Le père Noël était noir à la fête organisée par Mkali Moments à Montréal le 16 décembre 2023. Il était personnifié par Soney pour l’occasion. (Photo: Loubna Chlaikhy)
Et si le père Noël était noir ? Asiatique ? Arabe ? Latino ? Lorsqu’on pense au célèbre habitant du pôle Nord, l’image d’un homme blanc et bedonnant, vêtu de rouge et portant une barbe tout aussi blanche que lui, nous vient immédiatement à l’esprit. Pourtant, les enfants auxquels il apporte des cadeaux par milliers chaque année ne sont pas tous caucasiens, loin de là. À Montréal, quelques rares initiatives tentent de mettre davantage de diversité dans la magie de Noël.
« Ho ho ho ! » Dès l’entrée du père Noël à la fête organisée par l’entreprise événementielle Mkali Moments le 16 décembre dernier, les cris de joie des enfants retentissent dans la salle. Une scène qui se répète dans tous les marchés de Noël et centres commerciaux en cette période des Fêtes de fin d’année. Une différence attire cependant l’attention : le père Noël est noir. Un choix rare que l’organisatrice de l’événement revendique.
Un Noël en couleur
« Quand j’ai créé mon entreprise, il y a trois ans, j’ai voulu organiser une fête de Noël pour les enfants. Comme je n’avais jamais vu de père Noël noir en grandissant, je me suis dit que ce serait bien. En tant qu’adulte, j’ai réalisé que je n’avais jamais vu de père Noël qui me ressemble », se souvient Jacqueline Dzandu, Québécoise d’origine ghanéenne. Au-delà de la couleur de la peau, il s’agit pour elle d’offrir aux enfants une autre représentation de ce personnage qu’ils affectionnent tant.
« Au début, je pensais avoir un public plutôt communautaire, mais on voit bien qu’il y a des familles de tous les horizons qui viennent partager ce moment de convivialité », se réjouit-elle. Plus de 150 personnes sont en effet venues profiter des animations pour enfants (atelier de maquillage, jeux, visite de la Reine des neiges…) ainsi que du marché d’entrepreneurs locaux.
Rien, dans l’invitation diffusée par Mkali Moments, n’indiquait que le père Noël serait différent, si ce n’est un discret émoji à la peau d’ébène. Certains parents, d’abord surpris, ont vite salué l’initiative.
Des enfants indifférents
« L’innocence est la meilleure défense de l’enfant », écrivait Lao She dans Un fils tombé du ciel, en 1934. Entre l’innocence et l’aura aveuglante de ce personnage mythique à la barbe blanche, aucun enfant ne semble perturbé par la couleur de la peau de son idole. « C’est vraiment cool, je n’avais jamais vu ça, et ma fille n’a strictement rien dit, assure Misha, musicienne australienne et exposante de l’événement. Je pense qu’elle ne voit pas la différence de couleur et j’en suis très heureuse. »
Un constat largement partagé. « Je n’avais jamais vu cela. Je pense que l’idée que le père Noël est blanc est perpétuée depuis des décennies, sans même qu’on se pose la question ; alors que nous ne sommes pas tous blancs. Mes enfants sont heureux, tout ce qu’ils voient c’est le père Noël ! D’ailleurs, c’est drôle parce que, si vous regardez bien les motifs de la tenue de mes enfants, ce sont des têtes de père Noël noir », s’amuse Tracey, une Autochtone montréalaise. Sur les genoux du papa Noël, ses garçons de trois ans et six mois sourient pour la photo.
« J’ai été surprise, mais vraiment contente ! Les enfants n’ont vu aucune différence, j’ai adoré leur réaction. Il faut que les gens soient conscients que les humains sont tous les mêmes, et ça commence dès le plus jeune âge », estime Sherley, fondatrice de Shey Accessoires, qui expose ses bijoux.
Les uns après les autres, les bambins énumèrent au père Noël les cadeaux qu’ils espèrent retrouver sous le sapin au matin du 25 décembre. Certains sont tellement émus qu’ils sautent partout et ont du mal à contenir leur excitation. Il suffit de leur demander comment ils trouvent ce père Noël pour comprendre que la question ethnique ne les effleure pas : « Il est trop beau ! »
Pourtant, le pari était loin d’être gagné pour Mkali Moments. À commencer par la difficile quête d’un père Noël noir.
Une offre inexistante
La diversité est à ce point rare dans la confrérie des pères Noël que le simple fait d’en chercher un qui soit noir revient à fouiller dans une botte de foin pour y trouver une aiguille. L’Agence des Pères Noël professionnels du Québec, située à Repentigny, ne propose pas ce type de profil. « Ce n’est pas une demande qui vient de la part des centres commerciaux que nous desservons », se justifie-t-elle de manière pragmatique. Pas de demande, donc pas d’offre. Mais l’offre ne crée-t-elle pas souvent la demande ? Chaque année, Mkali Moments doit composer avec cette réalité.
« Quand j’ai commencé, il y a trois ans, je ne savais pas vraiment où trouver un père Noël noir, confie l’organisatrice de l’événement en riant. J’en ai parlé autour de moi, et une connaissance m’a donné le nom de quelqu’un. La deuxième année, cette personne n’était pas disponible ; donc, j’ai acheté un beau costume et un proche s’en est chargé. Cette année, j’avais trouvé quelqu’un, mais quand j’ai repris contact avec lui, il y a quelques semaines, je n’ai eu aucune réponse. » Une fois de plus, Jacqueline Dzandu a dû se résoudre à demander l’aide de ses proches. C’est finalement son beau-père qui a accepté d’enfiler le costume rouge.
La fondatrice de Mkali Moments, Jacqueline Dzandu, aux côtés de son beau-père, Soney, alias le père Noël. (Photo: Loubna Chlaikhy)
« J’adore le concept du père Noël noir, donc je n’ai pas hésité à le faire pour elle. Tout ce qui touche à Noël ne peut pas être blanc ! » s’exclame celui qui s’appelle Soney dans la vie civile. Il a 57 ans et est arrivé du Ghana il y a quatre ans. Il travaille à la maintenance dans un CIUSSS, le temps d’obtenir la difficile reconnaissance de son diplôme d’opticien-lunetier.
En attendant, Soney se réjouit d’offrir une représentation colorée du père Noël aux enfants. « C’est la première fois que je le fais ; je ne savais pas à quoi m’attendre, mais les enfants sont tellement heureux que je pourrais le refaire tous les ans. Il y a un petit garçon qui était tellement excité de voir le père Noël qu’il est passé devant tout le monde pour me faire un câlin – je pense que c’est incroyable. Les choses n’arrivent pas par magie, il faut les provoquer », confie-t-il.
S’il est difficile de battre en brèche le cliché selon lequel le père Noël est un homme blanc, plonger dans les origines historiques de cette figure emblématique permet de briser ces préjugés. Et si le père Noël était vraiment noir ?
L’ancêtre du père Noël n’était pas blanc
À l’origine, Noël est une fête païenne de l’Empire romain qui marque le solstice d’hiver, le 21 décembre. On célèbre le retour de la lumière avec l’allongement des jours et la renaissance de la nature. « À partir du moment où le christianisme devient religion d’État, en 313 avec l’empereur Constantin, l’Église cherche une date pour symboliser la naissance de Jésus, dont on ne connaît pas la date réelle. Elle choisit cette période, où l’on célébrait déjà la lumière, pour symboliser la lumière du monde et le premier grand mystère de la naissance de Jésus », explique Catherine Foisy, professeure d’histoire socio-religieuse à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Quant au mythe du père Noël, son apparition bien plus tardive est liée à un personnage historique. « Le personnage du père Noël a été établi à partir de l’histoire plus ou moins mythique de saint Nicolas, évêque de Myre au IVe siècle après Jésus-Christ. On raconte qu’il a ressuscité des enfants découpés par un boucher et qu’il distribuait des cadeaux aux enfants chaque année. Il ne devait certainement pas être blanc, car il est originaire de la région de Lycie, qui se trouve dans l’actuelle Turquie. Il devait donc être beaucoup plus basané que la représentation qui en est faite aujourd’hui. Il faut noter que tous les personnages de l’iconographie religieuse sont représentés comme étant des Blancs, à commencer par le Christ lui-même, dont la représentation occidentale ne correspond pas à ce que les avancées scientifiques nous ont permis de découvrir », assure l’historienne. Une appropriation culturelle qui perdure aujourd’hui.
Plus tard, la tradition de saint Nicolas s’est implantée en Europe avant de traverser l’océan. « Il était très fêté aux Pays-Bas. Ce sont les immigrants hollandais qui ont fait connaître de ce côté-ci de l’Atlantique celui qu’ils nommaient Sinterklaas – qui deviendra Santa Claus aux États-Unis au XVIIIe siècle. C’est ensuite le caricaturiste Thomas Nast qui, en 1845, a donné pour la première fois ses traits au père Noël, avec sa barbe, son lieu de résidence au pôle Nord, ses listes d’enfants sages… » indique Pierre Lahoud, co-auteur de Noël et ses traditions au Québec.
Finalement, le capitalisme a repris cette image à des fins de marketing, créant la fête commerciale que l’on connaît aujourd’hui. « On parle souvent de Coca-Cola, mais ils n’ont pas créé le père Noël, ils l’ont publicisé. L’idée d’un père Noël blanc a été perpétuée, car l’Église occidentale était blanche à l’époque et voulait des symboles qui parlent au peuple, même s’il y a de bonnes chances que saint Nicolas ait été basané. Mais je pense que cette fête est en train de redevenir païenne et que, d’ici quelques années, on aura une diversité beaucoup plus grande dans l’iconographie de Noël », affirme-t-il. Un pronostic qui reste à confirmer.
L’ancêtre du père Noël n’avait pas la couleur des neiges éternelles. D’ailleurs, le père Noël prend les traits de ceux qui le célèbrent. En Inde, par exemple, Christmas Baba a la peau brune. « Je suis née ici, c’est ma culture. Mais Montréal est une ville multiculturelle ; donc, je pense simplement que c’est bien que cette diversité se voie également à Noël », estime Jacqueline Dzandu.