La lutte anti-raciste et décoloniale est sur toutes les lèvres. Depuis la mort de Georges Floyd, celle de Joyce Echaquan et la découverte de fosses communes dans les pensionnats autochtones, les gouvernements ne peuvent plus ignorer ces enjeux. Alors que les Canadiens sont appelés aux urnes le 20 septembre prochain, le racisme systémique et la réconciliation se hissent comme un enjeu électoral.
Au-delà des intentions, quelles mesures proposent les élus pour combattre ces enjeux qui touchent tant de Canadiens?
Quelques mesures contre le racisme systémique
Pour lutter contre le racisme systémique, les libéraux souhaitent financer davantage la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme, que le gouvernement sortant a mise en place en 2019 par l’investissement d'un montant de 45 M$. S’il est réélu, le parti Libéral propose d’y investir 93 M$ de plus entre 2022 et 2026. « Nous nous appuierons sur les progrès réalisés au cours des 6 dernières années et augmenterons les investissements dans les initiatives et programmes d'éducation contre le racisme dirigés par la communauté qui sont essentiels à la lutte contre la haine et le racisme au sein des communautés locales, » indique le parti. Le parti Libéral propose aussi un investissement de 50 M$ sur 5 ans pour soutenir les médias dirigé par des personnes racisées, 200 M$ pour les organismes dirigés par des Noirs et 30 M$ pour soutenir les chercheurs noirs.
Le NPD souhaite mettre de l’avant la collecte de données fondées sur l'ethnie pour améliorer la vie de communautés racisées, notamment en matière de santé, d’emploi, d’intervention policière. Le parti souhaite se pencher sur la discrimination en matière d’emploi fondée sur l’origine ethnique, et souhaite combler l’inéquité salariale qui en découle à l’aide de lois. On parle également d'assurer une embauche diversifiée équitable dans la fonction publique.Le Parti vert est le seul parti fédéral qui veut mettre en œuvre les recommandations du rapport du Groupe d'experts sur les personnes d'ascendance africaine des Nations Unies sur sa mission au Canada. Ils ont signifié leur intention d’éradiquer la discrimination systémique dans la fonction publique fédérale et les institutions publiques, dans les forces de l’ordre et les services aux immigrants et réfugiés.
Sans faire jamais mention de racisme systémique, le Bloc Québécois souhaite avoir recours aux curriculum vitae anonymes au sein de sa fonction publique afin de lutter contre la discrimination à l’embauche.
Rien dans la plateforme électorale des conservateurs ne mentionne le racisme.
Violence policière et carcérale
La GRC est dans la mire des partis alors que les libéraux, les néo-démocrates, et les verts citent la discrimination que subissent disproportionnellement les Noirs et les Autochtones aux mains du service de police. Le gouvernement sortant souhaite amorcer une réforme par laquelle l’usage de la force, la formation des agents, l'intervention des travailleurs sociaux et communautaires, les sanctions disciplinaires et le traitement des plaintes seront réexaminés. Pour sa part, le NPD s'engage à mettre fin à la violence policière et aux contrôles d'identité.
Ils souhaitent revoir le budget alloué à la GRC, leur formation et les techniques de recours à la force, les investissements seraient dirigés vers les interventions non policières, tels que les services de soutien en santé mentale et en toxicomanie. Le parti veut s’attaquer à la surreprésentation des personnes noires et autochtones dans le système carcéral. Ils promettent de travailler de concert avec les communautés autochtones pour revoir le système de justice pénale et mettre en place une Stratégie afro-canadienne en matière de justice.
Des réformes seront également mises en place pour mettre fin à la discrimination systémique contre les Autochtones dans le système judiciaire, avec des réformes législatives et le financement de programmes de justice communautaire de guérison et justice réparatrice.
Les verts veulent revoir et limiter le rôle de la GRC ainsi que son financement. Le parti incite au désinvestissement des services pour lesquels la police n'est pas adaptée, et veut mettre fin aux contrôles de police dans la rue, de la vérification d'identité, des arrestations et des détentions arbitraires. Le parti appelle à la décolonisation, décriminalisation et désincarcération en renforçant les lois à cet égard. Ils demandent une réforme de la justice pénale et revoir le système carcéral, où les citoyens autochtones et noirs sont surreprésentés, pour élaborer un modèle de justice réparatrice. Ces enjeux ne sont pas mentionnés dans la plateforme électorale des conservateurs et du Bloc québécois.
Lutte contre la haine
Concernant la lutte contre la haine, le Bloc québécois et le parti Conservateur n’ont pas de plan à cet égard. La plateforme des Verts, qui n’est pas chiffrée, comporte un plan de lutte contre la haine fondée sur l'Identité. Ils souhaitent ainsi condamner les idéologies extrémistes encourageant la violence et financer la collecte de données sur la propagation de la haine, et soutenir les groupes de recherche et de défense des droits qui cherchent à lutter contre la haine en ligne et les incidents hors ligne. De son côté, le NPD propose également un plan d’action pancanadien visant à démanteler les organisations d’extrême droite et de mettre sur pied un groupe de travail pour lutter contre la haine en ligne. Le parti veut établir des normes pour répertorier les crimes haineux ainsi que leur traitement judiciaire. On propose aussi de créer un groupe de travail pour lutter contre la haine en ligne ainsi que plus de ressources en santé mentale pour les victimes de crimes haineux. «Les pouvoirs du CRTC pourraient d’ailleurs être renforcés pour lutter activement contre ce phénomène nocif» nous indiquent les néo-démocrates par courriel.
Seul le parti Libéral s’avance avec le Plan d’action national de lutte contre la haine, qui sera mis en place d’ici 2022. On indique que ce plan comprendra des recommandations issues du Sommet contre l’Islamophobie et du Sommet contre l’antisémitisme. Au Sommet sur l’Islamophobie, une recommandation demandait de créer un fond pour les personnes ayant perdu leur emploi à cause de la loi 21. Questionné à cet effet en conférence de presse, Justin Trudeau n’a pas indiqué s’il appliquera cette recommandation. Le programme des libéraux prévoit également des mesures pour lutter contre les crimes motivés par la haine au Canada, et fait mention de modifications possibles au Code criminel, de formation pour les organismes de la sécurité publique et de prévention à la radicalisation menant à la violence. 10 M$ seraient également investis dans un Fonds national de soutien aux survivants de crimes motivés par la haine. « Je crois que toutes les plateformes ont des lacunes », croit Sanaa Ali-Mohammed, qui a pris part au lors Sommet sur l'Islamophobie tenu en juillet dernier. Elle déplore surtout le fait que le problème a été relégué au niveau de discrimination interpersonnelle, et non stucturelle.
« Elle est omniprésente dans la plupart des institutions de la société canadienne », estime la chercheuse de l’Institut sur la diversité. « L'une des façons dont nous voyons l'islamophobie se manifester de manière vraiment efficace est en fait dans l'emploi et l'éducation, où elle a un impact significatif sur la capacité des gens à gagner un revenu et à accéder au progrès socio-économique et au bien-être, mais cela n'est reconnu explicitement nulle part », souligne Mme Ali-Mohammed.
La réconciliation comme promesse électorale
Les libéraux, le NPD et les verts ont des stratégies en termes de justice pour les communautés racisées. Ces partis, de même que le Bloc Québécois et les conservateurs, présentent un volet portant sur réconciliation avec les peuples autochtones.
Sipi Flamand, vice-chef des Atikamekw de Manawan. Malgré tout, le cinéaste souhaite qu’on aille au-delà de la prise de conscience. « Le gouvernement fédéral a reconnu le racisme systémique, mais je crois qu’ils doivent aller beaucoup plus loin pour que la reconnaissance ne soit pas seulement en apparence, mais qu’il y ait des actions concrètes qui soient posées, ajoute-t-il. Aux élections fédérales de 2015, le Parti libéral du Canada abordait la réconciliation avec les peuples autochtones. « Ce fût un autre moment de bon augure pour les communautés autochtones. Selon mon analyse, le Parti libéral n’a pas atteint ses objectifs », croit M. Flamand, six ans plus tard. Il dénonce notamment les délais dans le traitement de l’eau potable, où 50 avis tardent encore à être levés dans les communautés québécoises. Tous les partis ont indiqué vouloir poursuivre leurs efforts pour rétablir l’accès à l’eau potable le plus rapidement possible.
Principe de Joyce: la sonnette d’alarme en santé et en droits Sipi Flamand souligne au passage les efforts menés avec le projet de loi sur la santé des peuples autochtones, ainsi que les discussions sur le Principe de Joyce, un mémoire déposé par le Conseil des Atikamekw de Manawan et le Conseil de la Nation atikamekw qui défend les droits des Autochtones au Québec et au Canada en matière de santé et de services sociaux. Ce principe exige que tous les peuples autochtones aient un droit égal aux meilleurs soins de santé physique et mentale possible, incluant un droit d’accès aux médecines traditionnelles.
Dans son programme, le Parti libéral indique vouloir appliquer intégralement le Principe de Joyce et vouloir légiférer pour favoriser des systèmes de santé sans racisme et discrimination. « Jagmeet Singh compte mettre en place le Principe de Joyce dès les premiers jours de son gouvernement. », nous indique l’attachée de presse du NPD, Nina Amrov. Le parti souhaite en faire « fondement d’une nouvelle approche pour lutter contre le racisme systémique en santé ». Questionné à cet effet, le Bloc Québécois indique que soutenir les recommandations du mémoire, sans indiquer qu'ils appliqueraient le principe.
Le parti Vert ne mentionne pas le Principe de Joyce dans sa plateforme. «Le parti Vert est pour l’application du Principe de Joyce, du droit à l'autodétermination des peuples» nous indique le porte-parole francophone du parti, Clément Badra. Les consevateurs n'abordent pas le principe de Joyce dans leur plateformes et ont n'ont pas répondu à nos questions à ce sujet.
Le vice-chef atikamekw souhaite que les changements aient tout autant lieu ailleurs qu’en santé. Selon lui, un bon point de départ est le projet de loi C-15 déposé par le gouvernement libéral sortant, qui vise à harmoniser les lois canadiennes avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). « Je pense qu’avec cette loi, on peut commencer à amener des changements au niveau des politiques et des relations administratives», explique M. Flamand. Le Parti libéral, le Parti vert et le NPD s’engagent à mettre en œuvre la DNUDPA en travaillant conjointement avec les communautés autochtones. Le Bloc Québécois veillera à ce qu’elle soit mise en œuvre dans ses juridictions, et les conservateurs parlent seulement de respecter les droits autochtones liés aux avantages économiques découlant l’exploitation de leurs territoires, tel que stipulé par la DNUDPA. La prochaine étape, selon le vice-chef ? Les dossiers qui concernent les territoires et la reconnaissance par rapport aux droits ancestraux, un enjeu qui touche l’ensemble des peuples autochtones.
« Il faut que le gouvernement du Canada crée une commission sur les traités et les négociations globales et particulières avec les peuples autochtones », dit-il. Pour l’instant, seul le Parti vert a fait part d’une volonté d’honorer les traités et les revendications territoriales et de créer une loi à cet égard. Par ailleurs, M. Flamand espère que les promesses électorales puissent se réaliser, et que le gouvernement au pouvoir manifeste la volonté de s’entendre et de développer des relations avec les communautés autochtones une fois élu. « Les peuples autochtones se sont mobilisés pour aller aux urnes, notamment, plusieurs jeunes. Cela implique que les autochtones s’intéressent à la politique, mais qu’ils veulent avoir leur juste part dans la politique canadienne. »
Pensionnats autochtones
Le Nouveau Parti démocratique prévoit un financement pour la recherche de lieux de sépulture des anciens pensionnats. Leur budget propose10M$ qui seront alloués la Fondation pour la guérison des Autochtones, mais ne mentionne aucun fonds spécifique dédié à la recherche de lieux de sépulture. Leur plateforme fait aussi mention de la nomination d’un procureur spécial pour poursuivre judiciairement les responsables des préjudices et la couverture des coûts pour des solutions communautaires de guérison.
Le Bloc québécois veut mettre en place les mesures nécessaires pour accéder aux archives des églises, et assurer un financement des programmes afin d’assurer la guérison des victimes, notamment, le Programme de soutien en santé.
Le Parti libéral présente dans sa plateforme un investissement de 598 M$ pour instaurer une stratégie visant les Premières Nations et leur santé mentale ainsi que leur bien-être. Un financement supplémentaire de 83 M$ serait accordé à la localisation des sépultures permettant aux communautés d’origine d’enterrer les leurs et de procéder aux cérémonies nécessaires. Le parti propose la création du Centre national pour la vérité et la réconciliation et s’engage à fournir 100 M$ pour des initiatives communautaires qui visent à transformer les anciens pensionnats en sites commémoratifs. En l’honneur des survivants, les libéraux proposent d’ériger un monument national à Ottawa.
Le Parti conservateur souhaite également ériger un monument national à Ottawa. Par ailleurs, leur plateforme propose aussi l’élaboration d’un plan qui permettrait l’exécution des appels à l’action 71 à 76 de la Commission de vérité et réconciliation de la section Enfants disparus et renseignements sur l’inhumation. Ces appels consistent notamment à financer le Centre national pour la vérité et la réconciliation, d’informer les familles touchées de l’emplacement de leurs enfants, et de développer des stratégies de maintien des cimetières autochtones. Les conservateurs parlent de financer une enquête sur les pensionnats autochtones du Canada et de déployer des ressources et d’honorer les personnes découvertes durant l’enquête.
Le Parti vert parle de financer les centres de guérison autochtones pour remédier aux traumatismes causés par les pensionnats, de reconnaissance et d’excuses, sans mentionner de fouilles.
Femmes autochtones disparues et assassinées
Le Nouveau parti démocratique propose un plan exhaustif pour lutter contre la violence faite aux femmes, filles et personnes LGBTQL2S+ autochtones. Ce plan mentionne des ressources telles qu'un accès à des programmes, des maisons d’hébergement, et des logements de transition qui sont adaptés aux réalités culturelles des femmes, filles, et personnes LGBTQL2S+ autochtones. Quant à lui, le Parti vert prévoit mettre en œuvre tous les appels à la justice et toutes les recommandations du rapport final de la Commission d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. De plus, il prévoit soutenir les recommandations de la Commission de la vérité et réconciliation sur les femmes autochtones disparues et assassinées (FADA).
Le Parti conservateur prévoit élaborer, en collaboration avec des groupes autochtones, un Plan d’action national pour contrer la violence envers les femmes et les filles autochtones.
Le Parti libéral prévoit publier la Voie fédérale de lutte contre la violence à l’égard des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées, la contribution du gouvernement du Canada au Plan d’action national. Le parti s’engage aussi à créer une table fédérale-provinciale-territoriale permanente sur les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées afin de faciliter et de coordonner ces travaux et parle d'accélérer les travaux proposés dans le Plan d’action national de 2021 qui porte sur ces enjeux.
Le Bloc Québécois ne prévoit aucune mesure à cet égard.
Loi sur les Indiens
Le Parti vert s’engage à établir un processus de transition mené par les dirigeants autochtones pour établir un processus de transition qui abrogerait l’actuelle Loi sur les Indiens qui s'appuie sur la doctrine du consentement libre, préalable et éclairé.
Le Parti libéral abonde aussi en ce sens en s’engageant à continuer de soutenir les processus dirigés par les peuples autochtones qui visent à abandonner cette loi. Quant à lui, le Bloc québécois va plus loin et s’engage à rendre inopérante cette loi en veillant à ce que le gouvernement fédéral applique intégralement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).
Le Nouveau parti démocratique prévoit assurer la pleine égalité des genres en conférant aux femmes autochtones et à leurs enfants le droit d’inscription au Registre des Indiens, ce qui n’est pas présentement chose possible.
Le Parti conservateur ne fait aucune mention de cet enjeu sur sa plateforme.