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Racisme anti-Noirs : des intervenants suggèrent deux modes d’actions différents
Les intervenants invités du CARI Saint-Laurent, Mélissa Jean-Baptiste et Faty Diambang, en compagnie des participants accompagnés par Horiol Destinée et Wideline Joseph de l'organisme ICI Montréal-Nord.
21/7/2023

Racisme anti-Noirs : des intervenants suggèrent deux modes d’actions différents

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

À Montréal comme ailleurs, le racisme que subissent les Noirs s’insinue dans certaines institutions et se manifeste dans les interactions quotidiennes les plus banales. Les personnes noires de la métropole doivent composer avec cette réalité, et ce, peu importe leur statut migratoire, leur pays d’origine ou leur classe sociale. La Converse, sur la suggestion d’Horiol Desile Destiné, chargé de projet à l’ICI Montréal-Nord, a donc accueilli une vingtaine de personnes dans le but de discuter tout particulièrement des enjeux et des solutions liés au racisme anti-Noirs à Montréal. Bien que complémentaires, les opinions divergent, entre position interventionniste fondée sur le droit et approche soucieuse de tenir compte, notamment, du stress et des conséquences psychologiques de telles démarches.

Parmi les invités, des intervenants en intégration sociale comme Faty Diambang et Mélissa Jean-Baptiste, qui œuvrent pour le CARI Saint-Laurent, organisme spécialisé dans l’intégration des nouveaux arrivants. Ont également été conviés des habitants venus témoigner et partager leurs opinions sur le sujet. Horiol Desile Destiné, qui travaille sur le projet Échec au racisme à l’ICI Montréal-Nord (Intégration, citoyenneté et inclusion), est accompagné de Wideline Joseph, qui travaille au sein du même organisme. Tout le monde étant arrivé, le dialogue s’amorce.

Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, explique Horiol. Désireux d’avoir une discussion franche pour outiller des personnes noires récemment installées à Montréal, l’organisme participe au dialogue avec les intervenants présentés plus haut et un groupe de nouveaux arrivants. Confortablement calés entre des coussins ou sur les chaises ergonomiques de nos locaux, calepin et stylo à la main pour certains, les participants se présentent tour à tour, prêts à se lancer dans la discussion.

Quelles sont les principales problématiques ?

D’emblée, lorsqu’on demande à Faty Diambang et Mélissa Jean-Baptiste, du CARI Saint-Laurent, de quoi sont faites leurs journées, ils racontent leurs expériences à titre de conseillers en immigration auprès de nouveaux arrivants et de demandeurs d’asile. Mélissa, qui les accompagne au quotidien, souligne combien les attentes prolongées pour l’obtention de permis de travail sont une source de stress économique pour les demandeurs d’asile. « L’immigration dit que ça prend normalement trois mois, mais certains attendent depuis un an. C’est long, certains sont en attente des délais d’audience pour savoir si leur statut est accepté. Ça prend du temps, il y a des personnes qui attendent trois ans, quatre ans », précise-t-elle..

Trouver un logement à prix abordable est également un défi, particulièrement dans le contexte actuel. « Trouver un 4 et demi, un 5 et demi à 1 200 $, c’est très rare – autant pour moi que pour eux ou pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde », avance-t-elle. Mélissa accompagne également les demandeurs d’asile, et ce, peu importe leurs besoins : recourir à une banque alimentaire, se procurer des vêtements, s’inscrire à des cours de français, retourner à l’école, trouver un nouvel emploi, etc. Elle souligne que cela se produit surtout dans les cas d’abus en milieu de travail, lorsque la personne est maltraitée ou qu’on refuse de la payer. Son collègue Faty renchérit, soulignant la précarité qui guette les demandeurs d’asile, et le rapport de force qui leur est défavorable et les écrase, même lorsqu’ils sont à leurs côtés. « On a souvent un sentiment d’impuissance face à ce qu’ils nous présentent, c’est une machine vraiment lourde », regrette-t-il.

Plusieurs participants lèvent à leur tour la main afin de partager leur vécu depuis leur arrivée à Montréal. L’un d’eux, un jeune homme originaire d’Haïti, explique avoir essuyé plusieurs refus après avoir postulé pour des emplois. Pourtant, « tous ces entretiens d’embauche s’étaient très bien déroulés », explique-t-il. Malgré ses études complétées dans son pays natal, sa capacité à s’exprimer en français et son enthousiasme, rien n’y fait, on ne le rappelle pas. Pour lui, il n’y a pas de doute possible : « C’est clairement en raison de la couleur de ma peau si je connais cette suite d’infortunes. » Autour de lui, on secoue et on hoche la tête en signe de désapprobation ou pour montrer qu’on n’est pas surpris.

Faire valoir ses droits

Outre le soutien qu’il apporte aux immigrants de fraîche date et aux demandeurs d’asile, le CARI fournit aussi une aide technique aux résidents permanents et aux immigrants de longue date dans leurs demandes d’immigration. Les conseillers en intégration offrent également un soutien pour la recherche de logement et d’emploi et peuvent orienter les usagers vers des ressources externes, au besoin.

Mais que faire lorsqu’une simple formalité devient une entrave à la dignité humaine ? Mélissa relate le cas récent d’une personne ayant fait l’expérience du racisme en milieu médical. Grâce aux formations offertes par la Clinique juridique de Saint-Michel, ses collègues et elle ont pu orienter de manière informée la plaignante vers les services d’aide juridique. Ces derniers sont disponibles à peu de frais aux personnes à faible revenu, comme c’est souvent le cas pour les nouveaux arrivants.

En cas de traitement discriminatoire au moment de recevoir des soins, « peu importe le statut, même s’il est précaire, on a droit à un deuxième avis médical, on a le droit de dire au médecin : “Je ne suis pas sûre de ce que vous me dites et je pense que vous agissez avec moi injustement” », fait valoir l’intervenante. « On tend à penser que, si je parle, [les autorités canadiennes] ne vont pas me donner la résidence permanente ; si je parle, le juge va me renvoyer dans mon pays et ma demande va être rejetée. Il y a cette peur-là. »

Wideline Joseph, organisatrice communautaire à l’ICI Montréal-Nord, est d’avis que cette crainte pèse lourd dans la balance. Elle soulève également un autre point, celui de la perception qu’ont les nouveaux arrivants racisés des services offerts sur le territoire. En effet, dans leur pays d’origine, certains ont l’habitude de subir des traitements discriminatoires sur la base de leur classe sociale ou du colorisme (discrimination basée sur la pigmentation plus foncée ou plus claire de la peau). Ainsi, d’après Wideline, « subir des choses négatives qui remettent en question leur dignité est normal, car non seulement ils n’ont pas de statut légal, mais ils ont en plus un statut financier précaire ».

Selon elle, « l’aspect culturel des gens avec qui on travaille est important ». « Il faut aller plus loin que : “Vous avez subi du racisme” ; il faut comprendre leurs perceptions culturelles », affirme-t-elle. Elle offre de se poser une question : « Si vous êtes au Canada et que tout le monde est égal, est-ce que ce que vous avez subi est normal ? » Sur ce dernier point, Faty renchérit : « Il nous revient à nous, les intervenants, qui sommes en première ligne, de faire cette sensibilisation, d’informer les [nouveaux arrivants] sur leurs droits et devoirs ici au Québec – des droits et des devoirs qui peuvent être très différents de ceux [qui prévalent] dans leurs pays d’origine. »

« Face à l’injustice et lorsqu’on a mal, il faut prendre un moment de recul »

Si tous les invités s’entendent sur la nécessité d’apprendre leurs droits aux nouveaux arrivants, certains expriment des réserves lorsqu’il s’agit de les inciter à se tourner vers des institutions et à porter plainte. En effet, n’est-ce pas là trop demander à des personnes déjà fragilisées d’entreprendre de telles démarches ? Pour illustrer son propos, Wideline partage les deux anecdotes suivantes avec le reste du groupe.

Un jour, son frère (un homme noir) et elle marchent rue Lapierre, à Montréal-Nord, quand un homme blanc, sans-abri, les approche avant de les insulter. « Sale n**** ! » lance-t-il au frère de Wideline. À sa grande surprise, son frère ne bronche pas. Il rit même, puis répond : «Moi, ça ? C’est toi qui me traites de n**** ? Moi, je ne suis pas ça. » La surprise est plus grande encore pour Wideline quand l’homme se ravise et présente ses excuses à son frère. « Ça, ça m’a marquée », précise-t-elle.

La seconde anecdote lui vient d’un ami. Celui-ci, un homme noir, se déplace en voiture avec une connaissance, un homme noir lui aussi. Il y a beaucoup de trafic sur la route. À un arrêt, le conducteur du véhicule voisin l’interpelle en lui lançant : « C’est quoi, ton problème ? », en référence à une manœuvre de dépassement. Puis, il ne tarde pas à le traiter, là encore, de « sale n**** ». Fâché, l’ami de Wideline sort aussitôt de sa voiture, suivi de son ami. La tension monte, un quatrième homme – qui accompagne le conducteur à l’origine de l’incident – sort lui aussi, et tous en viennent aux mains. « Et comme on est dans les temps modernes, des gens ont commencé à filmer… pour le même mot en N. Eh bien, une plainte a été déposée contre les deux hommes noirs. […] Même si ce sont ceux de l’autre voiture qui sont venus se battre, qu’ils ont frappé en premier, des vidéos ont été apportées, et mon ami a dû faire des travaux communautaires », raconte Wideline.

Quelle leçon faut-il tirer de ces deux histoires ? Selon Wideline, même lorsqu’on vit une injustice, il faut prendre un moment de recul, car, « quand on réagit sans réfléchir, il y a des conséquences graves ».

Elle poursuit : « Mon conseil, ce n’est pas de ne pas porter plainte, c’est de prendre un instant, de réfléchir, de ne pas s’attirer des problèmes. Parce que des hommes noirs, des femmes noires avec des dossiers criminels, ça aussi, c’est une balle de plus que vous avez dans vos pieds pour avancer dans le système. Donc, prenez un moment, quand vous vivez quelque chose. Ce que vous ressentez est légitime, mais prenez un moment et pensez plus loin. Qu’est-ce que je fais avec ce que j’ai ressenti : est-ce que je vais plus loin, je porte plainte ? Ou bien je parle avec mes amis et amies, on se change les idées, j’en parle avec une intervenante… Pensez à votre réaction. Parce que la suite est aussi importante que l’acte. […] On n’est pas impulsif. On sait qui on est aussi, comme mon frère. »

Dans le groupe de discussion, les esprits s’échauffent. Que faire, par exemple, lorsqu’on se voit refuser un logement sans motif valable ?

Un autre participant suggère une solution pour contourner le recours aux services juridiques à visage découvert : le CARI Saint-Laurent ou d’autres organismes ont-ils déjà pensé à mettre en place une plateforme qui recueillerait des dénonciations de manière anonyme tout en sensibilisant, de façon indirecte, toute personne qui commet des actes racistes ? Actuellement, un tel outil n’existe ni au CARI Saint-Laurent ni ailleurs.

« Dans ces situations-là, si ça se passe, je suggère d’en parler d’abord à vos conseillers en intégration. Nous, on connaît des ressources pour dénoncer ces incidents. Il y a des organisations d’aide au logement si la personne ne peut pas réagir ou agir elle-même […] », répond Faty. « Au besoin, ajoute-t-il, des organisations comme le CARI ou les comités de logement sont aussi en mesure de faire de la médiation entre locataires et propriétaires afin de trouver un terrain d’entente. »

Wideline émet une réserve : « La réalité, c’est que les gens ont très peu de moyens. Tu vis du racisme, on refuse de te louer un appartement parce que tu es Noir, tu vas voir le comité de logement qui s’arrange pour porter l’appel un peu plus loin… ce ne sont que de petites amendes que ces propriétaires vont payer, elles ne représentent rien pour eux. Ça, c’est la réalité, et les gens doivent être au courant. Il y a une question à se poser : est-ce que je vais me fatiguer à aller trouver un avocat pour poursuivre quelqu’un qui, à la fin, n’aura qu’une petite amende à payer ? Ou bien je passe à autre chose ? »

Les propos de l’intervenante de l’ICI Montréal-Nord provoquent des hochements de tête approbateurs. Cette dernière poursuit : « Très souvent, on va vivre un acte de racisme et il n’y aura pas de conséquences directes pour la personne qui a posé cet acte. »

Elle revient de nouveau sur la nécessité d’encaisser le coup, de se laisser le temps de ressentir la panoplie d’émotions qui peuvent surgir, peu importe ce qu’en disent les autres. « On peut ensuite décider d’agir sur la base de ce qu’on a ressenti : “Est-ce que je vais chercher à obtenir justice ? Est-ce que je vais entreprendre quelque chose ou alors, au contraire, je vais éviter cette situation ?” », énumère-t-elle.

Loin de fermer la porte à la possibilité de porter plainte, elle insiste sur la nécessité de s’accorder la priorité tout au long du processus : « Le plus important, c’est votre bien-être mental, physique, financier, spirituel – et il y a des combats, parfois, qui ne valent pas la peine d’être menés. Ça, ce ne sont pas des choses qu’on va vous dire. On va toujours vous encourager à porter plainte, mais pensez avant tout à votre bien-être. »

Deux approches différentes, mais complémentaires

Du côté des conseillers du CARI Saint-Laurent, on met en avant une approche plus intégrée dans la réponse à apporter à un acte raciste. À l’ICI Montréal-Nord, on fait davantage la promotion d’une approche réaliste. La première requiert des efforts supplémentaires et la volonté de vouloir à nouveau naviguer dans le système, tandis que la seconde se concentre sur le jeu des contraintes dans la réalité de chacun. Quoiqu’il existe une tension entre ces deux approches, elles sont complémentaires jusqu’à un certain point. Faire confiance à son expérience, et faire ce qui semble être bon pour soi, sans chercher à se compromettre inutilement, est une solution qui semble avoir convaincu les intervenants.

La conversation se conclut sur les mots de Wideline. « C’est vous qui pouvez décider, parce que c’est votre combat. Et c’est un combat qui va durer toute votre vie, malheureusement. Si on est là aujourd’hui, c’est qu’on aimerait mettre fin à ça pour nos enfants. Mais un jour à la fois. Pour le moment, acceptez ce que vous ressentez et ne le minimisez pas », conclut-elle fermement.


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