Les défenseurs des terres autochtones à la COP15
Nii Lax Aks, aussi appelé Denzel Sutherland-Wilson, est Gitxsan. Il a fait partie du groupe de jeunes autochtones de la côte ouest qui se sont rendus à la 15e Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), qui s’est tenue du 7 au 19 décembre 2022 à Montréal.
Ces jeunes sont allés témoigner de leurs actions en faveur de la réoccupation des territoires et de la façon dont la souveraineté autochtone protège la biodiversité. En prévision de ce voyage, Nii Lax Aks s’est préparé en ramassant du cèdre dans la forêt pour confectionner des bâtons de fumigation. Aya Clappis, qui est d’origine somalienne et Huu-ay-aht, a également fait partie du groupe à titre de panéliste. « Je suis ici parce que là d’où je viens, les terres et les eaux sont menacées par l’industrie et les gouvernements », déclare Aya.
L’accord final de la COP15 comporte un objectif de protection de 30 % des terres, des eaux et des zones marines de la planète d’ici 2030. C’est l’objectif en faveur duquel les scientifiques menaient campagne et qui constitue le seuil minimum pour enrayer la perte de biodiversité mondiale et protéger la capacité de la Terre à abriter une vie complexe. « Lorsque les gouvernements parlent de conserver 30 % des terres, en réalité, ils se donnent la permission de continuer à se servir du reste », croit plutôt Nii Lax Aks .
Un partage
En écoutant ces jeunes défenseurs des terres, il faut saisir le sens qu’ils donnent au mot « terre ». Nii Lax Aks, qui est Gitxsan, est plus enclin à utiliser le mot « Lax’yip ». Lax’yip ne désigne pas quelque chose qu’un individu peut posséder. « C’est une chose qui est partagée entre nous tous, y compris avec les autres espèces et avec ceux qui viennent avant nous et après nous », explique-t-il. Voilà qui est bien différent de la vision capitaliste, qui veut que la terre soit un objet inanimé que les humains doivent contrôler.
Parallèlement, la biodiversité est considérée comme un aspect indissociable de la vie, et de nous-mêmes, comme le précise Willo Prince, qui est Nak’azdli Whut’en. « Nous ne pouvons pas en parler comme si nous en étions séparés, car c’est dans cette séparation et cette distinction que résident tous ces problèmes. La colonisation réside dans cette séparation, le capitalisme se situe dans cette distinction », déclare Willo.
Dans le processus d’assimilation, Nii Lax Aks dénonce « l’effacement de notre propre gouvernance et de nos philosophies ». « Il y a beaucoup de leaders autochtones qui considèrent aussi que la terre doit être contrôlée et exploitée », ajoute-t-il. Cette croyance débouche sur l’idée que les ressources doivent être extraites, exploitées, pour que notre présence ou notre relation avec la terre soit valable. Cette conception des choses a joué un rôle central dans l’affaire Delgamuukw c. la Colombie-Britannique, survenue il y a 25 ans. « La décision rendue dans cette affaire ne reconnaissait qu’à moitié notre appartenance à notre Lax’yip, et non la façon dont l’industrie opère sur la terre », rappelle Nii Lax Aks.
Le jeune homme pense à son grand-père, qui exploitait de manière sélective les arbres en utilisant des chevaux. Aujourd’hui, en marchant dans la forêt, il voit les souches moussues qui sont toujours là, au milieu d’une magnifique forêt, saine et diversifiée, où ses ancêtres ont exploité des arbres pendant des milliers d’années.
La vérité
Les défenseurs des terres ont été conviés à participer aux échanges lors de la COP15. Mais quelle est la portée de cette participation ?
« Notre inclusion a été limitée », expose Nii Lax Aks. Il évoque des salles d’une capacité de 25 à 30 personnes. « On nous a donné la moitié du temps et la moitié de la capacité des autres. Pendant ce temps-là, tout le monde affirme que nous avons besoin d’un leadership autochtone, d’un savoir autochtone et de solutions autochtones à ces problèmes. »
Willo Prince abonde dans le même sens : « C’est vrai. Mais ce n’est pas toute la vérité. Nous ne pouvons nous contenter de nous faire arracher nos visions du monde et nos enseignements, sans que cela s’accompagne de la fin de la violence coloniale sur nos terres. Ce n’est qu’une autre forme d’extraction. C’est une autre forme de blanchiment. C’est une autre forme d’effacement. »
Pour Willo, il est impératif d’aborder les thèmes suivants : « La violence coloniale et la vision du monde des autochtones dans la lutte contre les changements climatiques. » Sans quoi, il y aura des conséquences, poursuit Willo : « Les gouvernements de cet État fédéral pourraient éviter de rendre des comptes. »
« Réfléchissez un instant à ce à quoi ressembleraient les forêts aujourd’hui si des relations réciproques guidaient l’exploitation. La capacité des nations autochtones à bien gérer leurs forêts a été entravée par le Canada, qui tente activement de détruire la pensée et la spiritualité autochtones », poursuit Nii Lax Aks.
« C’est en se disant la vérité que l’on acquiert une plus grande conscience, et c’est ainsi que l’on parvient à l’acceptation, croit Willo Prince. Il s’agit de l’acceptation de tout ce qui a pu avoir lieu, mais aussi de ce qui pourrait être. Et c’est seulement avec une telle prise de conscience que nous sommes capables de rêver, d’espérer et d’envisager. »
Nous jurons sur la vie de ceux qui ne sont pas encore nés
que nous créons pour eux un monde meilleur que celui-ci.
Une parcelle de ce monde existe en chacun de nous,
et c’est ainsi que je sais que c’est possible.
– Extrait de What I Know to Be True Is This (Voilà ce que je sais être vrai), par Aya Clappis
De l’espoir
La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) a été perçue comme un signe prometteur « sur la voie » de la réconciliation, des compensations et de la justice. Nii Lax Aks met en garde contre tout « instrument de faux espoir » employé pour entretenir la complaisance des gens. « L’idée que ces droits proviennent d’un forum international, plutôt que de nos responsabilités, de nos ancêtres, de notre connexion et de notre intuition, peut potentiellement être nuisible, ou paralysante », laisse-t-il tomber.
Pour sa part, Aya Clappis n’attend pas que le Canada lui accorde des droits pour vivre avec et sur ses terres et eaux ancestrales. « Mes droits de naissance découlent de milliers d’années à prendre soin de notre haouthli et à assumer nos responsabilités envers tout ce qui s’y trouve », déclare Aya. « Haouthli » se traduit par les terres et les eaux auxquelles les huuas (peuples autochtones) appartiennent – et renvoie donc à un concept plus vaste que celui de territoire.
« Depuis combien de temps nous donnent-ils un peu d’espoir ? » demande Nii Lax Aks. « J’ai l’impression que, lorsqu’ils sentent que la terre leur échappe, ils nous donnent une lueur d’espoir, dit-il. Il est tout à fait compréhensible que les gens se tournent vers la DNUDPA pour obtenir une protection, en raison de toute la violence et de la criminalisation à laquelle nous avons été confrontés. Mais je ne le constate pas sur le terrain. Nous sommes sur les lignes de front, là où la DNUDPA devrait agir, pour susciter un changement. »
Nii Lax Aks s’est lui-même retrouvé dans des situations où la GRC n’en aurait pas tenu compte. « Des policiers m’ont crié : “La DNUDPA n’est pas la loi !” Puis, ils ont procédé à l’arrestation et à l’expulsion d’autochtones de leurs terres », témoigne-t-il.
Témoins de la grande réunion des nations et des entreprises à la COP15, les défenseurs des terres étaient également là pour perturber le statu quo. Lorsque le premier ministre Justin Trudeau a évoqué « nos belles terres », les jeunes autochtones ont répondu en jouant du tambour. Ils ont pu quitter les lieux librement et, comme le fait remarquer Nii Lax Aks, la sécurité de l’ONU a évité de réagir par la force. « Ils ne le feraient pas devant le monde entier », croit-il.
Une fois sortis de la salle, les participants ont été pourchassés par la sécurité. Ils ont de nouveau répliqué avec leurs tambours, avant de trouver la sortie. Nii Lax Aks indique que, peu après que M. Trudeau eut invoqué la liberté d’expression au Canada, le groupe a été encerclé par la GRC. Ils n’ont pas été arrêtés, mais « détenus à fins d’enquête ».
Un agent a porté la main vers son arme en demandant : « Qu’est-ce que tu as dans la main ? Qu’est-ce qu’il y a dans ta main ? » « C’est du cèdre », a répondu Nii Lax Aks, qui tenait son bâton de fumigation.
Il raconte que les membres du groupe ont continué à jouer du tambour, tout en se dirigeant lentement vers l’endroit où ils logeaient. Une fois sur place, des amis leur ont ouvert la porte, et ils se sont faufilés à l’intérieur, loin de la GRC.
La voie à suivre
Nii Lax Aks tire du réconfort de son rapport avec Lax’yip, qui est vaste, abondant et capable de guérir. « Nos ancêtres ont développé toutes sortes de connaissances sur les animaux, les plantes, les minéraux et les autres forces naturelles qui les nourrissaient. Ces connaissances sont nécessaires pour vivre en équilibre avec la terre. Elles peuvent accroître l’abondance et pourraient être le catalyseur d’un profond changement », explique-t-il.
« Pour aller de l’avant, il ne s’agit pas de repousser la responsabilité vers l’avenir, mais de l’assumer dans le présent, et de comprendre que nous sommes d’abord et avant tout responsables devant la loi autochtone, qui est la loi naturelle », déclare Aya Clappis.
Lorsque les défenseurs de la terre parlent d’occuper à nouveau la terre, de reprendre le rôle de nos ancêtres et d’en assurer la gestion, ils veulent dire qu’il faut la gérer de manière à favoriser l’abondance alimentaire pour les humains et les autres animaux grâce à des relations équilibrées. « Pour avoir de bonnes relations avec le reste du monde, il faut avoir une bonne relation avec la terre et en faire partie intégrante », avance Nii Lax Aks.
Revenant sur le concept de Lax’yip – un lieu où différents mondes composés de différents peuples et espèces coexistent et se nourrissent les uns des autres –, Nii Lax Aks déclare ce qui suit : « Notre savoir ancestral considère que les animaux ont leurs propres sociétés, leurs propres lois et leur propre conscience. Ces lois nous ont été enseignées à un moment donné. Il y a beaucoup de gens dans notre communauté qui croient encore à ces connaissances, qui les possèdent et qui les utilisent lorsqu’ils sont sur le territoire. »
« Aujourd’hui, nous sommes à un point où j’entends le monde entier dire que c’est de cela que nous avons besoin. La question est de savoir si cela sera respecté », interroge Nii Lax Aks. « Mais dans quelle mesure cet appel à l’action est-il sincère ? » demande-t-il en guise de conclusion.
Cet article est paru en anglais dans le Watershed Sentinel.