Autochtonie
Partager la joie autochtone
21/6/23
Journaliste:
Illustrator:
Initiative de journalisme local
COURRIEL
Soutenez ce travail
temps de lecture:
5 Minutes

J’estime que la joie autochtone se mêle au laborieux travail de guérison. J’en chéris chaque manifestation, je considère qu’elle fait partie des moments forts de l’existence. Le rire de ma mère est d’autant plus marquant qu’il contraste avec le silence qui entoure les pensionnats autochtones. Les personnes dévouées qui travaillent avec et pour leur communauté sont une source d’inspiration. J’ai donc entrepris d’écouter comment elles amplifient, créent et privilégient la joie autochtone.

Pour Kim Haxton, qui est Potéouatamis, la joie autochtone a l’apparence, le son et l’odeur d’un lien avec terre, ou de la fumée après avoir chanté auprès d’un feu. Elle œuvre à l’élaboration de stratégies d’éducation, de leadership et d’intégration basées sur la terre. Voici l’une de ces sources de joie : « Les cérémonies suscitent l’allégresse, les enfants jouent, les tantes dures à cuire rient. »

La communauté est le fondement et la motivation derrière tout ce qu’entreprend Cúagilákv Jess Housty, originaire de la nation haíɫzaqv, que ce soit l’éducation des enfants, l’écriture ou l’organisation communautaire. Son expérience et son ascendance double coloniale heiltsuk sont sans cesse mises à profit dans son travail lié à la sécurité alimentaire, à la guérison, à l’éducation par la terre et au changement social mené par la communauté.

« J’ai fait mes premières armes dans le travail communautaire dans un contexte de crise, et face à l’industrie extractive qui menaçait tout ce que nous jugions sacré. À l’époque, il était très facile de se laisser porter par la colère, qui n’était qu’un moyen de masquer la peur », explique-t-iel. « Mais j’ai toujours su que je voulais dédier ma vie au service de mon peuple. J’ai vite compris que la colère et la peur ne me permettraient pas de poursuivre ce but à long terme, poursuit Cúagilákv. Depuis une dizaine d’années, chaque jour, je me lève et je choisis la joie comme guide. Cela n’efface pas les traumatismes de la colonisation ni le travail difficile que je dois accomplir, mais signifie que je vise la prospérité pour les générations futures, ce qui me donne un cœur solide. En mettant la joie au cœur de mon travail, tout ce que je fais devient une question de guérison, ce qui semble fondamentalement bon et juste. »

Teagan Pooyak, qui est Crie et Stoney, embrasse la joie autochtone.

Les enfants et les jeunes suscitent la joie de manière éloquente. Lorsque des organisations dirigées par des Autochtones la privilégient, cette joie mène à la guérison. L’élément sous-jacent indissociable de tout progrès est la guérison des traumatismes intergénérationnels causés par les pensionnats autochtones. L’Aboriginal Head Start Association of British Columbia (AHSABC) est une organisation de la Colombie-Britannique dont le programme provincial permet aux enfants d’âge préscolaire et à leur famille vivant hors réserve de faire l’expérience et d’obtenir le soutien d’un « village ». La directrice, Joan Gignac, explique que la joie est la pierre angulaire de son travail. « Les programmes de l’AHSABC rassemblent les enfants et les aînés pour qu’ils s’amusent, jouent, apprennent, partagent et grandissent. En sachant que les aînés qui sont passés par les pensionnats n’ont pas vécu cette expérience lorsqu’ils étaient enfants, ces activités sont empreintes d’un sentiment de joie renouvelée », dit-elle.

Au Western Arctic Youth Collective, la joie autochtone est un objectif et un outil dans chaque aspect du travail du collectif. Créé par et pour les jeunes, le WAYC offre aux participants des Territoires du Nord-Ouest des espaces sûrs et inclusifs où ils peuvent s’exprimer, être eux-mêmes, apprendre, grandir et commettre des erreurs, ce qui leur permet de s’épanouir. La coordonnatrice Monica Loreen Dillon, qui est Inuvialuk, l’explique ainsi : « Cela crée un sentiment de joie pour nous également qui sommes de la génération plus âgée, en permettant à notre enfant intérieur de guérir et en nous trouvant dans ces environnements où nous travaillons avec eux. »

Enfin, IndigenEyez crée un espace permettant aux Autochtones de se rapprocher, de se renforcer et de développer leurs compétences en matière de leadership. Reconnaissant que la réconciliation nécessite des alliés, Kelly Terbasket, de la nation okanagan-syilx, a mis sur pied KinShift, où les non-autochtones désireux de s’attaquer aux préjugés peuvent acquérir les compétences nécessaires pour établir de meilleures relations. Pour la fondatrice, le terme « autochtone » renvoie à des milliers d’années de liens avec la terre, ce qui lui confère la sagesse de pouvoir être un parent de la terre, un élément de la toile, plutôt que de placer l’être humain au premier plan ou d’exercer une domination. « Cette relation est fondée sur le respect, la compassion, l’attention et la révérence. La joie est l’une des choses qui découlent du fait d’être si intimement lié à toutes nos relations », indique la directrice du programme. Selon elle, la joie autochtone est le contraire de la restriction et reflète un potentiel illimité.

Chehala Leonard, cinéaste aseniwuche winewak et productrice à l’Office national du film (ONF), estime que la joie vient de l’askîy (la terre). « Être sur le terrain avec des cinéastes m’apporte la plus grande joie. En un mot, cela m’enracine, me rappelle d’où je viens et me donne l’occasion de saluer le travail que nous accomplissons ensemble », affirme-t-elle.

L’écrivain anichinabé Waubgeshig Rice abonde dans le même sens. « La joie autochtone est un élément clé de mon travail, qu’il s’agisse de la chercher, de la souligner ou de la générer. Tant de générations ont été privées de joie, et maintenant que nous sommes en mesure de la promouvoir et de nous y complaire, je veux faire de mon mieux pour la partager », déclare-t-il.

Le travail de la photographe blackfoot et crie Mary Big Bull célèbre l’autochtonie : « Il s’agit de réclamer ce qui a été dérobé aux générations qui nous ont précédés. C’est embrasser l’identité autochtone dans son ensemble et être fiers de cette part de nous-mêmes, célébrer la culture autochtone comme nous ne pouvions pas le faire auparavant », déclare la photographe. Ainsi, elle illustre la beauté de la couleur de la peau, des cheveux et des yeux des danseurs et des costumes, autant d’éléments qui ont trop longtemps été perçus négativement.

Lily Big Bull Holloway, à la fois Siksika et Blackfoot, représente une nouvelle génération de joie autochtone. Photo par Mary Big Bull

L’artiste Jada-Gabrielle Pape, qui est Saanich et Snuneymuxw, est également conseillère certifiée et coach. Son travail le plus intime est celui de conseillère et de coach, tandis que ses activités à caractère stratégique et systémique sont celles de facilitatrice et de consultante en décolonisation et en lutte contre le racisme, qu’elle effectue auprès d’organisations. Avant de parler de joie, elle fait référence à ses racines. « L’œuvre de ma vie est façonnée par la famille, la communauté, les aînés et les gardiens du savoir dont je suis issue et à qui j’appartiens », déclare-t-elle.

Jada-Gabrielle Pape. Photo: Nora Pape

« Beaucoup d’entre eux sont décédés avant d’avoir eu la chance de vivre toutes les choses qu’ils nous enseignaient et pour lesquelles ils se battaient. Je considère donc que c’est à la fois mon privilège et ma responsabilité de vivre leur héritage. Mon intention quotidienne est non seulement de me battre pour la justice, mais aussi de l’incarner, de ne pas me contenter de parler d’amour et de justice », poursuit l’artiste avant de nous laisser sur ces mots : « Je sais, au plus profond de moi-même, que cela guérit mes ancêtres et perpétue leurs souhaits du monde qu’ils voulaient pour nous tous », conclut-elle.

L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.