La fin de semaine, à midi, le square Cabot s’anime pour l’heure du lunch. Depuis quelques semaines, des citoyens s’y mobilisent chaque samedi et chaque dimanche pour distribuer une centaine de repas à la population itinérante qui s’y rassemble.
À deux pas du square, trois fois par jour du lundi au vendredi, Résilience Montréal offre 300 repas à ceux qui sont dans le besoin. Lorsque la pandémie de COVID-19 est venue réduire les activités du foyer, c’est la Ville de Montréal qui a assuré la distribution de repas. L’organisme a pu reprendre du service le 31 août dernier, mais n’est pas encore en mesure d’ouvrir ses portes la fin de semaine. « Nous ne pouvons admettre qu’un total de 60 personnes dans nos locaux, ç’a donc eu un grand impact sur nos activités », indique Nakuset, la directrice de Résilience Montréal.
Le foyer prend toutes les précautions depuis le début de la seconde vague de la pandémie et espère pouvoir bientôt ouvrir 7 jours sur 7. « Le foyer est fermé le week-end parce que les employés sont épuisés ; ils avaient besoin de prendre congé, souligne-t-elle. Je craignais que, si nous étions fermés la fin de semaine, la population n’ait pas de nourriture. J’ai donc communiqué avec Diane Gervais, qui a su déplacer des montagnes. »
Pour assurer la distribution de repas le samedi et le dimanche, Mme Gervais a répondu à l’appel de Nakuset avec l’aide de Kelly Warren, une amie, et d’Anastasia Ericson et Rose-Elizabeth Cormier, deux jeunes citoyennes rencontrées en ligne dans un groupe communautaire. Ces dernières se sont mobilisées pour recueillir des dons et assurer la distribution alimentaire du week-end au square Cabot depuis le mois de septembre.
Le groupe a aussi pu obtenir l’aide de bénévoles de Khalsa Aid Canada, une organisation internationale sikhe qui fait équipe avec la brigade du square Cabot et s’occupe de la préparation des repas. « Même si notre organisation est fondée sur la foi sikhe, nous sommes prêts à servir n’importe qui, peu importe la religion, le sexe ou l’origine », tient à préciser l’une des bénévoles de Khalsa Aid.Lorsque l’équipe se présente au rendez-vous, les bonjours fusent.
« Tout va très bien, il n’y a eu aucun incident, remarque Diane Gervais. Les gens sont très patients, ils mangent et discutent ensemble. » Depuis plusieurs décennies, le square Cabot est un lieu de rassemblement pour les peuples autochtones, en particulier pour la communauté inuite.
« On parle de décolonisation, mais rien n’est mis en œuvre pour le square Cabot », déplore Anastasia Ericson. On y trouve chaque jour des dizaines de personnes itinérantes.
Un manque de ressources aggravé par la COVID-19
Avec la pandémie, les services aux sans-abri doivent sans cesse s’adapter à de nouveaux défis. C’est également le cas pour l’initiative citoyenne au square Cabot : les denrées alimentaires commencent à y manquer, alors même que de plus en plus de gens s’y présentent pour obtenir de la nourriture la fin de semaine. Aux dires de certaines personnes qui y étaient présentes, il n’y a aucune autre initiative similaire ailleurs le samedi et le dimanche.
Nakuset indique que la Ville assurait la distribution alimentaire dans des refuges extérieurs temporaires, entre autres à la place Émilie-Gamelin et à la place du Canada. Ces opérations ont cessé le 31 août dernier.Interrogée à ce sujet, la Ville de Montréal a répondu que les sites de distribution alimentaire extérieurs, comme celui du square Cabot, ont été ouverts pour relayer les organismes dont les services ont été réduits à cause de la pandémie.
Ces sites fixes de distribution alimentaire ont été fermés le 31 août quand les organismes d’aide alimentaire ont repris leurs activités. Ce service revient donc depuis aux organismes. Si Résilience Montréal a pu rouvrir ses portes, il doit néanmoins composer avec les effets de la pandémie de COVID-19, ce qui l’empêche de fonctionner au maximum de sa capacité. Mme Gervais estime que la Ville devrait en faire plus. « Ça me fait plaisir d’aider Résilience, mais on ne devrait pas être en train de faire le travail de la Ville. Si Résilience manque de ressources, alors la Ville doit intervenir », plaide-t-elle.Nakuset souligne qu’il y a un grand besoin de nourriture, mais également d’abris.
« Le fait que des gens se trouvent sous l’autoroute 720 montre bien qu’ils n’ont nulle part où aller », martèle-t-elle. Lundi dernier en matinée, le campement qui se trouvait non loin de l’avenue Atwater, à proximité du square Cabot, a été démantelé. « Qu’est-ce qu’on propose pour garder les gens au chaud et pour les nourrir ? Quelle est la solution de rechange ? – voilà la question que je pose à la Ville », poursuit-elle, en rappelant que les refuges ne peuvent être occupés qu’à 60 % de leurs capacités en raison de la pandémie et de la nécessité de respecter la distanciation physique. Pour cette même raison, les centres commerciaux, le métro et les espaces souterrains de la ville sont inaccessibles en ce moment.
À mesure que les températures baissent, les besoins se font de plus en plus pressants pour la population itinérante. David Chapman, coordonnateur de Résilience, s’inquiète de l’arrivée de l’hiver et des effets de la pandémie. Il se demande où les gens pourront bien aller cette année. « Dans la population qu’on dessert, plusieurs personnes n’ont pas accès aux refuges la nuit. L’an dernier, plusieurs ont utilisé des services “entre deux”, comme un restaurant ouvert 24 heures ou le métro, mais ce n’est plus possible cette année », dit-il.
Songeant à ce problème, M. Chapman craint d’assister à encore plus de services commémoratifs, alors que deux cérémonies ont eu lieu la semaine dernière au square Cabot. Avant de se joindre à Résilience, l’intervenant social travaillait pour l’organisme Portes ouvertes.
À la suite du déménagement forcé du foyer dans un autre quartier, 14 décès sont survenus près du square. « Lorsqu’on retire des services de base, il y a des conséquences humaines », affirme-t-il. Il reconnaît que plusieurs initiatives pilotées par la Ville et les autorités locales ont vu le jour près du square Cabot à la suite de ces tragédies. « On a besoin de services destinés aux sans-abri dans le quartier, martèle-t-il. Si seulement on avait pu tirer cette leçon sans qu’il y ait de morts. »
Vers des services accessibles
David Chapman travaille au square Cabot du lundi au vendredi, walkie-talkie à la main. « C’est comme une extension de ma famille », dit-il au sujet de la population qui fréquente le parc. Une grande partie de celle-ci, qu’il estime être inuite à 40 %, vient y recevoir les services du foyer. M. Chapman ajoute que la Ville de Montréal prévoit ouvrir un centre d’urgence pour accueillir les personnes aux prises avec une dépendance, mais qu’il n’a pas plus de renseignements à ce sujet pour l’instant. « Je sais qu’on devrait pouvoir offrir environ 400 lits dans la ville, mais on ne connaît ni le moment ni le lieu. »
Ces détails sont essentiels, car, selon lui, ils détermineront qui sera en mesure de profiter de ce service. L’intervenant souligne que, l’an dernier, plusieurs clients de Résilience avaient pu obtenir les services aux sans-abri offerts à l’ancien hôpital Royal-Victoria, jusqu’à ce que ceux-ci changent subitement et deviennent un programme d’hébergement de transition.
L’intervenant croit que ce type de programme, dont les résultats sont facilement mesurables, obtient plus aisément du financement parmi les fonds attribués, qui sont très limités, et que plusieurs initiatives s’adaptent en conséquence. « C’est une bonne chose pour les personnes qui sont admises dans ce programme, mais les individus les plus vulnérables qui se rendaient au Royal-Victoria l’an dernier se demandent où ils iront cette année. »
La Ville de Montréal soutient qu’en réponse à la reprise partielle des activités des services d’hébergement d’urgence traditionnels et à la fermeture de ressources temporaires, elle a mis en œuvre un plan de transition qui consiste à assurer des lits jusqu’en mars 2021. « Toutes les personnes qui étaient hébergées dans des lieux temporaires qui ont fermé ont été dirigées par le réseau de la santé et les organismes communautaires vers d’autres lieux d’hébergement. Personne n’a été laissé pour compte », nous dit-on.
M. Chapman soutient qu’il faut des refuges accessibles, c’est à dire qui soient ouverts à tous : aux individus intoxiqués, à ceux qui ont des animaux de compagnie et aux couples. D’autres facteurs peuvent aussi décourager les gens qui s’y présentent, par exemple l’obligation de s’identifier, d’avoir à répondre à des questions ou de remplir de longs formulaires. « Ce sont des obstacles pour la population itinérante, en particulier pour ceux qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale », souligne-t-il.
Selon lui, un programme d’hébergement transitoire peut être bénéfique pour certains individus, mais pas pour d’autres – ce qui crée des divisions. « Ceux qui savent témoigner de leur transition se qualifient, et ceux qui en sont incapables sont encore là, dans le parc », résume-t-il. « Et ce n’est pas par manque de volonté », ajoute-t-il. M. Chapman connaît les histoires et les besoins de ceux qui fréquentent le square Cabot. Il croit qu’ils ont besoin de services mieux adaptés aux traumatismes qu’ils ont vécus. « On vit dans un pays qui a connu plus de 100 ans de génocide culturel ; l’héritage de tout ça peut être constaté ici, dans ce parc. »
Résilience Montréal s’occupe de tous ceux qui ont besoin d’aide. « On va à la rencontre des gens là où ils se trouvent, et on répond à leurs besoins, explique encore M. Chapman. Au lieu de dresser la liste des services que nous offrons aux gens, nous leur demandons ce dont ils ont besoin et nous les aidons à l’obtenir. »
Le foyer offre ainsi du soutien aux toxicomanes, aide certains à retourner dans leur communauté nordique d’origine et permet à d’autres d’avoir accès à un logement. Le centre de jour possède notamment une aire de repos, une salle de lavage et une douche, et propose les services de ses intervenants.
Ressources
Si vous voulez faire des dons, Résilience Montréal a présentement besoin de vêtements chauds, sous-vêtements neufs, chaussures, bottes d’hiver et de parapluies. Les dons peuvent être déposés de 8 h du matin à 3 h de l’après-midi du lundi au vendredi au 4000 Sainte-Catherine Ouest.
Pour vous joindre à l’équipe de bénévoles et offrir de la nourriture à l’organisme, vous pouvez écrire à resilience.montreal@gmail.com.