Cet été, de nombreuses fusillades ont eu lieu dans les quartiers de Montréal, de Laval et dans les environs de la métropole. Des coups de feu en plein jour tirés en plein jour et des balles perdues qui troublent le sentiment de quiétude des citoyens. Pour quelques centaines de dollars et sans permis, les jeunes peuvent se procurer des armes rapidement et facilement. Comment se retrouvent-elles entre leurs mains?
La criminalité dans les grandes villes
Dans la majorité des cas, ce sont des armes illégales qui passent par la frontière canado-américaine par le crime organisé. « Avec une des plus longues frontières non fortifiées au monde, il y a des trous partout où le trafic est possible », nous explique l’enquêteur retraité de la Sûreté du Québec, Paul Laurier. « Les armes se trouvent très et trop facilement, et la vente d’armes est lucrative », indique l’ancien enquêteur qui a travaillé sur le crime organisé et le terrorisme. « Si les policiers du Québec enlevaient toutes les armes à feu, je vous garantis que dans un mois, les armes seront revenues ».
Il lie cette éventualité à la proximité du marché des États-Unis et l’existence de canaux entre les deux pays gérés par le crime organisé. D’après Francis Langlois, chercheur spécialiste des armes à feu au Canada et aux États-Unis à la chaire Raoul-Dandurand, le marché américain est trop gros et les lois sur les armes à feu sont faibles. « C’est extrêmement difficile de contrer cela et l'offre est pratiquement illimitée aux États-Unis. Mais c’est vraiment là-bas qu’on trouve les armes. C’est notre voisin le problème», analyse-t-il. Le spécialiste estime cependant que le contrôle de la frontière ne changera rien à la violence dans les grandes villes si on n'investit pas en amont dans la prévention de la violence. L’ex-enquêteur Paul Laurier abonde dans le même sens.
« Ce n'est pas la réglementation des armes à feu qui va régler le problème. Ça prend des gens pour aller voir les jeunes et pour briser le phénomène », dit-il. « Si on transforme les conditions socio-économiques des quartiers les plus affectés par ces violences, ça va faire en sorte que les jeunes pourront trouver une différente avenue ». « Les armes rendent cette violence plus mortelle, plus dangereuse. Elles n’augmentent pas nécessairement les taux de criminalité, elles décuplent la possibilité de se faire tuer », ajoute Francis Langlois.
Une transformation de l’industrie
La culture des armes à feu témoigne de la transformation qui s’est opérée dans l’industrie. « À partir des années 80, on s’est retrouvé avec une des armes de style militaire, policière, des armes semi-automatiques », indique Francis Langlois. Ces armes n'étaient pas sur le marché avant.
« Il y également la diffusion de l’image l’arme pour assurer sa masculinité, pour se protéger. C’est un discours qui est perpétré par l’industrie, et ce discours crée une culture des armes à feu qui est plus agressive », croit le chercheurOn retrouve maintenant sur le marché des des pistolets semi-automatiques dans lesquels on peut mettre 10, 15 ou 20 munitions. Les fusils d'assaut peuvent contenir jusqu’à 100 balles.
M. Langlois indique que la tuerie de la Polytechnique n’aurait pas pu être possible sans une arme qui pouvait contenir 30 projectiles. « Il y a toute une discipline de tir rapide, c’est nouveau. Ça s'est développé dans les années 1990 et 2000. On vend non seulement des armes, mais toute une culture. »
Les armes de poing: «la patate chaude du fédéral»
« Dans les rues, les tueries, ça ne se passe pas avec des armes longues. Oui, ces dernières causent du dommage, mais le danger c’est des armes de poing », affirme Paul Laurier. Faisant écho à l’ancien enquêteur, le chercheur Francis avance également que ces armes de poing illégales, qui entrent en possession des gangs de rues, proviennent des États-Unis. Le spécialiste dit ne pas comprendre l’emphase sur le contrôle des armes de poing dans le débat public, puisque la majeure partie de celles-ci proviennent du trafic d’armes illégales. D’après, lui ce n’est donc pas un contrôle légal qui va venir régler le problème de fond. Certaines armes de poing qu’on retrouve dans la rue sont cependant domestiques: elles sont volées du marché légal ou vendues à des individus non-détenteurs de permis par des propriétaires de permis légal. Nathalie Provost, porte-parole de l’organisme PolySeSouvient, nous indique que le nombre d’armes de poing détenues par des propriétaires légaux a doublé dans les dix dernières années.
D’après Statistique Canada, on compte maintenant près d’un million d’armes de poing sur le marché légal. Plusieurs partis fédéraux se sont prononcés sur le contrôle des armes de poing, en le reléguant aux municipalités ou aux provinces. Francis Langlois et Nathalie Provost croient tous deux qu’un contrôle national est nécessaire et ces mesures ne sont pas efficaces sans un tel contrôle.
« Même si on interdit des armes légales sur le territoire de la ville de Montréal, ça n'empêche pas les armes d'entrer et de sortir des villes », croit M. Langlois. Il cite le tireur de la tuerie de 2018 sur la rue Danforth, à Toronto, qui s’était procuré son arme de poing de façon illégale à Toronto. L’arme en question était vendue légalement en Saskatchewan.
Fusillades et armes d'assaut
« Quand on réglemente les armes légales, c’est surtout pour limiter les tueries de masse », croit le chercheur. D’après lui, l'objectif du contrôle des armes de style militaire comme des armes d’assaut, qui ont une puissance de feu très grande, est lié à la sécurité du public en termes de suicides et d'utilisation accidentelles et de tueries de masse. La plupart des armes utilisées dans le type de tragédie visant les masses ont été achetées de manière légale: c’est notamment le cas des armes utilisées à la mosquée de Québec et au Collège Dawson.
« Ce sont armes qui sont prisées par des tueurs de masse. C’est pour ça que les gouvernements et les organisations cherchent à augmenter le contrôle sur les armes à feu. Ce sont des armes idéales pour les militaires ou les policiers, mais elles ne sont pas faites pour être utilisées par des civils », estime-t-il.
Depuis la destruction du registre canadien des armes à feu en 2012 par le gouvernement Harper, le Canada n’a pas de données précises sur le nombre d’armes non-restreintes ( des fusils de chasse et des armes longues) qui circulent au pays. Il est ainsi très difficile de savoir combien d’armes possède un propriétaire de permis d’armes à feu non-restreintes. Le gouvernement canadien a donc perdu la trace de nombreux fusils de chasse et d’armes d’assaut qui ont été achetés. Si dans les faits, le programme de rachat obligatoire proposé par le Parti Libéral est intéressant, il sera difficile de l'appliquer, précise le chercheur. Comme en témoigne, Charles, un propriétaire d’un permis d’armes à feu non-restreintes, qui fait du tir sportif. Il possède 11 armes à feu, dont 3 armes d'assaut.
Aucune de ses armes est sur le décret de 2020. Le jeune homme a plusieurs amis qui possèdent également des armes à feu légales. Il raconte que le programme de rachat obligatoire mentionné dans le décret de mai 2020, fait objet de « running gag » dans la communauté des armes à feu.
«Si on ne sait pas combien de personnes possèdent ce type d’armes, il y a un échappatoire évident.. Qui ira dire au gouvernement qu’il en possède ?», demande-t-il. « Ce que décret permet, c'est que ça met fin au commerce de ces armes au Canada. Ainsi, il n’y a plus d’avenue pour l’utilisation légitime de celles-cis puisqu’on a plus le droit de les transporter, de les échanger, de les posséder et de les utiliser.
Ce n’est pas pas parfait, mais si l’on veut éliminer ces armes du marché, c’est une bonne mesure. » explique le spécialiste. C’est que sans registre des armes à feu non-restreintes, il est difficile de légiférer, explique Francis Langlois. « C’était ce qu’il y avait de mieux, on l’a détruit et il ne reviendra pas. Ça a coûté trop cher » déclare Nathalie Provost au sujet du registre des armes à feu. La porte-parole de l’organisme PolySeSouvient estime qu’aucun parti ne va assez loin pour contrôler les armes d’assaut par peur de perdre des votes s’ils proposent des mesures trop sévères sur les armes légales.
PolySeSouvient s’indigne de l’argument des conservateurs qui ne veulent pas «blâmer » les propriétaires d’armes qui suivent les règles avec des trop de restrictions sur les armes légales. « Ça donne l’impression que Trudeau harcèle les honnêtes propriétaires, alors qu”il ne souhaite que retirer des armes trop puissantes. On a rien contre les gentils propriétaires, on ne leur enlève pas la capacité de tirer, on leur retire des modèles » indique la survivante de la tuerie de Polytechnique.
Elle s’indigne du fait que la puissance de feu d’un citoyen peut être plus élevée que la puissance de feu d’un policier. Madame Provost estime que le gouvernement devrait interdire toutes les armes d'assaut et qu’elles n’ont pas leur place dans les mains des citoyens.
« Dans tous les pays, où il y a un contrôle plus serré des armes à feu, il y a moins de mortalité liées à ces armes. Je ne dis pas que cela va régler tout le problème des armes illégales, on n’est pas naïf » fait-elle valoir. Elle dresse une comparaison entre les véhicules. «Réalisez-vous qu’on contrôle moins une arme à feu qu’une voiture? Les voitures sont enregistrées, tous nos gouvernements savent qui a combien de voitures, combien il en a. Ce n’est pas le cas des armes à feu », illustre-t-elle. Le registre fournissait les renseignements aux forces de l'ordre pour agir.
Un permis trop facile à obtenir?
« Ce n’est pas difficile d’avoir un permis d’armes à feu, mais c’est très bureaucratique », nous explique Charles, qui a obtenu son permis en six mois. Après avoir suivi un Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu, il passe un examen la journée même. « Essentiellement, il ne faut pas pointer l’arme sur l’instructeur et démontrer une compétence minimale sur le maniement des armes », dit-il d’un ton moqueur. Quelques semaines plus tard. Il reçoit son attestation et peut remplir une demande de permis de possession d’armes à feu sur le site web de la GRC. Après quelques mois, Charles reçoit un permis d’armes à feu non-restreintes, lui permettant d’acheter des armes longues et des fusils de chasse. Pas d’examen psychologique, pas besoin de justifier pourquoi il demande un permis d’armes à feu. « Pas besoin d’indiquer que c’est pour le sport », opine-t-il.
« Il y a des questions sur antécédents criminels et violents, mais il n’y a aucune question dans le formulaire sur les idéologies extrémistes et pour la santé mentale, c’est une autodéclaration » note le jeune homme. Le formulaire demande deux références qui valident la capacité du demandeur à obtenir un permis de possession et d’acquisition d’armes à feu « dans l'intérêt de la sécurité du demandeur ou de toute autre personne ». Charles aimerait que plus de mesures soient prises pour s’assurer que les personnes qui souhaitent obtenir un permis d’armes à feu soient saines d’esprit. Il estime que le débat n’aborde pas assez cet aspect. « On peut toujours rendre le permis plus difficile à obtenir, mais il faut investir les ressources pour vraiment faire les vérifications », convient le chercheur Francis Langlois.