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Un programme de régularisation serait une « bonne chose », selon des experts entendus par Ottawa
Des manifestations sont organisées de manière ponctuelle pour rappeler aux responsables politiques la promesse d'un programme de régularisation des travailleurs sans papiers.
5/3/2024

Un programme de régularisation serait une « bonne chose », selon des experts entendus par Ottawa

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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COURRIEL
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Note de transparence

Des responsables du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada (IRCC) ont entendu des experts en vue d’un éventuel programme de régularisation de masse des personnes sans statut. Dans un document obtenu grâce à la Loi sur l’accès à l’information, on peut lire que la population des personnes sans statut est difficile à évaluer et qu’un programme de régularisation exclurait forcément un certain nombre d’entre elles. Deux ans après cette rencontre virtuelle, des groupes de défense des droits des migrants sans statut attendent l’annonce de la politique fédérale ce printemps.

Une vingtaine de personnes se massent devant le bureau de circonscription du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada, Marc Miller, élu à Montréal. Des banderoles sont déployées ; on y lit des slogans, dont la phrase « Régularisation pour toutes et tous sans exception », écrite sur un tissu vert lime. Ces slogans sont répétés à quelques reprises par les gens présents, qui se sont déplacés pour faire pression sur les ministres libéraux.

Ce type de manifestation est récurrent depuis quelques années et s’intensifie de temps à autre. La semaine du 20 février, des groupes de partout au Canada ont voulu rappeler au gouvernement fédéral sa promesse de mettre en œuvre un programme de régularisation des travailleurs sans statut.

Mamadou Konaté fait partie des manifestants présents ce jour-là devant les bureaux de Marc Miller. Son visage et son nom sont familiers au Québec puisqu’il est l’un des « anges gardiens » qui travaillaient comme agent d’entretien durant la pandémie et étaient considérés comme des travailleurs essentiels. Menacé de déportation à plusieurs reprises, l’Ivoirien, qui est un demandeur d’asile débouté, continue d’espérer un programme qui lui permettra de rester au Canada.

Connu lors de la pandémie, Mamadou Konaté est un travailleur sans papier qui a fait face à la déportation à plusieurs reprises. Il déplore que des amis et camarades aient été déportés. Photo: Anaïs Elboujdaïni

« Nous allons tout le temps continuer à manifester, parce que le gouvernement a promis, et une promesse, c’est une dette », philosophe-t-il.

« Il y a 500 000 personnes qui travaillent pour le système, mais qui ne bénéficient pas de protections », déplore Mamadou, qui connaît beaucoup de personnes sans statut qui ont été déportées. Un programme comme celui qui est réclamé par les manifestants aurait peut-être changé la situation pour ces personnes, aujourd’hui retournées dans leur pays d’origine. « On brise des vies », déplore-t-il.

Retour en arrière

Le 1er avril 2022, en pleine crise sanitaire, un groupe de responsables d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada tient une table ronde avec 10 experts sur la question des migrants sans-papiers. Un dossier de 64 pages, obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, détaille les discussions et les sujets abordés au cours de cette rencontre destinée à fournir des pistes de réflexion aux employés du ministère. Seul un expert est identifié : il s’agit de Daniel Heibert, de l’Université de la Colombie-Britannique. Huit autres noms sont caviardés.

Cette rencontre, c’est une des étapes de ce qui pourrait ressembler à l’élaboration d’une politique de régularisation de masse des personnes sans statut au pays. En 2021, le premier ministre Justin Trudeau a en effet chargé le ministre de l’Immigration de l’époque, Sean Fraser, d’« étudier les options pour mettre en œuvre une initiative qui régularisera le statut des personnes sans statut d’immigration ayant contribué aux collectivités canadiennes », selon la lettre de mandat, en se basant sur des projets-pilotes. L’objectif est de leur donner accès à la résidence permanente.

Durant la crise sanitaire de la COVID-19, un programme de régularisation des « anges gardiens » a permis à 8 500 personnes d’obtenir la résidence permanente. Il s’agissait, par contre, de demandeurs d’asile déboutés.

Un autre programme, celui de la politique d’intérêt public temporaire pour les travailleurs de la construction sans statut de la région du Grand Toronto, avait permis d’accorder à 1 029 travailleurs le statut de résident permanent en date du 31 août 2023. Le programme a pris fin au début de janvier 2024.

De son côté, Gauri Sreenivasan, co-directrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés, qui est un des organismes nommés par Ottawa comme un organisme consulté par le ministère d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), dit qu’une rencontre officielle a eu lieu en 2022. Or, depuis, il n’y a eu aucun suivi.

« Il y a une période de silence de presque deux ans », lance-t-elle, intriguée de la teneur de ce que le gouvernement croit être une consultation.

Elle mentionne que si elle voit le jour, la politique de régularisation pourrait être annoncée en mai 2024.

Le gouvernement reste évasif et un porte-parole d’IRCC indique dans un courriel que le ministère « informera également [ses] futures décisions politiques en se basant sur les leçons apprises à travers des initiatives récentes [...] en matière de régularisation, y compris le programme pilote pour les travailleurs de la construction sans statut ».

Une déception à prévoir

Un des points soulignés dans le document est la complexité des situations et que le programme ne sera pas entièrement transformateur.

« Des attentes modestes sur les résultats de ce programme sont nécessaires, et il n’y aura pas de transformation instantanée, ou ce ne sera pas applicable à tout le monde », écrit Alexis Graham, directrice des politiques et des programmes sociaux d’IRCC dans un courriel daté du 6 avril 2022. C’est ainsi qu’elle résume les conversations de la table ronde tenue quelques jours plus tôt.

Dans un des documents rendus publics grâce à la Loi sur l’accès à l’information, on peut lire que la diversité des profils des personnes sans-papiers complique l’élaboration d’un programme qui inclurait tout le monde.

« Peu importe les mesures mises en place, un programme ponctuel ou répété pour la régularisation ne sera pas suffisant pour empêcher les problèmes systémiques qui mènent à une perte de statut », estime les experts consultés par Ottawa.

Selon le document, on lit qu’il n’y a pas de profil type pour caractériser les personnes sans-papiers. Ce sont autant des jeunes que des personnes plus âgées, d’anciens étudiants internationaux, des demandeurs d’asile déboutés mais pas déportés.

Au Canada, les personnes sans-papiers semblent plutôt avoir subi leur statut qu’avoir décidé de celui-ci (par la traversée illégale des frontières, par exemple). « On peut ainsi dire que le Canada est dans une situation particulière par rapport à bien des pays de l’hémisphère nord du fait que la majorité de ses migrants sans-papiers sont d’abord arrivés ici en situation régulière, et que c’est par la suite qu’ils se sont retrouvés, de façon involontaire, en situation irrégulière. »

Guadalupe, une manifestante sans statut originaire du Mexique, est dans cette situation. Arrivée au Canada il y a 15 ans, elle vit à Montréal sans statut depuis 9 ans. Ce changement lui occasionne plusieurs difficultés. « C’est très difficile », lance-t-elle.

Des personnes sans statut partagent la difficulté de travailler et d'obtenir des soins de santé ou des situations. Photo: Anaïs Elboujdaïni

Qui plus est, les experts consultés estiment que la régularisation ne mettra pas fin au système d’exploitation et à la précarité sociale et économique que subissent les migrants sans-papiers, même une fois qu’ils auront obtenu un statut permanent.

« Le changement de statut ne va pas tout régler. Certains vont encore avoir des difficultés à faire reconnaître leur expérience, leur accréditation, leurs équivalences ou leurs diplômes. Ces obstacles et désavantages vont demeurer, particulièrement pour les personnes racisées », est-il écrit.

Travailleurs de l’ombre

La situation des travailleurs migrants temporaires est montrée du doigt comme étant une voie susceptible d’entraîner la perte de statut.

« L’utilisation extensive que fait le Canada des marchés étrangers de travailleurs temporaires est probablement une source majeure de migrants en situation non régulière. La conséquence des règles concernant les travailleurs temporaires est que, puisqu’ils sont liés aux employeurs [en raison d’un permis fermé], souvent ces relations se détériorent, entraînant un statut précaire », mentionne un expert qui n’est pas identifié dans le document.

Le programme de travailleurs migrants temporaires pour les fermes est particulièrement ciblé. « Si vous ne vous occupez pas des travailleurs agricoles migrants qui viennent chaque année, alors votre bateau a une brèche. » La rigidité du programme de travailleurs temporaires, qui empêche ces derniers de quitter un emploi, même s’il est abusif ou dangereux, fait en sorte que ceux qui partent deviennent sans statut.

Gauri Sreenivasan, elle, estime que le système d’immigration entier est à revoir.

Jointe par La Converse dans son bureau de Toronto, elle avance que le nombre de personnes sans statut est le fruit notamment des visas de travail fermés qui enferment certains travailleurs dans des situations abusives. « On leur demande de faire toutes sortes de choses, toutes sortes de contributions à notre économie, mais on ne leur donne pas le choix de décider comment rester au Canada », précise-t-elle.

Ce sont des gens qui veulent continuer de travailler au pays, mais qui quittent des situations « très négatives » et qui se retrouvent pris dans un cycle de précarité.

Les mesures de sécurité dans le secteur agricole sont évoquées et semblent disparates. Dans une note, on peut lire ce qui suit : « Certains migrants sont prêts à travailler dur, mais ils ne veulent pas d’un employeur qui les maltraite. Un bon employeur sait comment retenir ses employés. Des variations existent au sein des secteurs... Par exemple, l’agriculture. Très peu de protections du travail dans ce secteur. » L’objectif de la régularisation, selon les experts, n’est pas d’accroître la présence des quelque 500 000 personnes sans-papiers sur le marché du travail, mais d’améliorer leurs conditions d’emploi.

Dans une réponse fournie par une porte-parole d’IRCC, on indique qu’ « au fur et que nous avançons dans notre travail, nous continuerons d'écouter les experts, ainsi que les migrants sans papiers eux-mêmes ». « Bien que les migrants sans papiers n'aient pas l'autorisation de travailler au Canada, les recherches suggèrent que beaucoup travaillent dans des secteurs, comme dans l'agriculture et dans le soin aux personnes », affirme la représentante du ministère.

Une question de « justice sociale »

Il n’y a pas que les organismes de défense des droits des personnes sans statut qui le scandent : les experts consultés par le gouvernement semblent avoir aussi déclaré que la régularisation des personnes sans statut est une question de « justice sociale ».

« Il ne fait aucun doute que la régularisation est une bonne chose, notamment du point de vue de la justice sociale et des droits humains, car cela peut contribuer à enrayer différentes formes d’exploitation et d’injustice », est-il écrit dans le rapport issu de la table ronde des experts qui ont parlé au gouvernement.

Une source qui connaît bien les dossiers de régularisation des migrants sans-papiers rappelle que, historiquement, les programmes d’amnistie sont accompagnés d’un durcissement des régles à la frontière. La récente annonce d’un retour des visas pour les Mexicains pourrait indiquer qu’un programme de régularisation de masse se prépare, selon cette personne.

« Cette mesure du gouvernement, même si nous la déplorons, nous donne aussi l’espoir que le programme de régularisation sera bientôt annoncé », avance cette source, qui ne souhaite pas être identifiée pour ne pas nuire à son employeur, qui interagit avec IRCC.

Mme Sreenivasan du Conseil canadien pour les réfugiés s'inquiète de cette décision, ainsi que de l’augmentation des déportations depuis quelques mois. « Ce sont des gens qui auraient pu théoriquement bénéficier d’un programme d’amnistie et de régularisation qui sont renvoyés dans une proportion plus importante que dans les dernières années dans leur pays d’origine », déplore-t-elle.  

Pour Mamadou Konaté, il s’agit d’« un combat de dignité ». Même s’il a fait face à la déportation, il est résolu.

Agir avant que les gens deviennent sans-papiers

La table ronde d’experts met en lumière l’importance de travailler « en amont », c’est-à-dire d’agir pour intégrer et guider les personnes avant qu’elles ne deviennent sans-papiers. Ces spécialistes reconnaissent la nature systémique « associée à la production et reproduction de personnes à statut précaire » et mentionnent notamment le cercle vicieux dans lequel sont enfermés les enfants des personnes sans statut.

« [Ils sont] méconnus du personnel enseignant ou scolaire, [et] leur progression et leur réussite s’avèrent minées dès le départ », peut-on lire dans le rapport.

Les enfants de personnes sans-papiers ignorent parfois leur statut irrégulier jusqu’à ce qu’ils songent à l’université. À ce stade, ce sont des frais d’étudiants internationaux qui s’appliquent à eux. Une anomalie du système qu’un programme de régularisation pourrait corriger.

C’est entre autres pour eux que Mamadou Konaté a décidé de faire entendre sa voix.

« Il y a des enfants qui sont pris en otage par ce système ! », s’exclame-t-il. Il déplore aussi les répercussions dévastatrices pour certaines personnes qui souffrent d’une perte de statut. « Je connais des gens qui sont devenus itinérants [...] et même des citoyens canadiens qui ne connaissent pas un de leurs parents parce qu’il a été déporté. »

Malgré la menace de déportation qui pèse sur lui, M. Konaté préfère dire le fond de sa pensée. « C’est mon devoir d’en parler, même si ça me cause des problèmes. C’est normal de dire… au moins certaines personnes seront sauvées de ça… même si nous prenons le risque. »

Il n’est pas le seul à être critique. Le rôle du système d’immigration canadien est aussi montré du doigt par les experts universitaires.

Ceux-ci indiquent notamment que « les délais pour soumettre une demande humanitaire, les permis de travail fermés, les exigences changeantes, les programmes qui prennent fin et les avenues limitées pour les travailleurs peu expérimentés pour obtenir la résidence permanente » sont autant de facteurs qui contribuent à ce que des gens deviennent sans-papiers.

De retour devant le bureau de circonscription du ministre Miller, Guadalupe tente d’inciter les troupes à entonner un chant. Comme Mamadou Konaté, elle est catégorique : ils manifesteront tant que le programme ne sera pas mis en place.

Et pour M. Konaté, les déportations qui se multiplient ne sont pas « compatibles avec une société du XXIe siècle », qui devrait traiter ses résidents avec plus de compassion.

« Ça nous fait mal que le gouvernement annonce quelque chose et que, en parallèle, il mate des gens qui contribuent à la société depuis 8 ans, 10 ans. » Il invite les citoyens qui n’ont pas à craindre pour leur statut migratoire à envoyer une lettre à leur député pour faire pression.

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