en RDC travaillent dans les mines.
M. Mayo nous partage, visiblement révolté : « Je n’imagine pas ma fille de 4 ans se faire violer, ou encore je n’imagine pas ma femme se faire violer par plusieurs hommes devant mes enfants. Ce sont des atrocités qui n’ont pas de mots. » M. Mayo fait référence aux derniers témoignages publiés par Amnesty International en février 2023. Des dizaines de femmes et de filles dans l’est de la République Démocratique du Congo ont témoigné avoir été violées par des groupes rebelles du M23. Chaque témoignage décrit en détail les barbaries subies par les survivantes.
Le silence des pays occidentaux, pointé du doigt.
Alors que la foule se déplace vers l’ambassade des États-Unis, la voix d'une manifestante se distingue : « Ils ne veulent pas écouter nos voix, ils font la sourde oreille, parce qu'ils nous volent tous ! » Elle poursuit, « ce que nous déplorons, ce ne sont même pas nos terres et nos richesses volées, mais les millions de morts ! Les atrocités que subissent nos compatriotes, les viols, les massacres ! ».
À ses côtés, sa sœur prend la parole : « Nous avons assez pleuré, nous avons trop pleuré, nous sommes fatigués de pleurer. Nous voulons simplement que le génocide cesse, que les tueries cessent ! C'est tout ce que nous voulons. »
Sa sœur rebondit : « Pour le Congo on ne dit rien, la peau noire ne vaut-elle rien ? ». Pour cette manifestante, ce « silence » de la part de la communauté internationale est une question de couleur de peau mais aussi d'intérêts économiques dont profitent les pays occidentaux. « C’est une question de couleur mais aussi de pillage. Tout le monde se sert, ce n'est pas normal. Pour le Congo personne ne parle, on ne vaut rien ou quoi ? », s’exclame-t-elle, le regard furieux.
« La vie d’un congolais vaut-elle moins que celle d’un Ukrainien ? »
M. Mayo déplore également le silence des autorités canadiennes face au massacre congolais. « Garder le silence dans une situation comme celle-ci, c’est aussi être complice de ce qui se passe. »
Pour lui, il ne s'agit pas d'une omission de la part de l'État canadien, mais bien d'une volonté délibérée de se taire. « Nous envoyons des lettres aux députés, aux sénateurs d'ici, au cabinet de Justin Trudeau, nous envoyons même des correspondances à la Maison-Blanche. Tout le monde est au courant, mais le silence demeure ahurissant. », déclare t-il.
Moïse Mayo souligne le contraste entre le soutien important apporté à l'Ukraine dès le début de la guerre, et l'oubli généralisé du Congo. « Le nombre élevé de décès au Congo dépasse de loin celui de l'Ukraine, c’est ça qui me jette à terre. Est-ce que la vie d'un Congolais vaut moins que celle d'un Ukrainien ? », déplore-t-il. Pour lui, il s’agit là d’une politique de « deux poids deux mesures » : « Le Congo et l’Ukraine vivent tous deux la même situation, c’est une guerre géopolitique ! »
« À quand les sanctions sur Paul Kagame et son régime ? » Pourquoi ce désintéressement à son égard ? » poursuit M. Mayo. « La Russie a reçu des sanctions à juste titre, mais le Rwanda aucun ! »
Le Canada impuissant face aux conflits se déroulant en RDC ?
Patrick Mbeko, politologue canadien d'origine congolaise, est spécialiste des enjeux géopolitiques de la région des grands lacs africains. Selon l’expert, le Canada n’a pas l’influence nécessaire pour intervenir sur les questions géopolitiques du Congo. « Le Canada est un acteur mineur par rapport à ce qui se passe dans l’est du Congo. Même si nous sommes membres du G7, le Canada n'a pas assez de leviers pour faire pencher la balance. » Il souligne également que le Canada n'a pas de liens politiques avec le pays d’Afrique centrale.
Malgré le soutien du Canada à la mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, M. Mbeko met en évidence les liens de partenariat qu'entretient le Canada avec le Rwanda. « Soutenir l’ONU et en même temps être allié du Rwanda ? C’est uniquement pour se donner bonne conscience. » lance t-il. Il poursuit, « Si le Canada doit agir, c’est en appelant le Rwanda à la retenue. Cela pourrait peut-être inciter les autorités rwandaises à réévaluer leur posture concernant le soutien aux criminels opérant à l'est de la RDC. »
Affaires mondiales Canada affirme que le pays est préoccupé par l'augmentation récente des hostilités dans l'est de la RDC. Le Canada appelle également le Rwanda à mettre fin au soutien des groupes armés dans la région.
Alors que la foule poursuit sa marche sur la rue sainte Catherine en direction de l'ambassade de France, son dernier arrêt, M. Mayo prend le mégaphone « Nous resterons debout jusqu'à ce que la communauté internationale dans son ensemble prenne conscience que la vie congolaise a de la valeur. » Les manifestants scandent à nouveau « La France complice ! ».
Des réactions timides de certains gouvernements
Le mardi 20 février, Paris dénonçait dans un communiqué « les atteintes à l'intégrité territoriale » de la RDC et les violences contre les populations civiles dans l'est du pays. L'hexagone appelait notamment le Rwanda « à cesser tout soutien » aux rebelles du M23 et « à se retirer du territoire congolais ». Les États-Unis ont également condamné « fermement l'aggravation de la violence causée par les actions des rebelles du M23, soutenu par le Rwanda. »
Lors d'une séance parlementaire le jeudi 23 Février, Raoul Hedebouw, à la tête du Parti du travail de la Belgique, a dénoncé l'inaction de la Belgique et des gouvernements occidentaux face au massacre Congolais.
Le politicien a également pointé du doigt l'Union Européenne, suite à sa récente signature d'un accord avec le Rwanda portant sur « la gestion durable des matières premières », incluant des ressources telles que le coltan, le cobalt, le nickel, le diamant et le cuivre. « Soyons clairs, ce n'est pas du Rwanda que viennent les diamants. Tout ça vient de l’est du Congo. » déclairait M. Hedebouw. « Voilà la raison pour laquelle la Belgique n’intervient pas : c’est le Business, c’est l’argent », lance-t-il.
À ce sujet, M. Mbeko estime que les pays membres de l’Union Européenne font preuve d’hypocrisie : « Vous ne pouvez pas dénoncer l’agression du Congo et signer un partenariat stratégique avec un pays qui vit du pillage des ressources naturelles du Congo. Tout le monde sait d'où proviennent les richesses du Congo », soutient-il.
De retour au point de départ, les manifestants entonnent à nouveau l’hymne national congolais pour clôturer la marche, cette fois-ci avec une représentation symbolique : Une main sur la bouche et deux doigts en signe d’arme au niveau des tempes.
Pour aller plus loin
*Selon Une étude commandée par la Commission européenne et réalisée par les démographes belges Louis Lohlé-Tart et André Lambert en 2008, le nombre total de décès survenus entre 1988 et 2004 est estimé à 200 000.
*L’APLQ rassemble les partisans du Parti libéral du Québec, les accompagnent dans l'organisation de leurs actions politiques et dans l'obtention de soutien.
*Le terme « génocide » est un terme sujet à débat pour qualifer les massacres se déroulant à l’est de la RDC. Certains groupes de défense des droits de l'homme et experts soutiennent que les événements dans l'est du Congo répondent aux critères du génocide en vertu du droit international. Le rapport du « Projet Mapping », publié en 2010 par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, documente les violences massives perpétrées entre 1993 et 2003, certaines étant qualifiées de génocide. Cependant, d'autres contestent cette qualification, préférant utiliser des termes comme « crimes contre l'humanité » ou « crimes de guerre ». À ce jour, la cour pénale internationale n'a pas formellement statué sur cette question. Pour comprendre le concept juridique autour d’un génocide et ses limites nous vous recommandons : GÉNOCIDE : LES DESSOUS D’UN MOT PUISSANT ET COMPLEXE
*Suite à un documentaire germano-danois intitulé « Du Sang dans nos portables », Apple déclarait en 2014 ne plus vouloir de minerai provenant du conflit au Congo. Cependant, lorsque l’on consulte le rapport annuel d'Apple en 2023, les informations concernant les mines sont occultées : une mention note « Les divulgations sur la sécurité minière ne s'appliquent pas. »